3.3.1 - Pierre-Jacques à la tête des septembriseurs

S’il est au cœur du mouvement, Pierre-Jacques ne sera jamais en première ligne. Est-ce une volonté de sa part ? Est-ce le cours des événements qui en a voulu ainsi. Nous savons cependant que « Marat l’avait compris dans sa liste d’hommes qui ont le mieux mérité de la patrie » et devant être élus à la Convention. Il n’obtint qu’une seule et unique voix, et dut se contenter du modeste emploi d’administrateur de police 1436 . Bien qu’il soit un homme de l’ombre, nous l’avons identifié comme ayant participé à quelques événements. Le premier rôle qu’il joua dans la Révolution fut dans l’épisode des massacres de Septembre. Quel place a-t-il tenue ? Le Comité de surveillance de la Commune dont il fait parti 1437 est chargé de la police politique, il s’agit d’un organe de direction crée le 11 août 1792 (définitivement constitué les 14 et 15 août) pour les Comités des sections, avec une chambre d’enquête sur les délits politiques, et un bureau d’enregistrement des dénonciations. Il se distingue du Département de police, qui a été conservé. Entre le 15 et le 30 août, il est composé de quatre administrateurs de police, Panis, Sergent, Jourdeuil et Duplain, assistés d’une quinzaine d’autres membres. Le 30, il est cassé par le Conseil général, Panis chargé de le reconstituer rappelle ses trois collègues. Le 2 septembre la petite équipe nomme les adjoints, Lenfant, Guermeur, Leclerc, Duffort, Marat, Deforgues, Cally. Voilà constitué le groupe d’hommes qui va porter la responsabilité des massacres de Septembre. La preuve incontestable de leur participation est une circulaire du Comité de surveillance du 3 septembre dont l’original manuscrit a disparu, semble-t-il dès l’époque même de la rédaction 1438 . En voici le texte :

Frères et amis,

‘Un affreux complot tramé par la cour pour égorger tous les patriotes de l’empire français, complot dans lequel un grand nombre de membres de l’Assemblée nationale se trouvent compromis, ayant réduit, le 8 du mois dernier, la commune de Paris à la cruelle nécessité de se ressaisir de la puissance du peuple pour sauver la nation, elle n’a rien négligé pour bien mériter de la patrie, témoignage honorable que vient de lui donner l’Assemblée nationale elle-même. L’eût-on pensé dès lors de nouveaux complots non moins atroces se sont tramés dans le silence ?
La Commune de Paris se hâte d’informer ses frères de tous les départements qu’une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple : actes de justice qui lui ont paru indispensables pour retenir par la terreur les légions de traîtres cachés dans ses murs, au moment où il allait marcher à l’ennemi ; et sans doute la nation entière, après la longue suite de trahisons qui l’ont conduite sur les bords de l’abîme, s’empressera d’adopter ce moyen si nécessaire du salut public, et tous les Français s’écrieront, comme les Parisiens : Nous marchons à l’ennemi ; mais nous ne laisserons pas derrière nous ces brigands pour égorger nos enfants et nos femmes.
Frères et amis, nous nous attendons qu’une partie d’entre vous va voler à notre secours, et nous aider à repousser les légions innombrables de satellites des despotes conjurés à la perte des Français. Nous allons ensemble sauver la patrie, et nous vous devrons la gloire de l’avoir retirée de l’abîme.
Les administrateurs du comité de salut public et les administrateurs-adjoints réunis
PJ Duplain, Panis, Sergent, Lenfant, Jourdeuil, Marat l’Ami du peuple, Deforgues, Leclerc, Duffort, Cally, constitués par la commune et séant à la mairie.
A Paris ce 3 septembre 1792
NB. Nos frères sont invités à remettre cette lettre sous presse, et à la faire passer à toutes les municipalités de leur arrondissement.’

Pierre Caron s’interroge sur les conditions matérielles de rédaction de cette circulaire. Qui a tenu la plume ? L’original imprimé porte les signatures de neuf membres du Comité, sur onze, les signatures manquantes sont celles de Leclerc et de Guermeur. D’après Panis, dans sa brochure apologétique de 1814, Marat aurait rédigé seul, d’autorité, la circulaire, et il aurait répondu par des menaces grossières à ceux de ses collègues qui hasardèrent quelques représentations. D’autre part, il existerait un exemplaire des Mémoires de Garat, ayant appartenu à Sergent et contenant les annotations de lui : dans l’une d’elles, Sergent reconnaîtrait avoir rédigé la circulaire. Dans les notes provenant de lui qu’a publiées N. Parfait, le même Sergent présente une version longue et entortillée 1439 . Nous rajoutons à ces versions une autre preuve de sa participation, qui consiste en une gravure sur cuivre de la scène représentant Duplain, Panis, Sergent, Deforgues et Jourdeuil rédigeant la circulaire ; Tallien leur annonce que tout va bien ; Mehée distribue les armes aux septembriseurs ; en toile de fond nous apercevons des prêtres jetés par les fenêtres et massacrés. Ce dessin est extrait d’un ouvrage de 1797 rédigé par Un vrai Patriote de 89, Le Fléau des tyrans et des septembriseurs, ou réflexions sur la Révolution Françaises ; Ouvrage dans lequel on traite de la Souveraineté du peuple, de l’Esclavage, de la Liberté, de la Royauté, de la République, des Economistes, des Chevaliers du Temples, Illuminés & Franc-maçons, &c. &c. &c.

Photographie : Page de titre le « Fléau des tyrans »
Photographie : Page de titre le « Fléau des tyrans »
Photographie : Frontispice le « Fléau des tyrans »
Photographie : Frontispice le « Fléau des tyrans »

Voici comment Danican présente l’événement :

‘Lorsque les magistrats du peuple, les frères rouges de la commune du 10 août, arrêtoient l’égorgement des prisonniers de Paris, Oh ! ces patriotes n’étoient pas des hypocrites, ils alloient bon jeu, bon argent & vouloient le SALUT DU PEUPLE. La main sur la conscience ils signoient cette fameuse circulaire du 3 septembre 1440 .’ ‘La circulaire où Marat recommandait le massacre, au nom de la Commune, et qu’il avait fait passer sous le couvert du ministère de la justice (grâce à la lacheté de Danton), cette circulaire faisait son chemin de département en département 1441 .’

L’examen typographique du texte réalisé par Caron permet de dire que le texte est sorti des presses de Marat, mais il aurait aussi bien pu sortir des presses de Pierre-Jacques ; une analyse plus poussée pourrait peut-être avérer ce fait. La portée du texte ne fut pas à la hauteur de l’espérance de ses auteurs, là où il arrive, il ne rencontre guère que protestation, inertie et indifférence. Dans les centres où une explosion est imminente, elle ne peut ajouter beaucoup aux causes de fermentation 1442 . Nous avons reconstitué assez difficilement la participation de Pierre-Jacques aux différentes assemblées. Il participe aux assemblées électorales en 1791 et 1792 et à la commission insurectionnelle de Paris à partir du 18 août 1792 ; il est membre du Club des Cordeliers et administrateur de la section de Marat avec Cally, Jourdeuil, Lenfant au dernier trimestre 1792 1443 .

Notes
1436.

Michelet Jules, Histoire de la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989, 2 vol. Edition établie et commentée par Gérard Walter, tome I, p. 1 086

1437.

Catalogue d’une importante collection de document autographes et historiques sur la Révolution française, depuis le 13 juillet 1789 jusqu’au 18 brumaire an VIII, dont la vente aura lieu le 17 novembre 1862 et les trois jours suivants, rue des Bons-Enfants, 28, Paris, libr. Charavay, 1862, pp. 45-47

1438.

Caron Pierre, Les Massacres de septembre, Paris, La Maison du livre français, 1935, p. 296

1439.

Ibid, p. 297

1440.

Danican Auguste, Le Fléau des tyrans et des septembriseurs, ou Réflexions sur la Révolution française par un vrai patriote de 1789, Lausanne, Paris, chez les marchands de nouveautés, 1797, p. 6

1441.

Michelet Jules, Histoire de la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989, 2 vol. Edition établie et commentée par Gérard Walter, tome I, p. 1 100

1442.

Caron Pierre, Op. Cit., p. 302

1443.

Etat des dépenses faites par le Sieur Delavaguerie…. Dupuis le 1 e juillet 1792 – A.N., F4 1309