3.3.3 – L’arrestation du 2 fructidor an III (août 1795)

Nous retrouvons la trace de Pierre-Jacques un an plus tard, en août 1795, il est arrêté « comme tête volcanisée » pour avoir rédigé l’appel aux massacres de septembre. Ce texte, qui en réalité fut de diffusion restreinte, va devenir l’arme des opposants au Comité. Il est employé avec succès dans la campagne girondine de l'automne de 1792. « ll prenait ainsi, pour longtemps, une importance conséquente absolument disproportionnée à son importance réelle initiale » déclare Caron 1465 . Plus tard en l’an III, quand le document deviendra dangereux pour eux, les protagonistes le désavoueront et rejetteront toute la responsabilité sur Marat, qui est mort.

Lettre de défense de Pierre-Jacques Duplain, 2 fructidor an 3, AN F7 4694
Lettre de défense de Pierre-Jacques Duplain, 2 fructidor an 3, AN F7 4694
Lettre de défense de Pierre-Jacques Duplain, 2 fructidor an 3, AN F7 4694
Lettre de défense de Pierre-Jacques Duplain, 2 fructidor an 3, AN F7 4694

Pierre-Jacques arrêté pour avoir apposé sa signature au bas de la circulaire se défend :

‘Quelque soit le fabricateur de cette lettre, il a été bien mal adroit et bien peu instruit ; comment peut-il faire adresser une lettre par la Commune de Paris aux différents Départements de la République sans mettre au bas la signature du Président et du secrétaire, et leur substituer celles des membres d’un Comité de Police ; il a été encore bien plus maladroit en mettante le 3 septembre au bas de cette lettre ma signature, moi qui n’ai jamais été membre de la commune, et qui ne suis venu comme auxiliaire audit Comité que le 14 septembre, voiez l’arrêté dudit Comité du 12 au 13 septembre sur son organisation, cité par Deforgues dans son adresse du 30 thermidor.
J’ai ignoré pendant plusieurs mois l’existence de cette lettre, je l’ai toujours regardé comme une calomnie dirigée par les aristocrates contre les membres de ce comité de surveillance dont ils ont effectivement tans à se plaindre, car il a déjoué dans le temps tous leurs complots, j’ai dédaigné d’y répondre, ainsi qu’à toutes les calomnies lancées contre moi dans les différents journaux aux ordres de ces Messieurs.
Ma conduite depuis le commencement de la Révolution, ma philanthropie connue avant comme depuis la Révolution, les victimes que j’ai arrachées au tribunal Révolutionnaires et aux différentes maisons d’arrêts…mon incarcération par Robespierre avant le 9 thermidor prouvent jusqu’à l’évidence que je ne suis ni un assassin ni un Conseiller d’assassinats, et que ma conscience n’a été et ne sera jamais aux ordres d’aucun individu, et d’aucun parti 1466 .’

Libéré de la prison du Luxembourg le 28 septembre 1795 (6 vendémiaire an IV), Pierre-Jacques est enfin sorti de la tourmente révolutionnaire. Une fois libre, il se charge de l’éducation des enfants de Joseph. Il semble avoir repris son activité de libraire puisque nous avons en notre possession un catalogue de vente. Depuis, 1795, « il est réduit à vivre des bienfaits de ceux à qui il avait sauvé la vie le 2 septembre 1792 » écrit Ange Pitou. Nous avons retrouvé une lettre de recommandation signée Boumelin. Celui-ci recommande Duplain auprès du ministre de l’intérieur pour le poste d’administrateur des hospices civils 1467 . En août 1799, il obtient du ministre de la guerre le poste « d’agent spécial au service du bois et lumière pour la place de Paris » ce qui lui apporte un revenu de quatre cent francs par mois à compter du 1er fructidor an 7 1468 . Mais il semble empreint à de lourdes charges financières, en 1800, il fait appel à Cabanis qu’il avait connu au club des Amis de la Constitution :

‘Je suis très affligé de la situation où vous vous trouvez. Si je n’avais pas des devoirs nombreux à remplir, je ferais mieux que ce que vous demandez ; et si je ne craignais de vous affliger, je vous renverais les Estampes dont vous avez chargé votre neveu 1469 .’

En1806, le Sénateur Cabanis le recommande au sénateur Garaso :

‘On doit se souvenir du courage qu’il a montré dans des circonstances bien difficiles de la Révolution, et des services qu’il a rendu à beaucoup d’hommes persécutés et estimables. Il a été autrefois utile à la philosophie, par la hardiesse de sa spéculation, et par les facilités qu’il a procurées dans son commerce aux jeunes gens qui avaient du talent… Si le Ministre Fouché lui procurait une place, il ferait une bonne œuvre. M. Duplain a été fidèles à la mémoire de ses amis, et il a soigné autant qu’il a pu les enfants de quelques uns de ces infortunés, il mérite de trouver un appui dans tous les hommes qui croient qu’en 1789, on n’a pas eu tort de vouloir améliorer la force du peuple français 1470 .’

Maigre consolation pour Pierre-Jacques que ces bonnes paroles. Nous le retrouvons encore conspirateur en 1812 dans le mouvement dit des « Exclusifs » signalé à la fois par Ange Pitou et Olivier Blanc :

‘« Les Jacobins Panis et Duplain complotaient sourdement contre le gouvernement et qu’on appelait les « Exclusifs » 1471 . ’ ‘En 1812, il appelle les Bourbons de toutes ses forces ; à leur retour en France, il appela la République et Bonaparte (réf. Pitou).’

Quelques Exclusifs se disent prêts à se réunir momentanément aux Royalistes. Le nommé Moussard, libraire rue Saint-Honoré , est un de ceux qui propagent cette idée. Moussard est une espèce d’écrivain qui a été autrefois officier municipal et il a la tête très exaltée. Panis et quelques autres hommes de cette sorte se réunissent aussi quelquefois chez le libraire Duplain et y tiennent beaucoup de propos 1472 . En 1814, il demande toujours quelques subsides à ces mêmes personnes, mais les réponses positives se font rares, l’un d’eux lui répond :

‘Je ne puis dans ce moment vous obliger d’un centime… Il me semble que votre ami, l’anglais qui a tant d’envie de vous obliger qui est si sur de tirer bon parti de votre collection de tableaux, pourrait vous faire l’avance que vous réclamé  1473 .’

Devant son désarroi à ne pouvoir payer son loyer, ses amis restent intraitables :

‘Si j’ai bonne mémoire, en janvier dernier, vous deviez retirer votre contrat de sept à huit cent francs que vous aviez déposé pour payer de vieilles dettes, si vous l’aves fait vous pourriez le laisser en dépôt à votre propriétaire, pour un délai quelconque pour sûreté des loyers que vous lui devés. Le retard de deux mois n’ait pas & ne peut pas être un motif de l’application des vers de Voltaire… il faut avoir présent à sa mémoire ceux du Compère Mathieu, « Tout est espérable à l’homme qui vit encore » 1474 .’

En 1815, âgé, fatigué, Pierre-Jacques dresse le bilan de sa vie :

‘Occupé toute ma vie des Belles-Lettres, je n’ai cherché qu’à propager les idées libérales tendantes à assurer la liberté du Peuple, contre le despotisme. J’ai eu sous Louis XV une lettre de cachet qui m’a soustrait à ma famille, à mes occupations. Sous Louis XVI à la naissance de la Révolution, pour dans la tête, toutes les idées généreuses de Tacite, Rousseau, Mably, Montesquieu. J’ai été l’éditeur de beaucoup de brochures… ce qui m’a valu dans le temps quatre fois l’emprisonnement et la perte totale de ma fortune. Agé de soixante treize ans, je viens prier votre Excellence de me procurer une place de bibliothécaire à l’Arsenal… mon dernier soupir sera pour la liberté de mon Pays et ma consolation sera d’y avoir contribué 1475 .’ ‘Tuteur de trois enfants mineurs dont le père Maître d’Hotel du Roi, mon plus proche parent, fut envoyé sur l’échaffaud, j’ai consumé une grande partie du peu de biens que la Révolution me laissait, à les élever pendant quinze ans, et au bout de ce terme une maladie affreuse, la Pulmonie, me les a enlevé 1476 .’ ‘La Révolution française a amené dans chaque état de la Société des Révolutions particulières, mais aucun n’a autant souffert que celui de la librairie 1477 .’

A 73 ans, il écrit au ministre de la police « Votre Excellence connaissait depuis long-temps, ma détresse, et la droiture de mes services et des mes intentions dans la Révolution contre les Bourbons auteurs de tous les maux et de toutes les trahisons que les français supportent depuis plus de vingt ans, et dont ils se sont tirés que par le courage et le talent de Napoléon » 1478  :

‘« Annales ». L’abbé Castel de Saint-Pierre (1658-1743) vient à Paris au moment où le règne de Louis XIV perdait son éclat et où se formait à la cour un parti d’opposition auquel il s’associa. Son « Discours sur la polynodie » (1718) qui blâmait la politique de gloire personnelle de Louis XIV, fit scandale et il fut exclu de l’Académie. Il fonda alors avec d’Argenson et l’abbé Alary, une académie politique devenue célèbre sous le nom de club de l’entresol. Les annales politiques qui furent publiées pour la première fois après sa mort en 1757, donnent une intéressante description du royaume en 1735 1479 . Ce texte posthume des plus intéressants forme une chronique de la France qui court de 1658 à 1739, et devient de plus en plus personnelle à mesure que l’abbé de Saint-Pierre est en mesure de parler en témoin de son temps. Il est précédé d’une description abrégée de la France de 1735 qui donne sensiblement la date de compostion du début de l’ouvrage. L’édition se vend 250 euros dans un catalogue de livres anciens 1480 ..’

Nous l’imaginons désormais passer une retraite paisible au milieu des livres et de ses souvenirs. En sera-t-il ainsi ? Nous retrouverons Pierre-Jacques dans l’épilogue de cette étude.

Notes
1465.

Caron Pierre, Les Massacres de septembre, Paris, La Maison du livre français, 1935, p. 303

1466.

Dossier qui relate les causes de l’arrestation de Pierre-Jacques (14 Fructidor an II), son système de défense (2 Fructidor an II) et sa libération (6 Vendémiaire an IV) A.N., F7 4694

1467.

Lettre de Boumelin au ministre de l’intérieur, sd – F ?

1468.

Affaire des patriotes, Le ministre de la guerre au citoyen Duplain, [an 7] – Arch. Police AA 333, pièce 424

1469.

Affaire des patriotes, Lettre de Cabanis à Duplain, Auteuil, 31/1/1800 – Arch. Police AA 333, pièce 433

1470.

Affaire des patriotes, Copie d’une lettre du sénateur Cabanis au sénateur Garaso,Auteuil, 15/2/1806 – Arch. Police AA 333, pièce 424

1471.

Blanc Olivier, Les espions de la Révolution et de l’Empire, Paris, Perrin, 1995, p. 241

1472.

Ibid, p. 243

1473.

Affaire des patriotes, lettre adressée à Duplain le 1/7/1814 – Arch. Police AA 333, pièce 418

1474.

Affaire des patriotes, lettre adressée à Duplain le 1/7/1814 – Arch. Police AA 333, pièce 418

1475.

Affaire des patriotes, Lettre autographe de Duplain, 3/5/1815 – Arch. Police AA 333, pièce 429

1476.

Affaire des patriotes, Copie de la pétition de PJ Duplain à M. le Comte François de Nantes, 25/6/1812 – Arch. Police AA 333, pièce 435

1477.

Affaire des patriotes, Copie de la pétition de PJ Duplain à M. le Comte François de Nantes, 25/6/1812 – Arch. Police AA 333, pièce 435

1478.

Affaire des patriotes, Lettre de PJ Duplain au ministre de la police, sd – Arch police, AA 333, pièce 425

1479.

Vente « Livres historiques et documentaires », librairie historique Clavreuil, rue Saint-André-des-Arts, Paris, cat. n° 358, 2005, p. 52.

1480.

Ibid