Epilogue, à Paris, à Lyon et ailleurs…

La Conspiration de 1816 - Paris

Au cours de cette année 1815, le retour de l’Empereur dont l’audace explique le succès rapide, interrompt le cours de la Restauration. Louis XVIII, reprend le chemin de l’exil avec sa cour, ses ministres, quatre maréchaux et les siens pour s’installer à Gand. Le 11 mars, Napoléon rétablit le drapeau tricolore, le 20 mars, il abolit la noblesse, les titres et décide la proscription et le séquestre des biens des émigrés. A l’extérieur du pays, l’empereur a d’abord affirmé qu’il voulait la paix, mais face aux déclarations hostiles, il organise la mobilisation en avril. Avec cent vingt mille hommes, l’empereur affronte des troupes anglaises et prussiennes en Belgique, ce qui le conduit à la bataille de Waterloo, le 18 juin. Les conséquences de la défaite le poussent à abdiquer. Désirant partir vers les Etats-Unis, il est contraint de se rendre à Sainte-Hélène. C’est la fin de l’épisode des « Cents jours ». Louis XVIII de retour, les élections des 14 et 22 août 1815 installent sur la scène parlementaire une écrasante majorité de députés très royalistes, voire ultras, c’est la deuxième Terreur blanche 1490 .

Repères chronologiques : 1804-1816
Dates Evénements
1804-1814 : 1er Empire
18/5/1804 Constitution de l’An XII, Napoléon devien empereur
2/12/1804 Sacre de Napoléon en présence de Pie VII à Notre-Dame
26/5/1805 Napoléon est couronné roi d’Italie à Milan
2/12/1805 Victoire de Napoléon à austerlitz contre les Russes et les Autrichiens
9/7/1807 Traité de Tilsit scellant la paix et l’alliance de Napoléon et du Tsar
1/3/1808 Création de la noblesse impériale
22/4/1809 Formation de la cinquième coalition
6/7/1809 Napoléon fait arrêter le pape, et remporte la victoire contre l’Autrice à Wagram
2/4/1810 Mariage de Napoléon et de Marie-Louise d’Autriche
20/3/1811 Naissance de « l’Aiglon » roi de Rome
4/3/1812 Alliance franco-autrichienne
2/4/1814 Le Sénat destitue Napléon
4/4/1814 Napoléon abdique à Fontainebleau sans conditions
5/4/1814 Reddition du général Marmont face aux forces de la coalition
6/4/1814 Adoption d’une constitution monarchique par une poignée de sénateurs
1814-1815 : 1ère restauration
11/4/1814 Traité de Fontainebleau instituant Napoléon souverain de l’île d’Elbe
23/4/1814 Signature de l’Armistice
2/5/1814 Déclaration de Saint-Ouen où Louis XVIII promet une monarchie constitutionnelle
3/5/1814 Entrée de Louis XVIII à Paris
30/5/1814 Traité de Paris, la France retrouve ses frontières de 1790
3/1/1815 Signature d’un traité d’alliance entre la France, l’Autriche et l’Angleterre
1/3/1815 Napoléon s’évade de l’ïle d’Elbe et débarque à Golfe-Juan
14/3/1815 Le maréchal Ney et ses troupes se rallient à Napoléon près d’Auxerre
9/3/1815 Louis XVIII quitte Paris en direction de la Belgique
1815 : Les Cent jours
20/3/1815 Napoléon entre à Paris
22/4/1815 Acte additionnel aux constitutions de l’Empire
16/6/1815 Victoire des troupes de Napoléon à Ligny
18/6/1815 Défaite de Napoléon à Waterloo
22/6/1815 Napoléon abdique en faveur de son fils
1815-1848 : 2nde Restauration
8/7/1815 Louis XVIII entre à Paris
15/7/1815 Départ de Napléon pour Sainte-Hélène
1/8/1815 Licenciement de l’armée impériale
21/8/1815 Victoire des « ultra-royalistes » aux élections
19/10/1815 Loi de sûreté générale
20/11/1815 Second traité de Paris
12/1/1816 Loi de « Clémence royale » prévoyant le bannissement des « Régicides »

C’est à ce moment là, qu’entrent en scène les nostalgiques de la période Révolutionnaire qui vont mettre en place un vaste réseau humain à travers la France afin de renverser le roi. Ce mouvement, qui va s’étendre durant toute l’année 1816, est connu sous l’appellation de  « Conspiration des patriotes ». Cependant, les révoltes qui éclatent dans plusieurs régions du pays sont démantelées les unes après les autres. Paris eût la sienne, et quelle ne fut pas notre surprise à la lecture du jugement qui la condamna, de retrouver Pierre-Jacques Duplain dont nous avions perdu la trace :

‘Après une instruction de vingt quatre jours dirigée par M. le conseiller Breton d’Aubigny, commis par arrêt de la Cour royale, du 11[mai 1816] du mois dernier, la chambre d’accusation a statué, le 7 de ce moi [juin 1816], sur les auteurs et complices de la conspiration insensée autant qu’abominable des misérables qui osaient prendre le titre de « Patriotes de 1816 », et dont le projet n’était rien moins que d’attenter aux jours du Roi et de la Famille royale, et de détruire le gouvernement, dans l’espoir de quelques jours ou de quelques instans de pillage 1492 .’

Les douze condamnés sont, Martin Edouard, major retraité ; Antoine-André Moltedo, 61 ans, ex conseiller à la cour royale d’Ajaccio ; Antoine Passerieu dit Dumoulin, officier retraité ; Duplain, ex libraire de Paris et Lyon, soixante-treize ans ; Joseph Revol, capitaine d’infanterie pensionné, cinquante-sep ans, originaire de La Buissière ; Louis-Nicolas Sevray, inspecteur de police ; Jacques Métrecé, inspecteur de police ; Pierre Ascension, liquidateur général de l’ancienne messagerie royale ; Jean-Nicolas Lambert, soixante-six ans, garçon de bureau de la préfecture de police ; Jeanne-Marie Cretaine, boulanger ; Jean-Marie dit Gringalet, fondeur en cuivre 1493 . Ces hommes sont condamnés à être détenus à la prison de la Force à Paris durant une année 1494 . En réalité vingt-huit conspirateurs furent arrêtés et jugés, ce procès est décrit dans l’ouvrage, Procès des vingt-huit conspirateurs, soi-disant patriotes de 1816, contenant les faits résultant de l’acte d’accusation, les débats, les discours de M. l’avocat général et de M. Le président, les plaidoyers des défenseurs et des accusés, le jugement, l’exécution, et enfin des détails intéressants sur les auteurs de cette conspiration, qui tendait à changer la forme du gouvernement  1495 .

Pierre-Jacques, alors âgé de soixante-treize ans, domicilié rue de la Montagne Sainte-Geneviève, n° 86, est l’un d’eux, mais comme les onze autres personnes, il ne fait pas partie de la liste des prévenus qui sont à l’initiative de la conspiration. Il lui est reproché d’être l’ami de deux conspirateurs, Charlet et Lefranc 1496 . A la suite de son arrestation, une perquisition est menée chez lui le 1er mai 1816 par Pierre Dussieux, commissaire de police du quartier Saint-Jacques et M. Perrin, officier de paix 1497 . Duplain nie toute participation à la conspiration lors d’un premier interrogatoire le 3 mai 1498 . Il clame toujours son innocence en juillet alors qu’il est emprisonné, et « supplie son Excellence de vouloir bien lui accorder sa liberté » 1499 . « Comment puis-je être un conspirateur ? » écrit Pierre-Jacques, « Depuis plus de quinze ans, en me conformant à mon triste sort, je me suis retiré dans mon appartement très exigu ou éloigné du grand monde, je me console de mes pertes et de tous mes malheurs suite de la maudite Révolution, avec Tacite, Horace, Plutarque, &c. &c. sans savoir ce qui se passe à Paris, ne lisant pas même les journaux. Voilà l’homme qu’on vient d’arrêter à soixante quinze ans comme conspirateur » 1500 . Il écrit une lettre le 6 juillet dans ce sens au préfet de police, M Danglaise, « Si j’avais l’honneur d’être connu de vous, M. le Comte, je vous citerais ce vers de Racine dans Phèdre ‘ Examinez ma vie, et songez qui je suis’ » 1501 . Nous aurions pu croire cet homme âgé, sans histoire, retiré du monde, si nous n’avions eu en main quelques lettres ou copies de lettres qui font partie des objets saisis par la police à son domicile lors d’une perquisition. Le 3 juin 1814, un inconnu lui écrit du Havre. Après avoir échangé des nouvelles littéraires, celui-ci demande à Pierre-Jacques de lui donner des nouvelles fraîches de Paris :

‘Taché donc mon bon ami, de reprendre promptement vos bonnes jambes, courrés ça et là, & dite moi franchement si les gouverans n’enfraignent pas les promesses qu’ils ont faites, & si tous les hommes de quelques partis ou opinions qu’ils soient jouissent de la tranquillité promise, j’en doute & en douterai jusqu’à ce que vous me le disiez 1502 . ’

Ces nostalgiques de la Révolution se sentent mal à l’aise dans la Restauration :

‘Je vois beaucoup de Capuccins [écrit l’inconnu] & je cherche les philosophes… L’avenir ne me promet rien de riant, partout je ne vois que des prêtres, des messes, des officiers, rien de grand, de majestueux, toutes capucinades, de vils adulateurs, tout le monde oubli les principes, personne ne se rappelle plus que ‘de tous les animaux qui ravagent un champ, le prêtre qui vous trompe est le plus malfaisant’. Vous voyez sans doute comme moi, mon cher ami, que les nouveaux plans des gouvernants sont de nous ramener à l’ignorance, à la crasse ecclésiastique dans laquelle nous étions il y a trente ans 1503 . ’

Les sentiments des deux hommes sont aussi exacerbés qu’il y a vingt cinq ans. Toujours détenu à la prison de la Force, Duplain essaie de faire adoucir le sort qui lui est réservé. Il demande de pouvoir fréquenter la cour dite « la double pistole », où se promènent les gens tranquilles qui conviendraient mieux à son âge, alors qu’il est obligé de partager la cour « de la dette, où est toute la canaille… composée peut être de six cents personnes qui font un bruit épouvantable » 1504 . En août, son état de santé se dégrade et nécessite un transfert à l’infirmerie de la prison, « Je n’y vois presque plus, dit-il, je perds la vüe… marchand à pas lents, je traine mes faibles jambes l’une devant l’autre et me soutiens à peine » 1505 . Devant la difficulté à maintenir un homme de 75 ans en mauvaise santé en prison, les autorités décident en septembre de l’éloigner de la capitale, elles désignent Lyon comme lieu de retraite 1506 . Quinze jours lui sont accordés pour vendre ses meubles et ses effets afin de réunir l’argent nécessaire pour effectuer le voyage 1507 . Un passeport lui est délivré pour Lyon, la préfecture de police de la ville est prévenue de son arrivée, elle envoie un courrier à Paris pour assurer qu’  « il sera exercé sur cet individu toute la surveillance dont il est susceptible [de faire l’objet] » 1508 . Après avoir fait preuve de bonne volonté auprès des autorités, Duplain enfin libre, n’en fait qu’à sa tête, les différents rapports rédigés par la préfecture montrent qu’il ne veut pas aller à Lyon :

‘Je suis sorti le 20 de ce mois [novembre] avec un passeport pour Lyon ou je ne connais personne en étant sorti, il y a cinquante ans. Je suis presque aveugle. Ne voyant pas à me conduire la nuit, et fort peu le jour, obligé de ne passer que par des rues qui me sont connues. J’ai 75 ans, une hernie qui m’empêche de marcher, et une grande difficulté d’uriner… et pas le sol pour faire un si grand voyage 1509 . ’

Duplain ment lorsqu’il déclare qu’il ne connaît plus personne à Lyon, ses trois sœurs, Constance, Marie-Marguerite et Claudine, respectivement âgée de 77, 76 et 72 ans vivent de leurs rentes rue Vaubecourt. Son neveu Benoît-Louis Rosset, fils de sa sœur Andrée est installé place de la Charité avec sa femme et ses trois enfants. Est-il fâché avec sa famille ? ou bien n’est-ce pas le moment pour lui de se rendre dans cette ville où une conspiration vient d’échouer ? Pierre-Jacques fait de la résistance, traîne les pieds. Peu à peu les officiers préfectoraux se font plus complaisants avec lui, « On ne pense pas qu’il puisse être bien dangereux de lui laisser la liberté de séjourner dans la capitale 1510 . Duplain vaque à ses affaires avec toute la sécurité d’un homme qui semble ne rien craindre » 1511 .

Le 9 janvier 1817, le dernier rapport de la préfecture indique qu’ « il a déménagé et l’on ne connaît pas sa nouvelle adresse » 1512 . Duplain est-il parti à la cloche de bois ou bien a-t-il bénéficié de la complaisance des officiers de la préfecture ? nul ne le sait. Nous perdons sa trace le 9 janvier. La fin de sa vie, contée par Ange Pitou, résume bien ce que fut son idéal de vie « abandonné de tout le monde, il vient de mourir [1820], dans la plus complète misère, n’ayant d’autres vices que l’insouciance, l’amour irréfléchi d’une liberté déraisonnable » 1513 .

Notes
1490.

El Gammal, Jean, Histoire politique de la France de 1814 à 1870, Paris, Nathan, 1999, pp. 29-34

1492.

Affaire des Patriotes, Liste des prévenus de conspiration, arrêtés le 1 e mai 1816, qui seront jugés par la Cour d’Assises de Paris, le 27 juin, présent mois – Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 214

1493.

Affaire des Patriotes, Liste des condamnés – Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, page de titre

1494.

Affaire des Patriotes, Rapport à son Excellence le Ministre d’Etat, préfet de police, 22/7/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 413

1495.

Procès des vingt-huit conspirateurs, soi-disant patriotes de 1816, contenant les faits résultant de l’écte d’accusation, les débats, les discours de m. l’avocat général et de M. Le président, les plaidoyers des défenseurs et des accusés, le jugement, l’exécution, et enfin des détails intéressants sur les auteurs de cette conspiration, qui tendait à changer la forme du gouvernement, Paris, A. Tiger, 2 vol.

1496.

Affaire des Patriotes, Rapport de la préfecture de police à son excellence du 27/6/1816 – Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 196

1497.

Affaire des Patriotes, Procès verbal de perquisition chez le Sieur Duplain et d’arrestation dusdit – Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 418

1498.

Affaire des Patriotes, Interrogatoire de Pierre-Jacques Duplain, ancien libraire, 3/5/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 417

1499.

Affaire des Patriotes, Rapport des inspecteurs des prisons, 10/7/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 412

1500.

Affaire des Patriotes, Lettre de Pierre-Jacques Duplain à M. Lainé, Inspecteur général de la préfecture de police, 6/7/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 410

1501.

Affaire des Patriotes, Lettre de Pierre-Jacques Duplain M. Dangalise, ministre, préfet de police de Paris, 6/7/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 409

1502.

Affaire des Patriotes, Lettre [d’un inconnu] adressée à Pierre-Jacques, 3/6/1814– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 418

1503.

Affaire des Patriotes, Lettre [d’un inconnu] adressée à Pierre-Jacques, 3/6/1814– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 418

1504.

Affaire des Patriotes, Lettre de Pierre-Jacques Duplain à M. Lainé, Inspecteur général de la préfecture de police, 6/7/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 410

1505.

Affaire des Patriotes, Lettre de Pierre-Jacques Duplain à son excellence le Ministre de la police générale du royaume de France, 14/8/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 411

1506.

Affaire des Patriotes, Préfecture de police, 18/10/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 404

1507.

Affaire des Patriotes, Rapport à son excellence le Ministre d’Etat, Préfet de police, 18/10/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 403

1508.

Affaire des Patriotes, Lettre de la Préfecture du Rhône au Ministre d’Etat, 30/10/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 400

1509.

Affaire des Patriotes, Lettre de Pierre-Jacques Duplain Monseigneur le Ministre de la police générale, 30/11/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 397

1510.

Affaire des Patriotes, Rapport de la préfecture de police, 3/10/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 395

1511.

Affaire des Patriotes, Rapport de la préfecture de police, 28/12/1816– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 394

1512.

Affaire des Patriotes, Rapport de la préfecture de police, 9/1/1817– Archives de la Préfecture de Paris, AA 333, pièce 390

1513.

Engerand, Fernand, Ange Pitou, agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846), Op. Cit., p. 69