3.2 – Joseph-Benoît le « septembrisé » : une destinée funeste

3.2.1 - Un épisode de la Révolution est en train de se jouer

‘Le vent tourne à la contre-Révolution  [écrit Duplain]; toutes les têtes se volcanisent, le peuple est en rut, et des scènes sanglantes se préparent. Des motions abominables sont le fruit des journaux incendiaires, et le peuple électrisé s’abandonne aux dernières fureurs… Monstres ! quel sera donc le terme de ton aveugle vengeance ? tu demandes encore le sang de tes frères, veux-tu le boire ? Ah ! frémis de la prédiction ; c’est dans le tien qu’un jour le peuple que tu égares se baignera, et l’instant n’en est pas éloigné 1363 .’

Joseph est toujours protégé par l’homonymie avec son cousin Pierre-Jacques et par la proximité géographique des deux hommes, « Cette parenté rendit à Joseph de biens grands services et ce voisinage fournit aux écrivains royalistes d’assez précieuses indications sur les résolutions de leurs adversaires » 1364 , déclare Ange Pitou. En juillet 1791, les rédacteurs du Courrier avaient observé chez Duplain le libraire, une animation inaccoutumée : Marat, Robespierre, Danton et autres, s’étaient donnés rendez-vous pour organiser les bandes qui allaient se rendre au champ de Mars :

‘Malgré l’adresse qu’il mit longtemps à les envelopper, les opinions royalistes de Duplain finirent par se laisser apercevoir. En 1792, de divers côtés, son journal était dénoncé comme un organe contre-Révolutionnaire. Au lendemain de la journée du 20 juin, le Club de Poitiers demandait des poursuites contre le dépositaire et le colporteur de cette feuille « royaliste », qui avait fait, disait-il, « un récit particulièrement accusateur » des événements passés aux Tuilleries  1365 .’

La commune insurrectionnelle de Paris supprime les journaux royalistes, la censure est rétablie. Les municipalités, sur décision de l’Assemblée, recherchent les suspects. Les écrivains contre Révolutionnaires sont arrêtés, leurs presses distribuées aux imprimeurs patriotes 1366 . Le Courrier est pillé et anéanti, Duplain dénoncé est arrêté, enfermé au couvent des Carmes. Fin août, les frontières du royaumes tremblent, les prussiens qui avaient dressé le siège devant Longwy le 20 août prennent la ville le 23. Pour permettre une levée de trente mille hommes, Danton envoie des commissaires, choisis par la commune, pour organiser ce recrutement et activer l’ardeur Révolutionnaire des populations. A Paris, la peur grandit, les barrières sont fermées et les suspects arrêtés. Danton, l’homme de la patrie en danger déclare, en apprenant que Verdun est assiégé « Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée » 1367 . Les massacres de septembre débutent dans ce climat de fièvre. Les exécutions durent jusqu’au cinq septembre, bilan entre mille cent et mille quatre cents morts, principalement des prisonniers de droit commun et des réfractaires. Des massacres ont lieu également à Givors, Marseille, Lyon, Toulon, Reims.

Plusieurs textes décrivent les conditions de détention de Joseph fin août, début septembre 1792, certains l’emprisonnant à l’Abbaye, d’autres aux Carmes. Pour E. Vingtrinier, le 3 septembre au soir, Joseph Duplain, « journaliste et imprimeur » est traduit à la barre du Conseil de la commune. Lecture est faite d’ « un de ses numéros anticiviques », « Sur les preuves de ses intrigues contre-Révolutionnaires et sa défenses faible », il est renvoyé en état d’arrestation à l’Abbaye. C’est le vouer à la mort » 1368  :

‘Duplain est enfermé avec d’autres prisonniers, dans une salle basse s’ouvrant sur la cour de Saint-Germain-des-Prés, où s’accomplissent les massacres. En face, également au rez-de-chaussée, siège le comité de la section des Quatre-Nations, dont fait partie le journaliste Prudhomme. Derrière leurs vitres, les membres de ce comité assistent glacés d’effroi, à l’épouvantable carnage. Ils n’osent refuser de signer aux massacreurs des bons de vin, des bons de vivres, des bons de paille pour couvrir le sol où le sang ruisselle. Tout à coup Prudhomme voit son compatriote Duplain se glisser hors de la salle basse, il le suit des yeux. Avec un prodigieux sang-froid, le prisonnier s’approche d’une fenêtre, s’empare d’un pistolet qu’un des assassins y a déposé, puis il va se ranger parmi les égorgeurs et un instant après, il réussit à s’évader. De tous ces compagnons, assure Prudhomme, pas un seul n’échappa à la mort 1369 .’

Une autre version est donnée par l’abbé Berthelet de Barbot, lui aussi emprisonné et qui fit partie des survivants. Il confirme la présence de deux laïques parmi les ecclésiastiques, il cite Joseph Duplain de Sainte-Albine et M. de Valfons, ancien officier au régiment de Champagne. Le père Leclercq 1370 mentionne une pièce émanant du procès-verbal de la section du Luxembourg qui relate l’évasion de Joseph le 2 septembre :

‘M. Marcelot est venu prévenir que le sieur Duplain s'est évadé des Carmes et est déposé chez M. Williams, rue du Vieux-Colombier. L'assemblée a arrêté que M. Williams en répondra, sur sa responsabilité et celle de M. Marcelot.’

Le procès-verbal du 3 septembre constate en outre ce qui suit :

‘Sur la pétition qui a été faite relativement à M. Duplain, qui était sorti hier des Carmes, où il était détenu comme prisonnier, il a été arrêté que MM. Luron et Guérin seraient commissaires pour accompagner M. Duplain en l'assemblée générale de la commune : l'assemblée de la section a arrêté qu'il serait conduit pour prononcer ce qui appartiendrait, d'après la sa.gesse de l'assemblée générale de la commune. 1371

La description de la scène par Joseph lui-même à la prison des Carmes est romancée, « j’y ai vue le Peuple, portant sur l’un la hache vengeresse, et offrant à l’autre le rameau d’Olivier. Interrogé, je reçus de lui ce signe de paix et ma liberté ». Il dit avoir été ensuite emmené par un gendarme qui lui aurait accordé l’hospitalité. L’on s’interroge et l’on se demande quels arguments ont bien pu convaincre aussi facilement les assaillants pour libérer Joseph ?

Pour essayer de rétablir la vérité voici la description de la même scène par Ange Pitou, Version beaucoup plus romanesque et cependant plus plausible : La prison des Carmes n’est pas épargnée. Depuis le matin quatre cents forcenés sont à l’œuvre, on déplore cent quatre vingt-dix-sept victimes, des ecclésiastiques de tous rangs. « La vendange est faite » dans le jardin, la chapelle, les appartements. Les assaillants se dirigent sous les toits, se frayant un chemin à coups de piques et de barres de fer, les portes sont enfoncées une à une. Au fond d’un corridor, ils se heurtent à la porte d’une chambre fermée. C’est la cachette de Joseph. On le somme d’ouvrir, il reste sans voix, « se cramponne le dos sur la porte, les deux pieds tendus comme un arc-boutant sur la poutre de l’édifice, qui forme une fourche dans le réduit ». Les assaillants demandent du secours, une heure plus tard, ils ne sont toujours pas parvenus à ouvrir la porte. Mais, peu à peu, la serrure est forcée, les gonds chancellent, Joseph résiste toujours. L’assaut recommence de plus bel à coup de chenets, des torches sont apportées pour mettre le feu, c’est alors que la porte cède. Les assaillants se ruent à l’intérieur, se précipitent sur Joseph. Celui-ci ne s’avoue pas vaincu, armé d’une barre de son lit, il fait face à l’adversaire, « dispute sa vie aux bourreaux ». Il en renverse plusieurs, la lutte est acharnée, quand tout à coup, Joseph chancelle et tombe entre les mains de ses agresseurs. Quelques rue plus loin, son cousin Pierre-Jacques, alors membre du conseil de la commune essaie de faire fléchir Robespierre, il implore sa clémence envers son cousin. Après trois longues heures de discussion Robespierre cède, une exception sera faite pour son cousin qui est sauvé in extremis des mains des égorgeurs 1372 . Pierre-Jacques arrive sur les lieux, trouve Joseph qui est tombé entre les mains de ses assaillants, il écarte les assassins, s’empare de Joseph et l’emmène à son domicile. Le lendemain, il le fait sortir de Paris 1373 . Pierre Caron estime à quarante le nombre de personnes épargnées aux Carmes, dont un laïc, Joseph 1374 .

Après une telle aventure, nous pensions que Joseph ne reviendrait pas dans la capitale. Mais l’exil ne convient pas à notre intrépide et le besoin de « batailler le ramène à Paris », déclare Ange Pitou. Arrivé dans la ville, il demande sa réintégration dans la prison et un jugement, il obtient l’un et l’autre. Il exige alors une « instruction régulière, contradictoire, capable de fixer l’opinion, capable de dissiper des nuages que des haines privées, des intérêts particuliers avoient amoncelés sur ma tête ». Il fait lever les scellés apposés sur ses papiers et un jugement du 17 septembre 1792 déclare sa conduite pure et le met en liberté. Il va même jusqu’à demander à Marat d’apposer sa signature sur le document. Cette thèse est confirmée par Michelet dans l’Histoire de la Révolution française, « Il fut relaché régulièrement par les administrateurs de la police… et mena une existence clandestine, entretenant des rapports avec les milieux royalistes » 1375 . Pour d’autres, comme Louis Audiat, « Duplain de Saint-Albine, libraire et journaliste avait réclamé sa liberté à Manuel et à Pétion comme n’étant point prêtre, il fut, le 29 août, envoyé par la section du Luxembourg au conseil général de la commune qui l’expédia à l’Abbaye, où il fut égorgé » 1376  :

‘Au mois de décembre 1792, après la découverte de la Conspiration de Lyon, Duplain avait cherché à disculper dans son journal un émissaire du prince de Condé, le chevalier Terrasse de Tessonnet, son parent, arrêté et conduit aux prisons de l’Abbaye pour sa participation à la tentative de soulèvement 1377 . ’ ‘M. Guillyn de Poujelon pleure. M. Terrasse Tessonet rit, et M d’Ecars jase comme une pie. Le plus sensé des trois n’est ni le 1er, ni le 3e. (voir conjuration par Amable Audin pour faire venir le roi à Lyon 1378 .

Ange Pitou écrit la Revue satirique des journaux parisiens, qui dépeint l’atmosphère qui règne à ce moment là :

‘On a bien tort de se plaindre que le commerce est anéanti à Paris, jamais cette ville ne fut plus florissante : autrefois il n’était pas permis d’imprimer des sottises, aujourd’hui chacun ne connaît que l’un de ces trois métiers : ou faire de l’esprit, ou vendre de l’esprit, ou acheter de l’esprit.
L’Opéra représenta jadis la chercheuse d’esprit. Mon Dieu ! Si cette femme eut le bonheur de vivre à Paris, dans un temps de Révolution, elle en aurait trouvé dans tous les coins des rues. Le chiffonnier avec son crochet ramasse plus d’esprit que les siècles passés n’ont produite de grands hommes. Audouin vend de l’esprit. Le Courrier Républicain fait de l’esprit. Feuillant est aussi instruit que le chifonnier du faubourg Saint-Antoine. Perlet rend la vue aux aveugles. Duval fait entendre les sourd. Jacquin fait parler les muets. L’Auditeur national ressucite les morts. L’Ami du peuple analyse la probité. L’orateur du peuple émeut les rochers. L’Ami des citoyens fait geler la Seine. Le Courrier de l’Egalité connaît l’alphabet. Le Courrier universel va dans 36 heures de Paris à Saint Cloud. Le Courrier extraordinaire met ses bottes à midi et fait 3 lieues dans 2 jours….’

Duplain ne doutait pas de son invincibilité, les propos du Courrier universel qu’il dirigeait, attaquaient violemment les Jacobins, « Robespierre en prit ombrage, on alla aux informations et lors d’une séance des Jacobins, le malentendu fut expliqué » 1379 . Le 2 décembre 1792, il imprime un article dans lequel il s’apitoie sur les malheurs de La Fayette, emprisonné à la citadelle de Vesel par les Autrichiens, et chaque jour torturé par ses geôliers. En réalité, Robespierre vient de comprendre qu’il y avait Duplain et Duplain, Pierre-Jacques le septembriseur et Joseph le septembrisé. Il fut très vexé d’avoir été dupe dans cette affaire, sa colère éclata aussitôt, « L’un est un patriote intègre, [vocifère-t-il] l’autre est un royaliste incorrigible, qui a oublié son événement de la Prison des Carmes, il recommence un journal à l’aide d’un prête nom ; mais le temps nous fera justice de cet intrigant » 1380 . Par bonheur, Pitou eut vent de la découverte de Robespierre, il en informa immédiatement Joseph et « averti sa garde de la vindicte de Maximilien » 1381 . Les hommes du journal se sentent malgré tout en sécurité d’autant plus que leur homme de paille Husson semble bien naïf :

‘Le prête nom… se chargeait sans crainte de tous les écrits sujets à la censure Révolutionnaire, sa bibliothèque était une collection de l’Ami du Roi [de Royou] et de la Gazette de Paris [de Du Rozoi]. Enfin, il se faisait appeler le Rédacteur en chef.’

C’est alors qu’Ange Pitou est dénoncé aux Jacobins ainsi que deux autres associés du journal, MM. Ladevèze 1382 et [Jacques-Corentin] Royou.

Une association de royalistes
La Gazette de Paris (1/10/1789-10/8/1792) dirigée par Farmian de Rozoi, « un champion de l’absolutisme monarchique 1383  » est aussi violemment contre-Révolutionnaire que « les Actes des Apôtres », tout en étant moins satirique. Il rédige le journal à peu près seul sur un ton déclamatoire et larmoyant. La « Gazette » publie des articles variés. Contrairement à Duplain, il n’assiste pas aux séances des Assemblées, mais ils recevaient les impressions des députés présents. Il semble partager les mêmes opinions politiques de Duplain de Sainte-Albine, puisqu’il approuve comme lui en 1789, la Déclaration des droits de l’homme, l’émancipation des juifs et le divorce. A partir de 1790, il devient un farouche opposant à la Révolution qui n’est, pour lui, qu’une série de révoltes, « révolte de l’orgueil contre la nature, de l’irréligion contre la foi, de l’esprit républicain contre la monarchie, du crime contre la justice, de l’impudeur contre les mœurs, des sujets contre leur roi  1384 ».
L ’Ami du Roi (1/9/1790-4-5-1792) de l’abbé Royou, journal ultra royaliste. Parallèlement paraît l’ « Ami du Roi » de Montjoie. Les deux journaux se ressemblent dans le forme et leur contenu, on les distingue grâce à leur numérotation, celui de Montjoie a un numérotage de pages continu, tandis que celui de Royou est distinct pour chaque exemplaire. L’abbé meurt le 22 juin 1792. Son frère, Jacques-Corentin qui l’a aidé dans la rédaction de sa feuille collabore ensuite à divers journaux sous le Directoire, peut-être est-ce lui l’associé de Duplain de Sainte-Albine ?

Duplain est discrètement mis sous surveillance et le journal continue de tourner, pendant que « Le bonhomme Husson se regardait comme un Palladium ». Ladevèze ne venait que rarement au journal et lorsqu’il le faisait, prenait d’énormes précautions. Malheureusement, au cours d’une de ses permanences, deux envoyés du Comité de salut public se présentèrent et lui demandèrent de pouvoir rencontrer le Rédacteur. « Je vais vous conduire chez lui » leur répond-il. Il les emmène au premier étage de la maison, appelle « le Rédacteur en chef », Husson répond aussitôt ce qui permet à Ladavèze de s’esquiver au plus vite. Les envoyés s’aperçoivent très vite que cet homme qui pérore n’est pas le leur. Ils le mettent en liberté en lui recommandant d’amener ses collaborateurs, « qui sont de bons citoyens, avec qui on veut faire connaissance ». Le « Rédacteur », enchanté de ses moyens et de ses succès, engagea fortement, mais en vain, M. Ladavèze « à se confier à la loyauté de ces braves agens du Salut public ». Pendant ce temps, Robespierre s’impatiente, ne voyant pas venir sa proie.

Apposition de scellés chez Joseph Duplain le 13 floréal an II, AN, F7 4694
Apposition de scellés chez Joseph Duplain le 13 floréal an II, AN, F7 4694
Apposition de scellés chez Joseph Duplain le 13 floréal an II, AN, F7 4694
Apposition de scellés chez Joseph Duplain le 13 floréal an II, AN, F7 4694

Alors que Joseph fait preuve d’une audace surprenante, se sentant protégé par son cousin Pierre-Jacques qui vient d’être nommé administrateur des postes, il est « dénoncé »de nouveau arrêté, enfermé à la prison de la Force le 13 floréal (2 mai 1794) an II. Cette arrestation semble avoir un lien avec le Courrier universel, mais nous n’avons pas retrouvé de chef d’inculpation. Le même jour, un ordre du Comité de sûreté général de la Convention fait apposer les scellés sur les presses et l’imprimerie de Joseph, cour Lamoignon par les citoyens Pasté, Amiel et Lemaire 1385 . Le 6 août 1794, Laignelot et Amar du Comité de sûreté générale demandent à deux gendarmes d’aller chercher Duplain à la prison de la Force pour le conduire à son domicile afin d’assister à la levée des scellés 1386 . Le 11 août Joseph est relaxé, un premier jugement provisoire est rendu par le comité :

‘Considérant qu’il y a de fortes raisons de croire que les préventions élevées contre lui sont sans fondement, arrête qu’avant de statuer définitivement sur l’affaire de Duplain, ce citoyen sortira de la maison de sûreté ou il se trouve actuellement détenu et qu’il sera provisoirement gardé par un gendarme dans son domicile 1387 .’

Dans la même journée, la section de l’Unité dénonce le transport d’un journal au Comité de salut public. La feuille intitulé Courrier universel ou l’Echo de Paris, des Départements et de l’étranger serait transportée« dans un porte manteau qui sort du Palais à six heures du soir, qui passe par la barrière Saint-Denis et est porté à Ecouen chez le nommé Sagneu, maître de poste ». L’affaire examinée, le Comité désigne le citoyen Tissier pour surveiller le Rédacteur et l’arrêter 1388 . D’août à octobre, il reste chez lui sous la surveillance d’un gendarme, il « attend avec résignation, un jugement définitif » 1389 lorsque le Comité de surveillance ordonne que toute personne gardée devra réintégrer les prisons. Joseph ne fait pas exception à la règle et se voit conduit le 15 septembre à la prison du Luxembourg :

‘J’aurois pu depuis le 7 août jusqu’à présent solliciter la levée de mon surveillant, mais il n’est pas dans mes principes d’aller au devant de la justice, « elle est due & ne se sollicite pas » cependant la vue de ce gendarme, Citoyens, met entre moi et mes frères une espèce de ligne de démarcation, cependant cet uniforme place sur ma figure un cachet de réprobation immérité sans doute mais qui m’avilit : jugez-moi donc, Citoyens, rendez-moi le rang que j’occupois dans la Société, je puis encore lui être utile, et soiez persuadés que si j’ai reçu de la nature quelques foibles talens ils ne seront jamais employés que pour le service de la République 1390 .’

C’est alors qu’à la suite à la découverte de « Lettres anglaises » dans un portefeuille à Paris, il est soupçonné de royalisme, on lui reproche de :

‘s’être déclaré ennemi du peuple en conspirant contre la liberté, la sûreté du peuple, provoquant par la révolte des prisons, l’assassinat & par tous les moyens possibles la dissolution de la Représentation nationale, le rétablissement de la royauté et de tout autre pouvoir tyrannique 1391 .’

Les « notes anglaises » trouvées dans un portefeuille, déposé au comité de salut public sont conservées aux Archives nationales à la suite d’un rapport de Barère fait au nom du Comité de salut public le 1er août 1793. Il s’agit d’une lettre datée du 29 juin 1793, sept heures du soir qui retrace des actions menées de l’Angleterre pour déstabiliser le pays. Chaque action citée est accompagnée d’une distribution de livres sterling, elle est signée « Votre affectionné cousin ». L’inconnu dénonce les Nations européennes qui fomentent contre la République pour « renverser la liberté & les droits imprescriptibles de la Nation française » 1392 . Le ton est alarmiste :

‘Et bien ! apprenez que le danger est pressant, universel & incalculable… le danger est pour nos ports ; nos arseneaux, nos établissements publics… pour nos armées… pour les cités dégradées par la rebellion… pour ces départements égarés… pour les habitants voisins de la Vendée 1393 .’

A la suite de celle-ci, une série de notes chronologiques de janvier à Juillet, dont voici un extrait :

‘Février : 6. Arrangé avec Duplain pour payer 2 500 par mois
Mars : 7. Payé Duplain 2 500
Avril : 6. Envoyé un ordre à Duplain 2 500
Mai : 6. Envoyé à Duplain 2 500
Juin : 6. Envoyé à Duplain en billets 2 500 1394

Les « Lettres » font imputer le complot aux seuls anglais, « Voilà donc la Guerre civile préparée par les Anglais, alimentée par les Anglais, foudroyée par l’Angleterre » 1395 . Le Comité cherche à identifier Duplain. D’après Joseph, un premier mandat d’arrêt est lancé contre un dénommé Duplain de la section de Marat. Celui-ci interpellé clame son innocence, résiste au mandat d’amener, convainc le juge paix de cette section d’en arrêter un autre, on vient chercher Joseph qui habite sur une autre section, « ne reconnaissant à l’égard de la loi, qu’une obéissance passive, je me laisse traîner ignominieusement à la Force ». Du fond de son cachot, Joseph tente de se disculper et organise sa défense. Celle-ci passe par une étude approfondie des « Lettres ». Cela l’amène à tirer deux conclusions : Il a été arrêté à la place d’un autre Duplain, parisien, et le Duplain désigné dans les Lettres n’est pas parisien mais lillois. Voici sa démonstration :

‘« Le 6 février, arrangé avec Duplain de lui payer 2 500 livres » - « Arrivé à Paris le 15 ». Si ce voyageur a fait une convention le 6 février avec un Duplain dont il ne donne ni le nom de Baptême ni la demeure et qu’il soit arrivé le 15 à Paris, il reste démontré que ce n’est pas avec un Duplain habitant de Paris qu’il a passé cette Convention, que ce ne peut être avec moi qui n’ai jamais quitté cette ville et ou ma présence est, jour et nuit constatée par vingt commis ouvriers ou autres personnes avec lesquelles j’ai des rapports urgents et jamais interrompus, mais il ne me suffit point, Citoyen, de prouver que le voyageur anglais n’a pas traité avec un Duplain de Paris, il faut vous démontrer mathématiquement que le traitre, s’il existe, est à Lille ; Ecoutez encore le voyageur anglais, dans un nouveau paragraphe de son itinéraire. « Mars 1, dépensé à Lille 375 livres – 2 mars reçu 6 000 livres – 5 mars, envoyé à Paris J.A. – 7 Payé à Duplain 2 500 livres ». C’est donc à Lille que l’agent de Pitt a payé à un Duplain 2 500 livres 1396 .’

A la suite d’une première réclamation de Duplain auprès du Comité de sûreté générale concernant ces deux points, ce dernier charge les Citoyens Guffroy et Laignelot de lever les scellés chez Duplain 1397 .

Notes
1363.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 22 décembre 1790

1364.

Engerand Fernand, Ange Pitou, agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846), Paris, Ernest Leroux, 1899, p. 25

1365.

Vingtrinier Emmanuel, « Le Lyonnais J.B. Duplain : créateur du premier journal d’informations rapides et ses premières messageries de la presse », Salut public, 10/2/1931, 1p.

1366.

Engerand, Fernand, op. cit., p. 33

1367.

Benoît Bruno, Les Grandes dates de la Révolution française, Paris, Larousse, 1988, p. 43

1368.

Vingtrinier Emmanuel, Op. Cit., 1p.

1369.

Ibid

1370.

Les Martyrs, Tome XI, La Révolution (1791-1794), Receuil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu’au XXe siècle, traduites et publiées par le R.P. Dom H. Leclercq, moine bénédictin de Saint-Michel de Farnborough, 1911

http://www.abbaye-saint-Benoît .ch/martyrs/martyrs0011.htm

1371.

Ibid

1372.

Pitou Ange, Une vie orageuse et des matériaux pour l’histoire, Paris, LA Pitou, 1820, p. 64

1373.

Engerand Fernand, Op. Cit., pp. 40-41

1374.

Caron Pierre, Les Massacres de septembre, Paris, La Maison du livre français, 1935, p. 98

1375.

Michelet Jules, Histoire de la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989, 2 vol. Ed. établie et commentée par Gérard Walter, Tome I

1376.

Audiat, Louis, Deux victimes des septembriseurs : Pierre-Louis de la Rochefoucauld, dernier évêque de Saintes et son frère, évêque de Beauvais, Lille, Paris, Société de Saint-Augustin Desclée, de Brouwer et Cie, 1897, document electronique http://www.wissensdrang.com/daix5fr00.htm

1377.

Vingtrinier Emmanuel, Op. Cit., 1p.

1378.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 25 décembre 1790

1379.

Engerand, Fernand, Op. Cit., p. 44

1380.

Pitou Angle, Une vie orageuse et des matériaux pour l’histoire, Paris, LA Pitou, 1820, p. 71

1381.

Engerand, Fernand, Op. Cit., p. 70

1382.

Certainement Nicole de Ladevèze qui publie le “Journal français ou Tableau littéraire de Paris” du 15 novembre 1792 au 2 juin 1793, qui débute par une virulente protestation contre les massacres de septembre. In Histoire générale de la presse française, tome 1, p. 504

1383.

Histoire générale de la presse française, tome 1, p. 482

1384.

Ibid

1385.

Duplain Joseph Benôit - A.N., F7 4694

1386.

Ibid

1387.

Ibid

1388.

Délibérations du Comité de surveillance deParis, – A.N., BB/3/81 A, fol. 181

1389.

Duplain Joseph Benôit - A.N., F7 4694

1390.

Ibid

1391.

Duplain Joseph - Benoît, Journaliste, 21 Messidor, an II – A.N., W-410, n° 943

1392.

Convention nationale. Texte et nouvelle traduction des lettres et notes anglaises trouvées dans un portefeuille anglais déposé au comité de salut public et depuis aux Archives nationales, par décret du dimanche 4 août. Imprimés par ordre de la Convention nationale, Paris, Imprimerie nationale, p. 1

1393.

Ibid, pp. 6-7

1394.

Ibid, lettre en annexe

1395.

Ibid, p. 12

1396.

Duplain Joseph Benôit - AN, F7 4694

1397.

Ibid