3.2.3 – La Fournée du Luxembourg

Il reconnaît avoir copié cet article diffusé dans le n° 17 du Courrier du Bas Rhin du 26 février 1794. Il nie avoir été abonné à ce journal, il se contentait de relever le courrier de son voisin le citoyen Mattuay retourné dans son pays natal à Chalons sur Saône. Alors qu’il est accusé d’informer les citoyens français des mouvements des troupes ennemies, Joseph rétorque qu’il voulait faire connaître les intentions des ennemis tout en ajoutant « des nottes pour pulvériser tout ce qui pouvait être contraire aux intérêts de la République » 1417 . Au détour d’un interrogatoire de Joseph par deux administrateurs du département de police, nous apprenons qu’il faisait paraître deux journaux, le premier était mis sous presse à seize heures, il ne contenait que la moitié ou le quart de la séance de la Convention. Ce numéro, envoyé à Amiens, gagnait vingt-quatre heures (raison officielle) sur les autres journaux. Le deuxième journal contenait la fin de la séance de la Convention et était mis à la poste de Paris le lendemain matin. Les administrateurs lui font remarquer qu’en réalité le premier journal est beaucoup mieux renseigné que le second. Joseph trouve une parade et déclare que certains articles sont supprimés au profit d’autres plus tardifs et plus intéressants. Il envoie trente ou quarante exemplaires du Courrier universel au Comité de salut public et comité de sûreté générale pour faire connaître son travail. En réalité, Joseph avait trouvé un subterfuge intelligent, il y avait deux Courriers et par conséquent deux lectorats. Le premier sous prétexte de relater les séances de la Convention était en réalité un moyen d’informer les lecteurs des mouvements aux frontières et de donner des indications précieuses aux contre Révolutionnaires, celui-ci partait à seize heures de Paris « sous le manteau ». Le second n’était qu’un « journal » qu’il envoyait aux membres des comités pour prouver sa bonne foi et brouiller les pistes. D’ailleurs, les différentes plaintes que nous avons relevées viennent le plus souvent de la province. En juin 1793, le journal avait échappé à la vigilance du Comité, qui avait fermé les barrières de Paris afin d’empêcher les journaux de sortir de la ville. Joseph fut contraint de ne produire qu’un numéro pour les 5 et 6 juin, dès le 7 la production est relancée. Le Courrier universel ayant été de nouveau autorisé à circuler 1418 .

Cette fois, l’affaire « se corse », il semble que les conditions de détention de Joseph après le mois d’avril 1794 ne lui aient pas permis de produire des mémoires de défenses, nous n’en n’avons retrouvé aucun. Trois mois plus tard, nous prenons connaissance des motifs de sa condamnation, on lui reproche de :

‘S’être déclaré ennemi du peuple en conspirant contre la liberté, la sûreté du peuple, provoquant par la révolte des prisons, l’assassinat & par tous les moyens possibles la dissolution de la Représentation nationale, le rétablissement de la royauté et de tout autre pouvoir tyrannique. (note).’

Etait-il véritablement impliqué dans la conspiration du Luxembourg ou bien Robespierre a-t-il trouvé ce prétexte pour se débarrasser définitivement de lui ? Nous obtons pour la deuxième suggestion, Joseph commence à imaginer une issue fatale à son aventure. Il ne peut plus compter sur Pierre-Jacques qui a été emprisonné également sur la demande de Robespierre afin qu’il ne puisse intercéder en faveur de son cousin. L’on sait par Ange Pitou que Pierre-Jacques du fond de sa prison essayait de le tirer de ce mauvais pas 1419 . Joseph tente une ultime action désespérée, il propose à Fouquier-Tinville de faire des révélations d’une importance capitale :

‘Je t’écris citoyen de la conciergerie, sur un chiffon, n’ayant pas d’autre papier. J’ai quelque chose à te révéler qui sera pour la République, pour ton tribunal et pour toi même d’une grande utilité. Envoie-moi chercher par un gendarme. Salut, fraternité.
De la conciergerie, le 19 Messidor 1420 . ’

Les révélations furent-elles faites, si oui elles ne furent pas suffisantes pour sauver Joseph. Emprisonné depuis trois mois, il fait partie de la « fournée » dite de la « conspiration du Luxembourg ». Nous sommes bien loin de la fin idyllique imaginée par Robert Darnton « Il [Joseph Duplain] sert le roi à Versailles, signe ses lettres ‘Duplain de Sainte-Albine’ et passe sans doute les dernières années de sa vie en petits soupers et en réceptions dans les châteaux » 1421 . Il est condamné à mort par le tribunal révolutionnaire le 21 messidor an 2 (9/7/1794), décapité sur la place du Trône 1422 . Sur cinquante personnes, un seul sera acquitté et un enfant de quatorze ans condamné à vingt ans de détention. Quarante-huit personnes sont livrées au bourreau dont le plus jeune a seize ans, beaucoup de nobles mais aussi des marchands, des coiffeurs, des épiciers. La dépouille de Joseph sera déposée dans l’une des deux fosses communes du cimetière de Picpus à Paris. Il laisse une femme Marie-Jeanne Allier de Hauteroche et quatre enfants mineurs. Sa fille aînée Jeanne-Sophie, âgée de seize ans 1423 épousera Guillaume Mazuel 1424 , marchand bijoutier à Paris quelques mois plus tard (7 frimaire an III, 17/12/1794). Benoît-Alexandre est âgé de dix ans, Françoise, neuf et Emé-Louis-Joseph cinq ans. Lorsque les enfants demanderont la restitution des papiers de leur père en 1796, Jeanne-Sophie sera l’unique héritière de Catherine-Sophie Terrasse, de plus elle bénéficie d’un quart des biens de son père de même que ses deux frères et sa sœur 1425 .

D’autres journalistes sont exécutés : Linguet ; Charnois, directeur du Spectateur national, qui, à partir du 28 avril 1790 avait hérité du Modérateur  ; Fontanes ; Parisot, rédacteur de la Feuille du jour qui avait été supprimée le10 août 1792 ; l’abbé Bouyon, l’un des rédacteurs d’ A deux liards mon journal, feuille contre-Révolutionnaire disparue aussi le 10 août ; Boyer, le directeur du Journal des spectacles, publié du 1er juillet 1793 au 10 brumaire an II (31/10/1793).

Au même moment Robespierre est en difficulté, il compte de plus en plus d’ennemis. Le 8 thermidor, il attaque ses adversaires devant la Convention et rejette sur eux les excès de la Terreur sans toutefois vouloir les nommer ce qui va causer sa perte. Le 9 thermidor (27 juillet), la Convention ouvre sa séance à onze heures, Saint-Just et Robespierre sont empêchés de parler, « La Révolution est perdue, les brigands triomphent ! », s’écrie Robespierre 1426 . Dans la soirée du 9, Robespierre est blessé et amené sur un brancard aux Tuileries, ordre est donné de le soigner « afin de le mettre en mesure d’être puni » 1427 . Il est porté dans une salle du comité où il attend de trois heures à huit heures du matin du 10 thermidor (27 juillet), exposé aux sarcasmes de ceux qui, hier encore, tremblaient devant lui 1428 . Après un jugement rapide, il est exécuté le même jour place de la Révolution. Ironie du sort, il meurt dix-huit jours après Joseph. Qui sait si celui-ci n’aurait pas été sauvé si Robespierre n’avait pas disparu plus tôt ?

Notes
1417.

Duplain Joseph Benôit - A.N., F7 4694

1418.

Courrier universel, 4/6/1793 et 6/6/1793

1419.

Pitou Louis-Ange, Une vie orageuse et des matériaux pour l’histoire, Op. Cit., Vol. 1, pp. 72-73

1420.

Duplain Joseph-Benoît, journaliste - A.N., W 146, dossier 2

1421.

Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie 1775-1800 : un best-seller au siècle des Lumières, Op. Cit., p. 292

1422.

Suite de l’état des pièces remises à la régie de l’enregistrement des domaines et des biens des émigrés pour faire le recouvrement de l’actif. Duplain[Joseph], A.N. - T 1684, n°

1423.

Baptême de Jeanne-Sophie Duplain, 17/11/1778 [née le 16/11] – AML, 1GG640, film 289, n° 627

1424.

Mariage Mazuel, Duplain, 7 frimaire an III (17/12/1794) – Arch. de la Seine, 5 Mi 1 2009

1425.

Husson, papiers Duplain [Joseph] – A.N., T 1674, n° 622

1426.

Jacotey Marie-Louise, Le Tribunal Révolutionnaire au service de la Terreur, Langres, Dominique Guéniot, 1995, p. 160

1427.

Ibid, p. 166

1428.

Ibid, p. 166