3.2.2 – Joseph-Benoît, conspirateur royaliste : réfutation de la thèse d’Olivier Blanc

Olivier Blanc, journaliste, dans ses ouvrages, Les hommes de Londres : histoire secrète de la Terreur (1989), La corruption sous la Terreur : 1792-1794 (1992), et Les espions de la Révolution et de l’Empire (1995), accrédite la thèse que Joseph et Pierre-Jacques Duplain, sont des agents secrets payés par l’Angleterre. Nous avons essayé de reprendre ses arguments et de les vérifier. En premier lieu, il est bon de dire qu’Olivier Blanc confond lui aussi les cousins, prenant allègrement l’un pour l’autre. Voici le premier lien qu’il tisse entre les Duplain, Francis d’Yvernois et du Rouveray pour montrer leur rôle comme agent secret du gouvernement britannique. Soulavie, prêtre d’origine Vivaroise, vicaire général du diocèse de Châlons, s’est fait un nom comme théologien et géologue dans les milieux de la haute aristocratie. C’est un réformateur aux idées avancées. Il prête serment à la Constitution civile du clergé et se marie. Son habileté et son extraordinaire connaissance du terrain diplomatique et des principaux acteurs en Europe amène le gouvernement à lui confier une mission à caractère diplomatique en Suisse. Voici ce qu’il écrit sur Marat :

‘Marat, sorti de Genève en 1782 et fanatisé à Londres où il retourna en 1790, poursuivi par La Fayette, revint en 1791 se mettre à la tête des Cordeliers, principaux agitateurs de la populace. Ses deux collègues étaient Gasc, associé de l’Yvernois dans l’administration des subsides anglais, et Janot-Lançon. C’est près de ces aventuriers que je fus envoyé par la République française et c’est contre eux que j’eus à lutter, surtout quand je leur prouvai que, sous le voile trompeur de leur démocratie, ils étaient les instruments et le canal de la distribution dans Lyon des sommes envoyées par la cour de Londres aux chefs patriotes et aux chefs royalistes qui dévastèrent en 1793 ce point central de notre commerce » 1398 .’

Pour Olivier Blanc, Francis d’Yvernois et Du Roveray étaient des « agents appointé du gouvernement britannique » ; de même que Claude Baroud, ancien notaire lyonnais, spéculateur parisien célèbre, ami de longue date de Joseph. Il met ce dernier au cœur d’un dispositif de financement des deux camps adverses, de connivence avec « l’influent imprimeur jacobin Pierre Duplain, co responsable des massacres de Septembre, et avec son cousin Duplain de Sainte-Albine, agents actifs du service secret britannique » 1399 . Pierre-Jacques n’a jamais été dans le cercle d’amis de Barou et Joseph.

Pour ce qui est de l’affaire des « Lettres anglaises », Blanc se trompe une fois de plus, il écrit que :

‘L’acte de corrompre ou de se laisser corrompre ne laisse généralement pas de traces, sauf dans le cas de correspondances fortuitement interceptées, arrivées jusqu’à nous et dans lesquelles on trouve parfois des reçus. Si ces trouvailles sont rares, elles sont parfois explosives : ainsi… les notes de compte d’un chef de réseau d’espionnage anglais révélant le versement régulier de telles sommes à Pierre-Jean Duplain, ancien libraire, recruté avec Jourdeuil par les députés véreux Panis et Sergent pour exécuter les massacres de septembre 1792 1400 .’

Comme nous l’avons vu, le seul nom de Duplain est écrit dans les Lettres, et ce n’est pas Pierre-Jacques qui est inquiété mais Joseph son cousin, le rédacteur du Courrier universel :

‘Barras et Sénar disaient donc vrai quand ils affirmaient que Duplain était un agent anglais. Ce libraire-espion, rédacteur du Courrier universel et protégé de Danton, était l’un des principaux agents de l’étranger en l’an II et, d’après la Lettre anglaise, c’est par son intermédiaire que de fortes sommes transitaient pour être distribuées à des fins de corruption 1401 .’

En réalité, c’est Barère chargé d’écrire le rapport sur les Lettres anglaises qui a pris l’initiative de traduire les noms qu’il avait sous les yeux :

A la mention « le duc », Barère a ajouté « ce doit être le duc d’York ». Il voit en « Ormereau » l’anagramme de « Moreau » et identifie formellement Duplain comme étant Pierre-Jean Duplain 1402 . Ces notes demeurées confidentielles ne sont jamais sorties des papiers privés de Barère où elles sont toujours, acquises par Hippolyte Carnot, elles sont conservés par ses descendants au château de Presles 1403 . Blanc relève une erreur d’interprétation qui a coûté la vie à Arthur Dillon, l’ami de Camille Desmoulins : le nom de Dillon apparaît dans les notes à la date du 2 avril avec la mention « lettre de Dillon ». Il s’agit d’un homonyme, l’abbé irlandais Arthur Dillon, supérieur du collège irlandais de Douai. Trouvant l’occasion de nuire à Camille Desmoulins à travers le général Dillon, Barère convainquit ses collègues de sa culpabilité alors qu’il était arrêté ces mêmes jours pour d’autres motifs : « Je ne puis concevoir quelle est la nouvelle indignité que l’on me prépare, écrivait-il à Camille Desmoulins, et comment ni par quelle raison mon nom se trouve fourré dans l’histoire du portefeuille dont on a parlé à la Convention. Rendez-moi le service de savoir ce que c’est afin que je puisse confondre cette nouvelle calomnie » 1404 . Il fut exécuté quelques mois plus tard. La même erreur peut très bien avoir été faite volontairement pour Joseph. Il faut noter ici que la dissimulation de preuves, la lecture partielle des documents, la diffusion au compte goutte des pièces en fonction de la conjoncture politique, était une pratique courante du Comité de Salut public. Barère rapporte dans ses « Mémoires » qu’un paquet envoyé de Toulon à Carthagène et trouvé dans une frégate napolitaine chargée de la porter à Charles III renfermait, outre le traité de Pilnitz, une carte de l’Europe gravée à Londres, où la place de la France était laissée en blanc ; et une carte de la France où étaient indiqués les ports réservés à chacune des puissances. Ces pièces sont portées au Comité de salut public qui les accueille avec une indignation tranquille et décide qu’on attendra « une occasion » pour les communiquer à la Convention 1405 .

Une autre source indiquée par Blanc est celle de Sénart. Il s’agit du manuscrit des Mémoires de Gabriel-Jéôme Senart, employé au Comité de sûreté générale, Mémoires qui ont été léguées à M. d’Ossonville qui en cède la propriété en 1823 à Alexis Dumes. Il qui décide de les publier l’année suivante. Alors que l’introduction nous met l’eau à la bouche « Français, et vous hommes de tous les pays, qui observez la Révolution française, suivez-moi : je vais vous conduire dans les repaires des « égorgeurs », des assassins privilégiés, des conspirateurs secrets ». Nous ne trouvons qu’une seule mention des Duplain. Il s’agit de Pierre-Jacques qui est cité pour sa participation à l’organisation des massacres de septembre, « Ces pièces font suite nécessaire aux circulaires de Marat, de Jourdeuil, Duplain et autres » 1406 . Parmi les sources données par Olivier Blanc, aucune ne permet d’affirmer une quelconque implication de Joseph, bien que celle-ci semble probable, par contre l’on peut dire que l’implication de Pierre-Jacques dans un complot avec l’étranger ne peut être que farfelue. Alors, peut-être faut-il croire Joseph qui déclare avec emphase en 1790 :

‘Nous ne croyons pas à des projets de contre Révolution que nos folliculaires sèment dans tous les coins… Et si une fois le peuple a franchi les bornes de la pudeur, si une fois il a pillé, nous vous le demandons, Messieurs, quelle digue opposerez-vous à ce torrent, quelles propriétés seront respectées, et à quoi servira cette belle constitution arrosée de tant de larmes ? Le roi prépare une superbe proclamation, il faut en savoir gré au généreux monarque, mais ce n’est pas avec la voix qu’on peut retenir le lion muselé et mourant de faim, c’est avec du pain. Dans la demande que nous avons faite du papier nationale depuis le commencement de la Révolution, nous avons eu pour nous la satisfaction d’être écouté, mais trop tard ; nous demandons aujourd’hui à cor et à crie des assignats de petite somme ; et tandis que la circulation des coupons jusques dans la classe la plus diligente nous indique le remède, nous nous obstinons à retarder cette émission bienfaisante. D’où vient donc cet aveuglement ? Ah : disons plutôt ce refus, cache un crime, un crime atroce qui appelle la vengeance du peuple sur la tête du coupable 1407 .’

Reste qu’il est proche voire associé avec l’abbé du Rozoi qui prend la défense des réfractaires et collecte des dons en leur faveur. Sa « Gazette » pousse à l’émigration et une fois la guerre déclarée, célèbre leurs victoires et celles des armées autrichiennes et prussiennes 1408 , « Royalistes fidèles… respirez enfin, respriez ; les temps sont arrivées… Du sein de la Cour de Coblentz… la flamme sacrée va parcourir du Nord au Midi et du Levant au Couchant toutes les parties de l’empire français » 1409 . Après avoir fait réaliser un rapport par Guffroy et Laigenelot, un premier jugement est rendu à Joseph :

‘Le Comité de Sureté générale considérant qu’il y a de fortes raisons de croire que les préventions élevées contre le Citoyen Duplain sont sans fondement arrête qu’avant de statuer définitivement sur le fond de son affaire, ce citoyen sortira de la maison de sûreté dite de la force ou il se trouve actuellement détenu et qu’il sera provisoirement gardé par un gendarme 1410 .’

Joseph déclare que la liste de suspects tirée des Lettres anglaises est fausse, qu’il s’agit d’une machination dont les preuves sont dans les archives du Comité de salut public 1411 . Le Comité a bien confirmé son premier jugement qui le préjugeait innocent des accusations portées contre lui mais par précaution on demande à Duplain de fournir des exemplaires du Courrier universel afin d’ « éclairer » les membres du Comité sur ses opinions. Joseph doit maintenant se défendre des accusations portées contre son journal. Dans un mémoire réalisé et écrit par son avocat, le 2 frimaire an II (22 novembre) mais signé par Joseph ainsi que dans un rapport écrit de la main de Joseph le 5 frimaire (24 novembre), il fournit une série de pièces justificatives à ses juges. Tout d’abord il se justifie par rapport à la publication de son journal, le Courrier universel et donne des témoignages de lecteurs :

‘Je produirai vos principes républicains et je vous procurerai des abonnés – Signé Jallon du Meste sur Sarthe
Continuez citoyen rédacteur, a rédigé votre Journal suivant les principes de la Sainte Montagne, et vous aurez pour souscripteur tous les vrais patriotes – Signé Juge de Rumilli, département du Mont Blanc.
Je ne connais les évènements que par votre journal, c’est le seul que je veuille connoître, le trouvant rédigé avec l’esprit du républicanisme le plus pur – A Tournon en Vivarais, Chazotte.’

Son mémoire de défense est ponctuée de phrases ampoulées, au ton théâtral :

Où est l’observateur qui en lisant l’exposé que je viens de faire, ne voit pas dans les persécutions que j’éprouve, la main invisible qui depuis longtemps cherche a enchaîner la plume de l’écrivain qui propage les bons principes.

‘Où est celui qui en combinant, en rapprochant les incarcérations les persécutions dont les vrais patriotes sont les déplorables victimes, n’apperçoit pas les effets du sistème perfide qui tend à désunir les amis de la patrie, pour opérer une désorganisation universelle, dégouter le peuple, le forcer de recevoir le tyran des mains de Pitt et Cobourg. 1412

Il donne les preuves de son Républicanisme :

‘1 – Dans le Courrier universel que je rédige,
2 – dans un arrêté des Représentans du peuple à Orléans du 13 may, qui en proscrivant une foule de journaux recomande la lecture du Courrier universel.
3 – Dans la défense que j’ai prise hautement des fidèles montagnards, contre les titans audacieux qui ont menacé les Dieux et en ont été écrasés, ce qui a valu au journal que je rédige un témoignage bien honorable sans doute, l’éloge qu’en a fait le citoyen Amard dans le sein même de votre Comité.
4 – Dans la prohibition qui vient d’être faite à Toulouse du Journal françois auquel les patriotes ont substitué le mien 1413 .’

Finalement il est libéré le 9 pluviôse an 2 (Janvier 1794) sur exécution de l’ordre du comité de sûreté générale. A sa libération, le journal et son rédacteur disposèrent de deux mois de répit avant que le citoyen Tresset fils, habitant de Boulogne-sur-Mer, ne déclare le 26 mars 1794 (5 germinal an II), au Comité de surveillance de Paris, à propos du Courrier universel, « Ladite feuille semblant indiquer aux ennemis extérieurs les endroits faibles par où ils attaqueraient avec le plus de succès » 1414 . La dénonciation prise très au sérieux est transmise au Comité de salut public qui l’instruit rapidement 1415 . L’affaire est rondement menée puisque dans le même mois, l’imprimerie est repérée, le rédacteur identifié 1416 . Il s’agit du Courrier universel de Duplain, encore lui ! A la suite de la parution d’un article Conjectures sur la campagne prochaine, publié dans le Courrier universel du 17 ventose (7 mars), Joseph est arrêté. On lui reproche d’avoir publié un article alarmiste dans lequel il dénonce la pénurie des subsistances en France, la rareté du salpêtre et d’avoir montré que cette situation favorise les projets des ennemis.

Notes
1398.

Blanc Olivier, Les espions de la Révolution et de l’Empire, Paris, Perrin, 1995, pp. 91-92

1399.

Ibid

1400.

Blanc Olivier, La corruption sous la Terreur : 1792-1794, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 13

1401.

Ibid, p. 64

1402.

Ibid, p. 64

1403.

Ibid, p. 202

1404.

Ibid, p. 65

1405.

Cottin Paul, L’Angleterre devant ses alliés : 1793-1814, Paris, Aux Bureaux de la Revue Rétrospective, 1893, pp. 51-53

1406.

Senar Gabriel-Jérôme, Révélations puisées dans les cartons des comités de salut public et de sûreté nationale ou mémoires (inédits) de Sénart, agent du gouvernement Révolutionnaire, publié par Alexis Dumes. n.il, Paris, chez les principaux libraires de France, 1824, p. 40

1407.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 3 décembre 1790

1408.

Histoire générale de la presse française, tome 1, p. 483

1409.

La Gazette de Paris, 24/7/1792

1410.

Duplain Joseph Benôit - AN, F7 4694

1411.

Ibid

1412.

Duplain Joseph Benôit - A.N., F7 4694

1413.

Duplain Joseph Benôit - A.N., F7 4694

1414.

Délibérations du comité de surveillance de Paris - A.N., BB 3, 81B, fol. 216-217

1415.

Ibid, fol. 47

1416.

Ibid, fol. 47