3.1.3 - Le précurseur de la messagerie de presse, une distribution « Révolutionnaire » : L’enfant de la liberté

Alors que le Postillon était distribué par la poste, le Courrier quant à lui, part tous les jours de Paris par un courrier extraordinaire rapide. L’idée de Rivaud reprise par Duplain est ingénieuse, créer un réseau postal à travers la France et aux frontières de l’Espagne, du Piémont et de l’Empire 1310 pour établir une correspondance journalière qui gagne dix heures sur les courriers de la poste dans l’espace de quatre-vingts à cent lieues. Chaque matin, « un cabriolet propre, doux » 1311 , « bien suspendu » 1312 , quitte l’hôtel de Tours à trois heures pour rejoindre les plus grandes villes du royaume. Fribourg signale que le Courrier s’est associé au journal de Condorcet, la Chronique de Paris, pour exploiter en commun son service transport 1313 . Les lignes desservies seront celles de Lyon : Fontainebleau, Sens, Dijon, Nuits, Beaune, Chalon, Tournus, Macon et Villefranche ; Paris : Bordeaux, Blois, Amboise, Tours, Poitiers, Angoulême ; Lille : Amiens, Arras et Lens ; Nantes : Angers et Ancenis. Outre la livraison rapide du journal, tout abonné au Courrier aura la possibilité de faire transporter gratuitement par les voitures du courrier des colis d’une ville à une autre, ainsi pour la somme modique de trente-six livres par an, l’abonné a la possibilité d’avoir en province, un journal donnant des nouvelles de « manière prématurée » et la faculté d’« envoyer dans l’année gratis, à Paris, cinquante deux paquets, ou celle de les recevoir aussi gratis de la capitale en province ». Les cabriolets possèdent deux employés, le conducteur et un assistant dont le rôle est de vendre les journaux tout au long de la route. Ce garçon est choisi par Duplain moyennant de « bonnes références et mille cinq cents livres de cautionnement » 1314 . Outre les journaux, ils sillonnent la France, appelée par le peuple « l’enfant de la liberté » 1315 . En transportant deux voyageurs qui réservent leur place à Paris, Hôtel de Tours et en province auprès de correspondants : à Arras, M. Bacler, place des Etats ; Amiens, M. Davernes, rue des Jeunes-Matin 1316 , à Bordeaux chez M. Dutrey, rue Porte Dijeaux, n°85 1317 , Grenoble chez M. Falcon 1318 , au Havre chez M. Justin, aubergiste 1319 , à Lille, chez M. Tonon, Hôtel d’Artois, près le marché aux poissons puis chez M. Vigne, rue Comtesse n° 631 1320 , Montauban chez Gabriel Olier sur la place d’armes et vis-à-vis la cathédrale 1321 , Montereau chez le directeur de la poste aux lettres 1322 , Nancy chez M. Jacob 1323 , Rouen, M. Bouvard, rue de l’Estrade, Hôtel de la Barde Royale, Sens chez M. Viliers, facteur de la poste 1324 , Saumur chez M. Mabilleau, commis aux postes 1325 . Chaque ville desservie possède son dépositaire du journal qui est dans l’obligation, sous peine d’être privé du dépôt, de communiquer toutes sortes de renseignements au journal. Pour Lyon, le Courrier arrive chez M. Dubois, hôtel des Courriers, rue Saint Dominique ; l’abbé Duret mentionne un nommé Lambert, situé dans la même rue, qui reçoit six cents exemplaires qui sont ensuite distribués par vingt distributeurs 1326 .

Pour tous, Duplain paie les frais de port des lettres 1327 . Les voitures suspendues transportent également des paquets de deux livres au plus que le abonnés peuvent envoyer chaque semaine ainsi que des assignats, le tout « sans aucun risque ». Les lignes ouvrent au début du mois de juillet 1790, la première est celle de Paris à Lyon : Fontainebleau, Sens, Auxerre, Dijon, Nuits, Beaune, Chalon, Tournus, Macon et Villefranche, qui réalise le trajet le 5 juillet en cinquante six heures. Paris à Lille, Amiens, Arras et Lens ouvre le 28 juillet, Paris, Rouen fin novembre pour un coût de vingt quatre livres. Paris, Amiens pour vingt quatre livres. Paris à Londres en cinquante six heures (cinq jours pour les voitures ordinaires) pour quatre vingt quinze livres 1328 . Le peuple surnomme cette messagerie patriotique « L’enfant de la liberté », écrit Duplain 1329 . En février, il étudie un projet de ligne sur les frontières de l’Espagne, du Piémont et de l’Empire 1330 .

Duplain a surmonté les difficultés de lancement du journal, a évincé son associé Rivaud, en ce début d’année 1792, le journal « marche bien ». C’est alors qu’un coup de théâtre intervient ou que le malchance s’acharne sur lui. L’Assemblée adopte un décret qui régit le règlement de circulation des diligences et des messageries :

‘L’assemblée constituante, par un décret du 26 août 1790, interdit à toutes personnes étrangères au service des postes de s’immiscer dans le transport des lettres, journaux, nouvelles à la main et ouvrages périodiques . Forcée d’user de stratagèmes pour continuer ses expéditions, en butte à des jalousies, à des hostilités politiques, la Société du courrier avait assez à faire de défendre ses positions acquises 1331 .’

La menace qui pèse sur ses épaules est de taille, il proteste dans les lignes du Courrier :

‘Le devoir d’une journaliste est de n’épouser aucun partis et de se renfermer dans les bornes de l’étroite vérité. Nous avons obéi à cette loi impérieuses au risque d’être appellés par « les enragés » comme le héros de deux mondes par les « calomniateurs », moitié l’un, moitié l’autres. Nous avions formé la résolution de ne jamais attaquer les décrets de notre auguste assemblée ; mais ici une voix impérieuse nous ordonne de rompre le silence, et de retarder, si nous pouvons, le mouvement de balancier qui las de son inaction, frappe aujourd’hui le décret avec trop de précipitation. Il est question de s’opposer d’abord à l’émission du décret qui va affermer à une troupe de brigands et de monopoleurs le privilège de conduire les voyageurs sur les grandes routes, en leur donnant la facilité de les rançonner, et d’engager nos augustes représentans à retirer, par la voie du quelques amendemens, le décrèt sur la contribution mobilaire 1332 .’

Joseph intervient rapidement auprès de l’Assemblée dans une Lettre de l’auteur des Lettres au Comte de B*** , à nos augustes Représentans . Joseph, dans un premier temps, conteste le décret sur les diligences et messageries adopté par l’Assemblée, pour mieux plaider sa cause 1333 . S’il est d’accord avec l’Assemblée sur la fin de l’obtention de « permis » :

‘Vous reconnaissez d’abord le principe d’une liberté indéfinie que vous avez consacré, en détruisant ce « droit imaginé par la cupidité, et accordé par le despotisme ; ce droit scandaleux connu sous le nom de permis ; ce droit qui a fait le tourment de notre peuple, pendant qu’il a été perçu » 1334 .’

Il s’insurge contre la décision qui a été prise de ne pas accorder l’autorisation à des particuliers d’installer des relais et de conduire des voyageurs. En effet, le nouveau règlement impose que « les voitures suspendues » devront respecter un délai de vingt-quatre heures avant de pouvoir reprendre la route :

‘Je prendrai la liberté de vous exposer que vous ne pouvez défendre au public de poser des relais ; que vous ne pouvez obliger le voyageur, arrivant en voiture suspendue, de séjourner vingt-quatre heures, sans saper l’édifice de notre liberté jusques dans ses fondemens ; et si, dès sa naissance, vous osez mettre la coignée dans l’arbre de la constitution, que ne se permettront pas, autorisés par votre excellence, les législatures à venir… 1335

Il n’y pas d’alternative pour Duplain, « le transport des voyageurs et marchandises est un commerce comme un autre ; le droit de le faire ne peut être affermé par la nation à un seul ; il appartient à tous et il n’appartient à personne » 1336 . Joseph tente de prouver qu’un système libéral est possible, que la réussite ne se trouve pas en installant un nouveau monopole mais en laissant jouer la concurrence. Il cite en exemple l’Angleterre dont les « chemins sont garnis d’une foule d’entrepreneurs :

‘Demandez, questionnez ; on vous dira enfin que l’effet de la concurrence est telle, que vous pouvez former, en angleterre, à toute heure du jour et de la nuit, le projet de partir et vous trouvez des chevaux toujours disposé à vous conduire et des voitures toujours prêtes à vous recevoir 1337 .’

Joseph essaie de convaincre ses interlocuteurs que leur projet est inenvisageable, qu’il est impossible de transporter hommes et marchandises de « Paris à Perpignan » dans « des machines effrayantes par leur poids », de faire payer un droit à tous « les ouvriers de la route », pour finalement être volé par « tous les préposés à une grande machine qui ne peut être surveillée » 1338 et qui finalement « ruineront le commerce » 1339 . Il insiste sur l’attention qui doit être portée à la « clientèle » :

‘Ils [les monopoleurs] assignent aux voyageurs, non le jour où il leur convient de partir, mais le moment où il convient à la compagnie monopoleuse de les expédier ; et quel est ce moment ? Celui où la chasse a été abondante et où l’on peut amonceler avec profit, des hommes les uns sur les autres, comme les cailles qu’on transporte du département du Pas de Calais en Angleterre 1340 .’

Découragé, Duplain reproche à l’Assemblée de se comporter comme une monarchie d’Ancien Régime, « lui direz-vous [au peuple] ce qu’on disoit autrefois dans l’antre des Sartine, des Breteuil, « le roi le veut ainsi, point de réplique » 1341 . Il fait appel au soutien du Maire et des officiers municipaux de Lille afin qu’ils interviennent pour lui à l’Assemblée, et s’engage à créer d’autres lignes, Bordeaux, Strasbourg, Lyon, Nantes. Il demande de pouvoir librement faire partir ses voitures tous les jours de Lille et de Paris, poser des relais, traiter avec les maîtres de « postes sans avoir rien à démêler avec les fermiers des diligences, ni leur payer aucun droit, je crains la piqûre de ces guêpes, et Dieu me garde d’approcher du guêpier » 1342 . Les protestations de Duplain n’y feront rien, après avoir accusé quinze mille livres de pertes, il abandonne « sa petite messagerie patriotique » 1343 mais l’impression du journal continue.

Notes
1310.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 28 février 1792

1311.

Fribourg André, « le club des Jacobins en 1790 d’après de nouveaux documents », Révolution Française, Vol. LVIII, 1910, p. 83

1312.

Ibid

1313.

Ibid, p. 82

1314.

Ibid, Vol. LVIII, 1910, p. 82

1315.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 5 mars 1792

1316.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 28 juillet 1790

1317.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 11 mai 1792

1318.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 13 mai 1792

1319.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 24 mai 1792

1320.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 13 mai 1792

1321.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 24 mai 1792

1322.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 24 mai 1792

1323.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 27 mars 1792

1324.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 13 mai 1792

1325.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 24 mai 1792

1326.

Cahiers de l’abbé Duret, mai 1790, f. 193 v

1327.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 5 février 1792

1328.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 10 octobre 1790

1329.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 5/3/1792, pp. 6-8

1330.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 28/2/1792, p. 8

1331.

Vingtrinier Emmanuel, « Le Lyonnais J.B. Duplain : créateur du premier journal d’informations rapides et ses premières messageries de la presse », Salut public, 10/2/1931, 1p.

1332.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 20 décembre 1790

1333.

Lettre de l’auteur des Lettres au Comte de B***, à nos augustes Représentans, sd, 8 p.

1334.

Lettre de l’auteur des Lettres au Comte de B***, à nos augustes Représentans, sd, p. 2

1335.

Lettre de l’auteur des Lettres au Comte de B***, à nos augustes Représentans, sd, p. 2

1336.

Lettre de l’auteur des Lettres au Comte de B***, à nos augustes Représentans, sd, p. 7

1337.

Lettre de l’auteur des Lettres au Comte de B***, à nos augustes Représentans, sd, p. 4

1338.

Lettre de l’auteur des Lettres au Comte de B***, à nos augustes Représentans, sd, p. 7

1339.

Lettre de l’auteur des Lettres au Comte de B***, à nos augustes Représentans, sd, p. 5

1340.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 5/3/1792, pp. 6-8

1341.

Lettre de l’auteur des Lettres au Comte de B***, à nos augustes Représentans, sd, p. 4

1342.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 5 mars1792

1343.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 5/3/1792, pp. 6-8