Ange Pitou

Ange a lui aussi réussi à traverser la Révolution. Au printemps 1795, il est un des journalistes royalistes des plus entreprenants qui eut une action indéniable sur le public parisien. Il quitte les Annales Patriotiques et Littéraires, pour se diriger vers une autre voie. Une idée germe dans l’esprit d’Ange, les chanteurs des rues ne seraient-ils pas les instituteurs du peuple ?

[Je] chante de 1795 à 1797 pour chasser la misère et gagner ma vie et je remercie le public d’avoir déposé en ma faveur le préjugé qu’il a contre tous ceux qui exercent la même profession que moi. 1481

Dégagé de tout scrupule, il s’adresse directement à son public et publie ses premières chansons à ses nom et adresse. Il devient « chanteur des rues » :

[Je]Commence à chanter le 1er juillet 1795 à 5 h du matin. J’avais fait ma journée et j’allais compter ma recette dans un petit cabaret borgne, où je trouvai des gens attablés qui me donnèrent un gros morceau de pain !… Dans ce moment de disette, ce fut pour moi un gros monceau d’or 1482 .

Ce fut le premier qui osa faire de l’opposition en « plein vent », rapidement il se vit concilier les faveurs de la foule. Voici un extrait d’une de ses chansons :

‘Le désespoir du peuple contre les agioteurs
Va-t-en dans l’odieux repaire
Où chacun, se disant marchand
T’accoste et, d’un air de mystère,
Te dit :Vendez-moi votre agent.
Donne lui, mais par représailles
Il faut qu’il te donne du sang,
Plonge ce fer dans ses entrailles
Et cache ton or dans son flanc …’

Pour avoir fait quelques couplets où Jacobins et Directoire durent se reconnaître, il est arrêté le 3 fructidor an V (30/8/1797). Le 9 brumaire an VI (31/10), il est déporté en Guyane, il ne reviendra que le 26 mai 1801.

Chanson : Les patentes d’Ange Pitou

‘Républicains, aristocrates,
Terroristes buveurs de sang.
Vous serez parfaits démocrates
Si vous nous comptez votre argent.
Et comme la crise est urgente
Il faut vous conformer au temps Et prendre tous une patente
Pour devenir honnêtes gens

Mon dieu que la patrie est chère
A qui la porte au fond du cour !
Tous les états sont à l'enchère.
Hors celui du législateur.
La raison en est évidente,
C'est qu'aucun des représentants Ne pourrait payer la patente
Qu'il doit à tous ces commettants.

Un Jacobin nommé Scrupule,
En s'approchant du receveur,
Retourne sa poche et spécule,
Qu'il n'a plus rien que son honneur.
Oh ! que cela ne te tourmente
Dit le receveur avisé, Ton dos a le droit de patente
Commerce donc en liberté.

Une vierge de haut parage Imposée à quatre cents francs
Dit en descendant d'équipage
Bon Dieu ! vous moquez-vous des gens ?
Mais, Monsieur, je vis d'industrie,
Le Financier, le Directeur, Vous diront que pour ma patrie
J'ai vendu jusqu'à mon honneur.
Un gros procureur, honnête homme

Cousin de tous les fins Normands,
Murmure de payer tout comme
Les malheureux honnêtes gens.
Oh ! cette injustice est criante
On se pendrait d'un pareil coup ! Faire payer une patente

A ce grand maître grippe-sou.

Sous ce déguisement cynique,
Remets-tu ce fameux voleur ?
Fournisseur de la République
Autrefois simple décrotteur.
Depuis qu'on parle de patentes,
Monsieur dit qu'il n'a plus d'états Que la République indulgente
Le classe parmi les forçats.   

Combien paierai-je de patente
Dit certain faiseur de journal ?
Si tu devais un sou de rente
A tous ceux dont tu dis du mal,
Je crois bien qu'au bout de l'année
Sans compter tous tes revenus Ta dette serait augmentée
De trois ou quatre mille écus.   

Un vieux médecin se présente
Hé quoi ! dit un des assistants
Peut-on payer une patente
Pour avoir droit de tuer les gens ?
Non, dit un auteur dramatique
Il vaut bien mieux les égayer ; Et mais, répond certain critique
Nous vous payons bien pour bailler.   

En fredonnant un air gothique
Arrive un chanteur éclopé
Si pour chanter la République
Il faut que je sois patenté
Je ferai, dit-il sans contrainte
Cette offrande à la liberté Si désormais je puis sans crainte
Chanter par-tout la vérité. ’

http://www.intensite.net/articles.php?lng=fr&pg=210

Dès son retour, il écrit ses mémoires, Une vie orageuse et des matériaux pour l’histoire est publié en 1820, Les Déportés de Fructidor : journal d’Ange Pitou paraîtra plus tard en 1909. L’on imagine les péripéties, les dangers, les aventures toutes plus excitantes les unes que les autres que ce jeune chartrain destiné à la prêtrise à vécues à travers toutes ses années.

Pour les lecteurs, Ange Pitou ne meurt pas en 1846, il va devenir le héros de trois productions littéraires :

- Alexandre Dumas fit de Louis Marie Ange Pitou un de ses héros dans un roman dont le titre est Ange Pitou (1850-1851) ;

- Charles Lecocq le mit en scène dans La Fille de Madame Angot (1872) ;

- Il sera aussi un des personnages récurrents de la trilogie de Juliette Benzoni dans Le jeu de l’amour et de la mort (1999-2001).

Alexandre Dumas publie 1483 , sous le titre d’Ange Pitou, le troisième volume d’une suite romanesque, Mémoires d'un médecin qui comporte en outre Joseph Balsamo, Le Collier de la reine et la Comtesse de Charny. Vers la fin des années 1840, la Révolution devient pour Dumas, Quinet, Lamartine ou Michelet le cadre et le lieu central de leurs romans.

Le récit se déroule à Paris, de juillet à octobre 1789. Gilbert, l'élève de Jean-Jacques Rousseau est l'ami de Balsamo, que l'on croyait mort revient en France après un séjour en Amérique où il a mis au service de la liberté ses talents de philosophe et de médecin. A peine arrivé au Havre, il se fait arrêter alors que dans le même temps, on vole un coffret lui appartenant et qu'il avait confié au fermier Billot de Villers-Cotterêts.

Page de couverture
Page de couverture d’Ange Pitou d’Alexandre Dumas

Ce dernier part alors pour Paris afin de le prévenir de ce vol. Il est accompagné d'Ange Pitou, un jeune garçon de dix-huit ans, amoureux de Catherine, la fille du fermier, qui elle-même aime Isidore de Charny, un jeune noble. Ils arrivent à Paris le 13 juillet 1789 dans un climat troublé, et apprennent par Sébastien, le fils du docteur, que Gilbert est emprisonné à la Bastille. N'écoutant alors que son coeur, Billot fait preuve d'ingéniosité et de bravoure et, suivi d'Ange Pitou, adolescent naïf et bon, inculte mais de sens droit. Aidé du peuple de Paris, Billot réussit l'impossible, prendre la Bastille et libérer le docteur Gilbert. Apprenant que c'est sur la demande de la comtesse de Charny, une amie de la reine, qu'il a été incarcéré, Gilbert se fait nommer médecin par quartier de Louis XVI à Versailles. Reconnaissant Andrée de Taverney dans la personne de la comtesse de Charny, il la contraint par magnétisme à lui restituer sa cassette, qui contient des documents compromettant pour elle. Devant la révolte populaire et ses excès que Lafayette et Mirabeau ont de plus en plus de mal à endiguer, le roi est indécis et la reine vindicative. C'est avec peine que son entourage dont le comte Olivier de Charny (qui a épousé Andrée par complaisance pour sauver la reine) incite celle-ci à la prudence, mais l'orgueil, le dépit de sentir l'amour du comte de Charny faiblir à son égard, la jalousie envers Andrée, la rendent injuste et de plus en plus méprisante et haineuse envers le peuple. Gilbert et Billot essayent alors de protéger et de conseiller au mieux Louis XVI et Marie-Antoinette, tandis qu'Ange Pitou, sur ordre de Gilbert, accompagne Sébastien à Villers-Cotterêts auprès de l'abbé Fortier. Souffrant du dédain de Catherine à son égard, Ange s'applique à créer une garde nationale dans son village en s'inspirant de ce qu'il a vu faire à Paris. Cependant à Versailles dans la nuit du 5 au 6 octobre, la faim et la haine des aristocrates poussent des extrémistes parisiens menés par Marat à se venger des abus subis. La famille royale ne doit la vie sauve qu'au dévouement de Gilbert, Billot, Lafayette et Georges de Charny, un des frères du comte, qui y laisse la vie. C'est alors que le comte Olivier de Charny appelle auprès de lui Isidore, son autre frère, à la suite de quoi, Pitou trouve Catherine inanimée sur le chemin de Villers-Cotterêts... 1484

Juliette Benzoni 1485 fit de lui un des personnages récurrents de sa trilogie intitulée, Le jeu de l’amour et de la mort.

Page de couverture du
Page de couverture du Jeu de l’amour et de la mort de Juliette Benzoni

L'héroïne, Anne-Laure de Laudren, marquise de Pontallec, apprend que son mari, Josse de Pontalec, veut la faire disparaître alors qu'elle se trouve en Bretagne pour enterrer leur premier enfant. Malgré ce qu'elle sait, elle décide de retourner à Paris, ou elle évite de justesse de se faire tuer. Son mari, quant à lui est parti rejoindre le comte de Provence à Coblence en emportant tous les bijoux et l'argent. Emprisonnée, car considérée par les Révolutionnaires comme ennemie de la nation, elle ne devra sa vie qu'au baron de Batz qui se fait passer pour un garde Révolutionnaire. Il apparaît dans l’ouvrage au côté d’Ange Pitou, son fidèle compagnon :

‘[il] possédait le visage le plus gai qui soit avec son nez retrousssé, sa grande bouche dont le sourire était l’expression habituelle avec, sous des cheveux châtains qui bouclaient naturellement, des yeux bleus pétillants de malice. Il portait avec beaucoup de naturel le nom céleste d’Ange Pitou et, quand il n’assurait pas son service –très réel- de garde national à la section du Louvre, il était journaliste collaborant assidûment au Journal de la Cour et de la Ville ainsi qu’au Courrier extraordinaire, que dirigeait de main de maître son ami Duplain de Sainte-Albine, ancien libraire lyonnais installé au faubourg Saint-Germain… 1486

Anne-Laure va se retrouver, entraînée malgré elle, dans le tourbillon de la Révolution, ou elle va changer de nom, afin de se protéger. Anne-Laure de Laudren, marquise de Pontallec deviendra Laura Adams. Alors qu'elle s'apprête à embarquer sur un bâteau qui doit la conduire en Angleterre, elle apprend que sa mère a épousé Josse de Pontalec. Laura arrivera trop tard pour sauver sa mère des manigances de son mari.

Charles Lecocq (1832-1918) 1487 a réalisé La Fille de Madame Angot avec la collaboration de Siraudin, Clairville et Koning. Cette pièce, pleine de fraîcheur et de finesse, sera considérée comme le chef-d'oeuvre de Lecocq. La création a lieu à Bruxelles le 4 décembre 1872 et aux Folies-Dramatiques de Paris, le 21 février 1873. Le succès est triomphal et se prolonge pendant quatre cent onze représentations consécutives à Paris. Cette même année, la pièce est jouée en France dans cent trois villes différentes puis bientôt dans le monde entier 1488 .

http://perso.orange.fr/anao/oeuvre/filangot.html et http://membres.lycos.fr/urlandi/

C'est à l'époque de la Régence, que ce patronyme de Madame Angot a été attribué, on ne sait trop pourquoi, au personnage de la femme du peuple subitement enrichie et évoluant dans le beau monde avec ses manières et son langage vulgaire. Madame Angot apparaît sur les planches sous le Directoire et nous est connu grâce à Lecocq. Si Madame Angot, et qui plus est Clairette Angot, sont des personnages imaginaires, Mademoiselle Lange et Ange Pitou ont réellement existé. Mademoiselle Anne Lange (née en 1772), actrice à la Comédie Française, fut arrêtée en 1793 avec ses camarades pour avoir joué une pièce Révolutionnaire. Ses relations lui permirent de recouvrer la liberté. Elle entra au Théâtre Feydeau et mena grand train sous le Directoire. Il est peu probable qu'elle ait eu une liaison avec Barras. En 1798, Jean Simons, un riche carrossier Bruxellois reconnaît son enfant et l'épouse. Elle abandonne le théâtre et meurt à Florence en 1826. Le deuxième personnage nous est bien plus familier, il s’agit d’Ange Pitou 1489 .

Photographie : Ange Pitou, chanteur des rues
Photographie : Ange Pitou, chanteur des rues

Photographie : Extrait du registre des emprisonnements des Duplain, Paris –Archives de la préfecture de police de Paris « Documents à consulter pour l’histoire de la Révolution française : ordres d’arrestation, d’internement, de mise en liberté, 1789, an (1797)

Pierre et plus particulièrement Benoît ont été pionniers en matière d’antiquariat à Lyon. S’ils n’ont pas été les inventeurs de cette technique de vente, ils ont eu l’ambition de l’implanter dans la ville et de l’adapter au marché local. Cette place d’experts a contribué a asseoir leur réputation, à développer leur renommée et à les hisser en haut du pavé de la librairie lyonnaise. Les catalogues qu’ils ont produit, actuellement en notre possession, sont de précieux témoins de la production littéraire du milieu du XVIIIe siècle, ils pemettent de contribuer à l’écriture de l’histoire du livre et de la librairie. La troisième génération à produit Joseph, cet homme d’affaire dur, dont l’extrême cupidité l’a rendu impitoyable, inique et prêt à toutes les bassesses morales. Cet arriviste, arrogant et manipulateur ne recule devant rien pour conquérir du pouvoir et gagner de l’argent. Ce spéculateur célèbre fut très certainement un bon économiste mais pas un homme de concessions. Cependant, il a su s’adapter au marché et à la conjoncture économique et sociale, en profitant de l’élan boursier de l’avant Révolution, puis de la libéralisation de la presse en 1790. Il a, à son actif, la création de trois journaux d’opinion royaliste puis d’information, qui, s’ils n’ont pas été des best sellers, ont représenté une entreprise commericale innovante de grande envergure. Son cousin, Pierre-Jacques est très certainement le seul de la famille a avoir pris en marche le courant des Lumières par conviction politique. Célibataire, sans grande ambition professionnelle, il se nourrit des courants philosophiques plus qu’ils ne les produit. La Révolution lui a apporté un mode d’expression jusque là innaccessible. Il s’allie aux idées des « tigres » de la Révolution et produit leurs écrits. Les deux cousins ont chacun persisté dans leurs posititions politiques ce qui a conduit le premier à l’échafaud et le second à la ruine. Regrettant que cette histoire s’arrête à la Révolution, afin de ne pas rester sur notre fin, nous avons terminé cette thèse sous forme d’épilogue afin de connaître la « fin » ou peut-être la « triste fin » du fabuleux destin de la famille Duplain.

Notes
1481.

Pitou, Louis Ange, Les déportés de fructidor : journal d’Ange Pitou,

1482.

Ibid, p. 13

1483.

A Paris en feuilleton dans la presse du 2 juin au 6 septembre 1846 et du 3 septembre 1847 au 22 janvier 1848, et en volume chez Cadot de 1846 à 1848 (19 vol.)

1485.

Juliette Benzoni par elle-même : « J’ai failli naître sous la Tour Eiffel… mais c’est à Saint Germain des Prés que c’est passée toute mon enfance. Nos voisins s’appelaient Dunoyer de Segonzac, Louis Jouvet, Le maréchal Lyautey, la marquise de La Fayette et les Duncan, une étonnante tribu hippie avant la lettre qui adoptait les modes Peaux Rouges dans l’espoir de retrouver la pureté grecque. Quand à ma famille, elle se composait normalement de mon père, un industriel, ma mère, bridgeuse acharnée, ma jeune sœur, sans qualification précise et mon grand père, redoutable septuagénaire à la moustache fleurant la pipe et le cognac. C’était un vieux mécréant nourri au lait de Jaurès et qui avait, dans ses jeunes années, humé avec délices la poudre des canons de la Commune ». http://juliette.benzoni.free.fr/presentation/Biographie_benzoni.htm

1486.

Benzoni Juliette, Un homme pour le roi, Paris, Plon, 1999, pp. 161-162

1487.

Charles Lecocqest né à Paris, dans le quartier des Ecoles, le 3 juin 1832, d'une famille très pauvre. Infirme de naissance, sa vocation musicale se déclara de bonne heure. Il reproduisait fidèlement les airs qu'il entendait avec un flageolet, un instrument considéré comme vulgaire, avec lequel on jouait dans les guinguettes. Il fut remarqué par le professeur de musique de l’établissement qu’il fréquentait. Celui-ci encouragea les parents de Charles à consentir des sacrifices pour leur fils. En 1849, Lecocq est reçu au Concours d'admission du Conservatoire. Il travaille l'harmonie avec François Bazin, et est inscrit dans la classe de composition de Fromental Halévy.