3.1.2 – d’un journal d’opinion à un journal d’information

Sous la Révolution la presse française possède certes des journaux politiques très souvent traités et analysés par les chercheurs, mais aussi des journaux d’information générale ou spécialisée. L’Histoire générale de la presse classe au premier rang de ces journaux, le Moniteur universel (24/11/1789), journal de Charles-Joseph Panckoucke. Ce journal a l’ambition de rendre compte largement des débats de l’Assemblée, des événements de Paris et de province, de la politique intérieure et des relations internationales, des ouvrages littéraires et scientifiques. L’importance de sa diffusion a entraîné une influence plus considérable que les autres feuilles. Panckoucke est favorable à la Révolution, mais modéré, prudent et objectif 1246 . Vient ensuite le Journal des débats et décrets (1/9/1789) fondé par Baudouin. Journal qui devient rapidement indispensable à toutes les administrations nouvellement créées. Le Journal des Etats généraux (1/6/1789) rédigé par Le Hodey de Saultchervreuil publie uniquement le compte rendu des débats de l’Assemblée. Les Lettres au Comte de B*** se caractérisent par leur forme épistolaire, « Paris, ce jour… », le locuteur dialogue avec le lecteur, en l’occurrence, « M. Le Comte de B*** », la formule habituelle termine la lettre « J’ai l’honneur d’être ». Le locuteur utilise le « je », interpelle son lecteur, le prend à partie. Le ton employé n’est pas neutre, « L’agriculture, M. le Comte, attend avec impatience de l’Assemblée Nationale une diminution sur les impôts qui ont engourdi les bras des agriculteurs… » 1247 . Parfois il lance des appels au peuple, « Quand un peuple a le bonheur d’obéir à un Roi qui lui parle de cette manière. Quelle tâche de reconnoissance & de dévouement ne lui impose-t-il pas ? O généreux François ! O Nation recommandable depuis des siècles par votre humanité ! O vous qui, dans tous les tems, avez témoigné un si grand attachement pour vos souverains ; pensez à celui que le ciel vous a donné pour votre bonheur… » 1248 . L’auteur ne signe pas. Les articles qui n’ont pas de titres, présentés sur une seule colonne, sont de longueurs diverses avec de nombreuses notes de bas de pages. Les rubriques ne sont pas toujours indiquées dans le même ordre, les événements nationaux sont tantôt avant les événements de « divers endroits », tantôt après, en fonction de l’importance de ceux-ci. Les lettres sont ponctuées d’anecdotes caustiques «M. de Calonne voit beaucoup Mme la Comtesse de la Motte en Angleterre (qui se ressemble s’assemble). Cette aimable comtesse ne rabat toujours rien de ses prétentions, & née, dit-elle, d’un rang de Rois, elle se croit, plus que jamais, en droit de porter les armes de France… » 1249 . Cette première tentative de publication s’apparente davantage à un billet d’humeur qu’à un journal.Puis vient un journal commerical, vériable organe de presse, le Courrier extraordinaire de Duplain de Sainte-Albine, d’une tout autre forme, il s’apparente à la forme moderne du journal d’information. Tout d’abord, il adopte un ton beaucoup plus neutre, le locuteur ne dialogue plus avec le lecteur, mais prend de la distance. Le locuteur utilise parfois le « Il » 1250 , le « Je », « … le Roi a ôté à ce frippon le service pécuniaire des affaires étrangères et l’a donné à M. Biderman, dont je parlerai incessamment » 1251 , le « nous », « Nous avons conseillé à nos augustes représentans… » 1252 . Les rubriques constantes, apparaissent très souvent dans l’ordre suivant « Assemblée Nationale », « Nouvelles de divers endroits [françaises et étrangères] », « Avis » et « Annonces, demandes et avis divers ». Les annonceurs sont des domestiques qui cherchent à se placer, des particuliers qui désirent vendre divers objets, des commerçants qui vantent leur marchandise. Les anecdotes sont toujours à l’ordre du jour, principalement quant elles « écorchent » des lyonnais, «Il me semble entendre un négociant de Lyon, qui, après avoir exigé à l’audience le serment d’un fripon qui lui demandait le paiement d’une promesse acquittée, lui prend le bras au moment où il le levoit, pour s’écrire, « je jure » ; et lui dit : « Arrêtez, je veux vous éviter un parjure, voilà ma quittance » 1253 . Satirique, quelques fois cynique, le style de Duplain plaît à ses lecteurs, « Courage, M. Duplain, poursuivez les factieux, vous rendrez service à vos concitoyens et à la chose publique ; cette tâche est digne de vous ; surtout continuez d’employer l’arme du ridicule que vous savez si bien manier ; elle est redoutable à tous les hommes, particulièrement aux hypocrites » 1254 . « La pauvre Madame le Jay pert tout-à-fait l’esprit ; elle dit que son amant Mirabeau est devenu « Tilleul » ; elle va sans doute devenir « Chêne » ; et ce sera Phylemon et Baucis, qui, pour accomplir l’oracle de Jupiter, devinrent chêne et tilleul » 1255 .

Duplain se risque à glisser quelques charades, c’est le cas le 8 mai 1792, « Nous sortons tous de « mon premier », Dieu nous sauve de « mon dernier » Et nous donne enfin « mon entier » ? La réponse, « Concorde » est glissée dans le numéro du 8 mai. Duplain ne présente que rarement des critiques de spectacles, cependant il assiste à un certain nombre d’entre eux, il recommande à ses lecteurs « ‘La Mort de Caligny’ qui occupe agréablement la scène » 1256 .

Le texte toujours présenté sur une seule colonne est parfois signé par l’auteur. On note l’absence de titres dans le corps du journal, ceux-ci apparaissent cependant dans le sommaire de l’hebdomadaire. Ce sont des titres à « la une », le plus souvent neutres mais volontairement accrocheurs, « Courrier volé, Assignats enlevés ; moyens de remédier à cette effrayante piraterie » 1257  ; « La Prusse l’abandonne : belle résolution de ce Peuple » 1258  ; « Horrible incendie à Auxerre » 1259 . Pour accentuer l’effet d’annonce, Duplain indique « Au moment où…. », il s’agit des informations de dernière minute qu’il veut mettre en évidence.

Qui sont les lecteurs de ce journal ? Si nous n’avons eu aucune indication pour les Lettres au Comte de B***, nous avons quelques pistes pour le Courrier. De janvier à juillet 1792 (date de fin du journal), le Rédacteur répond au « Courrier des lecteurs ». Certains d’entre eux signent leurs lettres ce qui permet de constater que le lectorat est assez large. Des citoyens anonymes de toute catégorie sociale, « Petit-Crette, citoyen d’Orléans », « Dufres. n.e Saint-Léon » 1260 , « Noël » 1261 , « Mathieu Dumas » 1262 , « Demaricourt, l’aîné » 1263 , « G.R. citoyen actif » 1264 , « M. de Villeneuve (Oberkirch) » 1265 , « Jacques Dumas (Lyon) » 1266 , « Jeanne, ancien marin » 1267 , « Monsieur**. D’Orléans » 1268 , « Delatre, professeur en droit de la faculté de Paris » 1269 , « M. G*** » 1270 , « L. Breton, directeur des postes » 1271 , « Oyot, homme de loi (Soissons) 1272 , De nombreux militaires qui sont les correspondants de Duplain sur les différents champs de bataille, «Chevret, soldat au 1e régiment d’infanterie » 1273 , « Lauron, soldat au 5e régiment » 1274 , « Marchandise, grenadier du 1er bataillon » 1275 , « Beinbach, caporal fourrier des grenadiers » 1276 . Des représentants du peuple, «Adam, secrétaire de la municipalité (Metz) » 1277 , « Delafosse, membre du comité des pétitions » 1278 , « Le Maire d’Espagnette » 1279 , « A.S. Cordon, maire (Cambrai) et Allier, secrétaire » 1280 , « Prudhomme, administrateur du district » 1281 , « Blanc, commissaire de police, section Mauconseil » 1282 . Des prêtres, « Hamart, curé constitutionnel » 1283 , « Abbé de Laennec, chanoine officiel et vicaire général de Tréguier » 1284 , « Le curé du bourg de Chézy » 1285 , « Dom Risorius, ex-Bénédictin » 1286 . Duplain adresse son journal à tous les courants politiques, se revendiquant de l’un et de l’autre. D’ailleurs même le Roi lit le Courrier, « Le roi ayant lu dans le Courrier extraordinaire » la dénonciation qui lui a été faite contre le Sr Rybes… » 1287 . Nous ne savons si un lecteur dit ou si Duplain lui fait dire « J’ai lu votre journal, Monsieur, dans toutes les villes où j’ai passé ; quoique vous soyez patriote ‘et moi très aristocrates, je vous le dis franchement’, je vous lis sans peine et mes camarades aussi ; parce que vous n’êtes point outré dans votre opinion ; parce que vous avez toujours soutenu que la France devoit être un état monarchique ; parce que vous n’avilissez jamais par vos écrits le roi qui nous commande ; parce qu’enfin, si vous soutenez hautement la nouvelle constitution que j’abhorre, c’est que vous croyez dans votre âge et conscience que le peuple y trouvera son bonheur » 1288 . Déjà en 1791, un lecteur écrit « Vous êtes, Monsieur le plus zélé défenseur du serment prescrit aux fonctionnaires publics, et peut-être un des écrivains qui ont le plus contribués à décider ceux qui hésitoient à le prêter 1289 . Pour qu’il ne subsiste plus de doute quant à l’esprit patriotique de Duplain, il écrit le 7 août 1791, « Le Courrier extraordinaire est le tableau fidèle des travaux de l’Assemblée Nationale, un drame journalier, dans lequel chacun de nos députés est peint avec les couleurs qui lui sont propres. Ce journal a l’approbation de tous les amis de la Révolution, il ne prêche que l’obéissance aux lois et aux magistrats chargés de leur exécution » 1290 .

A partir de janvier 1792, le Courrier a atteint sa vitesse de croisière, le journal se développe (douze pages), les informations sont toujours plus nombreuses et importantes. Le nombre des abonnés parisiens augmentent et par conséquent les tirages aussi. Duplain ne donne jamais le nombre d’exemplaires qui sort de ses presses, une indication en décembre 1792 stipule deux cents exemplaires par jour pour la ville de Dunkerque 1291 . Cela oblige Duplain à prendre une série de mesures. En janvier 1791, il réduit les interlignes du journal de un et demi à un pour « donner plus de longues les motions et débats de l’Assemblée Nationale » 1292 . Les mesures de 1792 sont les suivantes : le journal ne sera envoyé qu’aux lecteurs ayant souscrit un abonnement (3, 6 ou 9 mois) 1293  ; les dépositaires devront régler les factures sous quinze jours 1294  ; il augmente les tirages pour la capitale et ferme les dépôts, certainement pas rentables, de certaines villes 1295 .

S’il promet d’envoyer son journal à l’heure et à la date voulue, aussi vite que possible. Il ne peut s’engager à fournir un texte parfaitement écrit et sans fautes. Il se justifie auprès de ses lecteurs en même temps qu’il s’en excuse. En octobre 1791, il se défend du reproche qui lui est fait « de voir un ouvrage plus incorrect que le Courrier extraordinaire » 1296 . Le 16 juin 1792, il écrit toujours les mêmes excuses « Je vous demande grâce pour ce dernier article. La rapidité avec laquelle je suis obligé d’écrire, le tems qui manque aux ouvriers pour corriger sur la forme, l’indispensable nécessite de ne jamais lire qu’une épreuve ». 1297 Ces remarques étant faites, cela n’empêche pas Duplain de rester très exigeants vis-à-vis de ses correspondants locaux, il s’adresse en ces termes au dépositaire de Poitiers en mars 1792 « Je suis très content du nombre de Courrier que vous débitez, de votre exactitude à vous acquitter mais j’apprends des nouvelles de Tours… Il ne suffit pas, Monsieur, que vous et moi soyons contens, il faut que mes lecteurs le soient, et j’espère que vous réparerez votre oubli à la première occasion » 1298 . Duplain lutte difficilement contre ses ennemis cachés, les mêmes qui interceptent le Courrier destiné à la ville de Reims en mai 1790. Il ne sait qui suspecter d’un tel délit, ce ne peut être son personnel, pas plus que les employés de la poste, aussi se contente-t-il de déposer « des plaintes amères » auprès de l’administration 1299 . Le Courrier universel affiche un ton neutre, l’auteur ne se signale pas, le « je » et le « nous » sont utilisés de la même façon, « Je ne suis point étonné que Savater joigne à ses autres connoissances l’art de deviner… » 1300 . Les rubriques restent identiques, « Politique intérieure et extérieure », « Convention Nationale » et « Nouvelles diverses ». Le sommaire présente des titres qui ne sont pas ceux des rubriques, « Lettre de Dumourier », « Prise de Liège », « Nouvelles de Nice », « Détails sur la défense de la table du ci-devant Roi » 1301 . Les titres sont tout d’abord présentés les uns en-dessous des autres, puis les uns à la suite des autres séparés par des tirets.

Notes
1246.

Histoire générale de la presse française, tome 1, p. 489

1247.

Lettres à M. le Comte de B***, 28/7/1789, p. 99

1248.

Lettres à M. le Comte de B***, 3/8/1789, p. 135

1249.

Lettres à M. le Comte de B***, 24/7/1789, p. 66

1250.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 11/10/1790, p. 8

1251.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 4/4/1792, p. 8

1252.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 20/10/1790, p. 8

1253.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 11/10/1790, p. 8

1254.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 23/6/1792, p. 3

1255.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 21/4/1790, p. 8

1256.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 4/8/1791, p. 8

1257.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 20/10/1790, p. 1

1258.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 1/11/1790, p. 1

1259.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 3/11/1790, p. 1

1260.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 17/4/1792, pp. 7-8

1261.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 5/5/1792, p. 5

1262.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 7/6/1792, p. 11

1263.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 14/1/1792, p. 7

1264.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 14/6/1792, p. 5

1265.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 29/1/1792, p. 7

1266.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 14/2/1792, p. 7

1267.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 19/4/1792, p. 4

1268.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 23/4/1792, p. 7

1269.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 4/5/1792, pp. 4-6

1270.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 18/5/1792, p. 12

1271.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 23/6/1792, p. 3

1272.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 2/3/1792, p. 8

1273.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 3/5/1792, p. 4

1274.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 10/5/1792, p. 4

1275.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 23/6/1792, p. 5

1276.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 18/2/1792, p. 5

1277.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 24/4/1792, pp. 4-6

1278.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 4/5/1792, pp. 4-6

1279.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 11/5/1792, p. 6

1280.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 21/5/1792, p. 5

1281.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 7/2/1792, p. 6

1282.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 20/2/1792, p. 7

1283.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 23/5/1792, p. 11

1284.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 24/3/1792, p. 7

1285.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 20/2/1791, p. 7

1286.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 29/4/1792, p. 4

1287.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 4/41792, p. 8

1288.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 29/1/1792, pp. 6-7

1289.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 10/2/1791, p. 8

1290.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 7/8/1791, p. 7

1291.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 10/12/1791, p. 6

1292.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 18/1/1791

1293.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 2/1/1792, p. 8

1294.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 18/6/1792, p. 12

1295.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 3/5/1792, p. 11

1296.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 29/10/1791, p. 8

1297.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 16/6/1792, p. 12

1298.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 24/3/1792, p. 6

1299.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 2/5/1790, p. 8

1300.

Courrier universel, 18/12/1792, p. 4

1301.

Courrier universel, 2/12/1792, p. 1