La Conspiration 1816, suite… à Lyon

L’année 1816 à Lyon est le témoin d’événements similaires à ceux de Paris, ils portent le nom de « Conspiration Rosset », qui n’est autre que le neveu de Pierre-Jacques Duplain (fils de sa sœur Andrée, elle-même l’épouse de Louis Rosset, libraire). Les prémices de la conspiration de Lyon prennent source à Grenoble avec Jean-Paul Didier. Alors que Louis XVIII est proclamé par le sénat, la résistance continue dans le département de l’Isère, cependant, dès que la nouvelle de l’abdication de Napoléon arrive jusque dans cette contrée, on fut d’accord pour penser que le terme de la lutte était arrivé 1514 . L’adhésion au nouvel ordre des choses du préfet Fourier et du modéré Comte de Juigné permet d’apaiser la région. Cependant, cette passivité de l’opinion durant la première Restauration n’est pour beaucoup qu’une apparente résignation 1515 . Au début 1816, la population iséroise se compose, à côté d’un petit groupe d’indifférents et de passifs, de deux factions irréconciliables : d’un côté les bonapartistes, qui ne pardonnent pas l’ostracisme et les brimades dont ils ont fait l’objet, et de l’autre les ultras, qui s’exaspèrent de ne pouvoir faire complètement triompher leurs vues 1516 .

Jean-Paul Didier 1517 , avocat au parlement de Grenoble, s’installe à Paris où il réalise une fortune considérable (500 000 F) en aidant les anciens émigrés à recouvrer leurs biens et à racheter leurs propriétés 1518 . De retour en Dauphiné, « avec son caractère aventureux et sa mobilité d’esprit », il suit une voie toute nouvelle et se lance à corps perdu dans des entreprises aussi diverses qu’aventureuses, la plus importante étant le dessèchement des marais de Bourgoin. Didier qui a eu des penchants politiques de tout bord, s’alliant tantôt avec les uns ou les autres, n’est pas plus heureux au retour de Louis XVIII. La seconde Restauration refuse ses services et, Didier, qui s’était rendu suspect auprès de tous les régimes, de son côté, les prend tous en haine 1519 . Les affaires industrielles à la tête desquelles il se trouve périclitent les unes après les autres. Il fait des spéculations de bourse malheureuses et son cabinet d’avocat, négligé depuis longtemps, ne rapporte à peu près plus rien. Repoussé par les divers régimes qui venaient de se succéder, aigri, Didier se sent acculé aux grands moyens. Le gouvernement des Bourbons est entouré d’ennemis, de toutes parts gronde le mécontentement populaire, Didier décide que c’est de ce côté que sera son salut. Divers séjours à Paris lui donnent l’occasion de rencontrer les principaux mécontents de la capitale, il participe à d’obscures intrigues. A la suite d’une réunion à Paris du 20 octobre 1815 du « Comité de l’Indépendance nationale » composé de quelques anciens ministres et de certains membres notoires de la Chambre des « Cent Jours », les conspirateurs décident de mettre su pied un vaste plan de conjuration 1520 , Didier, acculé à la ruine, exalté par ses amis, quitte Paris. Sa décision prise, il est résolu à tenter la fortune comme organisateur de la conspiration 1521 . Il se dirige vers Grenoble en s’arrêtant dans la Seine et Marne, le Loiret, le Cher, la Nièvre, l’Allier, le Puy-de-Dôme, le Cantal, la Haute-Loire, l’Ardèche, la Drome, les Hautes-Alpes, l’Ain, la Saône-et-Loire et l’Isère 1522 . Dans le Rhône, Didier désigne « M. Rosset… pour remplir l’emploi d’agent de l’indépendance nationale à Lyon » 1523 . Fin novembre, il arrive enfin à Grenoble, ce n’est d’ailleurs pas dans cette ville qu’il décide d’agir mais à Lyon où il s’adresse à un homme énergique et décidé, Benoît-Louis Rosset, quarante-trois ans, fabricant de papiers peints. Les deux hommes se connaissent depuis 1808 car Didier avait défendu son ami dans un procès important dont nous ne connaissons pas la teneur. Le projet de conspiration n’était rien moins que de s’emparer par surprise de la place de Lyon. Dès le 16 janvier, Didier se rend à Lyon sous le nom d’Auguste, il organise des réunions qui se tiennent aux Massues, près des Acqueducs dans la maison de Rosset. La conspiration lyonnaise se fomente autour des lyonnais Jean-François Montain, docteur en médecine de trente-huit ans 1524 , ami de longue date de Louis Rosset, père de Louis-Benoît dont il dit qu’il a constamment « reçu des marques d’amitié, en sa qualité d’administrateur des hospices » 1525  ; Jean-François-Etienne Lavalette, trente-deux ans, ex receveur général du département des Basses-Alpes, domicilié à Digne ; Pierre-Christophe Simon, trente-cinq ans, officier licencié, débitant de tabac rue de la Poulaillerie ; Michel Rosa, trente ans, sergent dans la légion du Rhône, caserné à Lyon, natif de Marseille ; Michel Jacquemet, quarante-quatre ans, colonel en non activité du 1e régiment d’infanterie de ligne, né et domicilié à Colonge dans l’Ain 1526 . Rosset fait le point sur les forces en présence, quatre cent hommes suffisent pour s’emparer de la ville, estime-t-il, auxquels il ajoute ses cinquante ouvriers tous armés 1527 ainsi que deux cent cinquante soldats du 6e régiment d’infanterie légère et vingt cinq réfugiés du midi. Sa troupe est rassemblée aux Brotteaux 1528 . L’exécution du projet lyonnais fixée le 24 janvier est avancée dans la nuit du 20 au 21 janvier en raison de l’arrivée du régiment des chasseurs d’Angoulême. Deux jours avant la date fatidique, tous les protagonistes sont en place. Mais, coup de théâtre, la conspiration est dénoncée à Charrier Sainneville 1529 qui donne l’ordre au général Maringoné qui commande le département du Rhône, d’arrêter les conspirateurs 1530 . Tout va très vite, dans la nuit du 19 janvier, Simon et Rosset sont arrêtés, le 21, c’est le tour de Lavalette, Montain et Rosa. Didier parvient à s’enfuir 1531 . Le déroulement de l’arrestation de Rosset demande que l’on s’y arrête, le 19, les commissaires de police Arnaud, Brirot et Giraud frappent à la porte du domicile de Rosset qui met du temps à ouvrir avant de les laisser pénétrer dans la maison. Rosset est là, presque nu sous un manteau, les policiers lui signifient son arrestation. Il demande l’autorisation de passer dans sa chambre pour se vêtir, celle-ci lui est accordée 1532 . Les agents profitent de ce moment pour s’emparer des armes cachées dans la maison, quatre fusils, quatre pistolets, un poignard, deux barils et un paquet de poudre à tirer 1533 . Les agents, qui estiment que Rosset prend beaucoup de temps pour s’habiller, pénètrent dans sa chambre pour constater qu’il n’est plus là. On le cherche et on le trouve caché dans un cabinet poussiéreux, les agents le débusquent, tentent de s’emparer de lui. Rosset n’est pas près à se rendre, il « les menace tous de l’explosion d’une machine infernale inventée par les Anglais, qui allait porter le ravage et la mort sur tous les assistans » 1534 . Il brandit une bouteille d’huile de vitriol « menaçant de faire périr ceux qui oseraient s’approcher » 1535 . Le courageux agent Couturier se jette sur lui au péril de sa vie, la bouteille, toujours entre les mains de Rosset, se brise dans la bataille, se répand sur Couturier, Savarin et Rosset. L’acide attaque les vêtements des hommes qui se débattent, un seul cri s’élève alors dans la maison « Je brûle, de l’eau, de l’eau. On prépare force eau de mauve, je bassinais M. Rosset, [déclare l’agent Couturier] il me bassinait, nous nous bassinions ». Au moment où les faits sont relatés au procès tout le monde rit, surtout Rosset 1536 . Enfermé à la prison de Roanne à Lyon, l’homme, interrogé le 1er février par le lieutenant de police de Lyon, affiche un caractère bien trempé :

‘l’homme est coriace, déclare le Lieutenant, il nie tout en bloc… j’ai renouvelé hier l’interrogatoire du Sieur Rosset : cette fois il a refusé de répondre à aucune de mes questions, en disant qu’il n’était pas assez au fait des affaires pour se conduire dans une semblable circonstance ; que si l’on désirait obtenir de lui quelques réponses, il fallait d’abord lui passer le procès verbal de son arrestation, lui donner connaissance des motifs qui l’avaient provoqué et surtout le nom de ses accusateurs ; qu’alors on lui donnerait trois avocats qui ayant examiné la régularité de ces pièces, l’assisteraient dans une instruction préliminaire qui se faisait devant moi. ’

Le soir même, un deuxième interrogatoire le met face à Simon, son dénonciateur, il persiste à ne rien dire, il rejoint Lavalette et Montain qui ont déjà été transférés dans leur cellule 1537 . Alors que Rosset bien plus tard va se plaindre de ses conditions de détentions au cachot de Roanne, nous apprenons par divers rapports effectués par le gardien de la prison que la vie n’était pas si difficile et que les prisonniers pouvaient recevoir la visite de leur famille. Rosset d’ailleurs en profite pleinement puisque ses proches ne respectent pas les heures de visite. Le laxisme est tel que le 12 mai, il tente une évasion avec un certain Joseph Bertholon 1538 qui parvient à s’enfuir. Rosset n’a pas cette chance, en tentant d’emprunter une échelle de corde que des complices avaient tendue entre la petite fenêtre placée sur le derrière de sa chambre et le toit, n’étant pas équilibriste, il tombe et se brise la jambe. Les cris des autres détenus et le râle de Rosset ont tôt fait d’alerter le gardien 1539 . A la suite de ces incidents, M. Grand, le gardien de la prison, est révoqué pour négligence pour être remplacé par François Garnier 1540 . Bertholon quant à lui sera arrêté à Lyon le 18 juillet 1541 .

Qui sont les dénonciateurs de la conspiration ? il y a tout d’abord des lettres de dénonciation qui font état des agitations dans Lyon, ainsi celle du Sieur Oache, ancien militaire qui écrit au maire de sa commune de Nuits [Côte d’Or] qu’au cours de son passage à Lyon le 19 janvier il a rencontré un nommé Dufour qui lui a donné l’adresse de Durand et Lamy. Durand (tailleur) le conduit dans un café où il est témoin d’une conversation, « Il m’a demandé s’il n’y avait pas de bruit à Dijon. Sur ma réponse négative, il a ajouté qu’il en était autrement à Lyon, que, bientôt, on y verrai flotter le drapeau tricolore, et que le coup avait été manqué, il y avait peu de jours » 1542 . Pour Charrier Sainneville et Henry Dumolard, le dénonciateur est le capitaine Simon qui aurait écrit au général Maringoné, commandant le département pour l’aviser de ce qui se passait, « Les avantages concédés plus tard à Simon par le gouvernement nous autorise à croire … que c’est bien cet officier qui révéla le complot » 1543 . Cette thèse est confirmée par Maringoné qui écrit à M. le Comte, le 6 septembre, « Quant à Simon… les services réels qu’il a rendu me semblent mériter quelque récompense et je le recommande à votre bonté » 1544 . Pour Rosset, cela ne fait aucun doute, sa femme est responsable de son arrestation, « Personne ne m’a trompé qu’elle, elle seule m’a trahie, sans elle je n’eusse pas été jugé, sans elle, je ne serais pas au Château d’If. Elle seule a eu l’infamie de dire devant témoin que j’étais fou » 1545 .

Alors que les conspirateurs lyonnais sont sous les verrous, Didier ne se décourage pas, le coup avait échoué à Lyon à la suite d’une trahison, il tenterait de nouveau l’expérience, la rébellion partira de Grenoble pour embraser toute la France. A Lyon, sa véritable identité ayant été démasquée, il est activement recherché. Il se réfugie à Bourgoin où il possède de nombreuses relations, puis près de Grenoble chez M. Vial de Noyarey ; A Grenoble, il ne trouve pas le soutien escompté et l’on se méfie de lui : il faut appel aux militaires dont les officiers piémontais sont hostiles au régime. N’ayant plus rien à espérer de la France (ils n’obtiendraient jamais leur réintégration dans l’armée ni des lettres de naturalisation) ils étaient prêts à accepter la première aventure qu’on leur proposerait 1546 . L’insurrection, lancée début mai n’eut aucune chance de succès, elle fut mâtée très vite et Didier arrêté en Savoie, transféré à Turin est remis aux autorités françaises 1547 . Le 9 juin, au terme de son procès, il est condamné à mort 1548 et exécuté le lendemain. « Au pied de l’échafaud… il se tourne alors vers son respectable ami [Abbé Toscan, curé de Saint-Louis] pour lui recommander encore une fois sa malheureuse famille et pour lui faire ses derniers embrassements. Sa physionomie, légèrement altérée en cet instant par un mouvement de sensibilité, reprend presque aussitôt l’expression du calme…. La fin de cet homme avait été plus belle que sa vie » 1549 .

Charrier-Sainneville se nomme en réalité Charles-Sébastien Salicou, né à Grenoble en 1768, il épouse la mère de Charrier de La Roche et prend à cette occasion le nom de Charrier. Il se fait connaître à Lyon alors qu’il est lieutent de police en publiant la brochure « Compte rendu des événements qui se sont passé à Lyon, depuis l’ordonnance royale du 5 semptembre 1816, jusqu’à la fin d’octobre de l’année 1817 ». Il attire l’attention du gouvernement sur la conspiration du 8 juin et s’expose ainsi à des haines tenaces 1550 .

Au moment de l’ouverture du procès de Lyon, les événements de Grenoble ne sont pas de bonne augure pour les lyonnais car ils peuvent servir de prétexte pour demander à Lyon le bannissement d’un très grand nombre d’individus. Le 26 août la grande salle des assises du Palais de justice de Lyon se remplit très vite. La cour est composée de Bastard d’Estang, premier président, de Coste, Danglancier de Saint-Germain, Durand de Vermont et Denamps, conseillers, l’avocat général est Chantelauze et le greffier Marchand. Les bancs du public sont occupés par Mme de Lavalette, Mme Rosset et ses deux filles ainsi que par d’autres parents. Les défenseurs des prévenus sont à leur place, Guerre pour Rosset, Lombard de Quincieux pour Montain, Menou pour Lavalette, Journel pour le colonel Jacquemet, Homchon pour Simon et Beaujard pour Rosa 1551 . Les accusés arrivent entre deux gendarmes, « leur ton est tranquille et assuré, leur mise est décente » 1552 . Rosset et Montain entrent en s’appuyant sur des béquilles. Lavalette arbore sa croix de la légion d’honneur, Jacquemet et Simon sont en habits bourgeois, décorés également de la légion d’honneur, Rosa est en habit de sergent.

Le procès commence, l’acte d’accusation est lu aux prévenus :

‘Auteurs ou complices d’un complot tendant à détruire le gouvernement Royal et légitime à armer les citoyens contre l’autorité royale, à exciter la guerre civile, en armant ou en portant les citoyens à s’armer les uns contre les autres ; à porter la dévastation, le massacre et le pillage dans la ville de Lyon et les départemens environnans ledit complot tendant encore à se rendre maître de la ville de Lyon ; à s’emparer de l’autorité civile, judiciaire et militaire ; à faire marcher des bandes qu’ils auraient levées, armées et organisées, contre les troupes du Roi qui se portaient sur Lyon, à se saisir de l’artillerie qui était à Lyon, tant pour la tourner contre les citoyens que pour la diriger contre les troupes du Roi ; à opérer un soulèvement contre l’autorité Royale, tant dans la ville de Lyon que dans les départements de l’Ain, de l’Isère, du Rhône et autre environnans, à la faveur duquel soulèvement ils se proposaient de bouleverser la France entière ; et dans cette vue d’avoir préparé et rédigé une proclamation tendante à tromper et à égarer le peuple français, à ébranler les sentimens de fidélité qu’il doit à son Souverain légitime 1553 … Conspiration dans le genre de celles ourdies à Paris, éclatés sous les murs de Grenoble et fomentées dans l’Ain par des hommes sans considération et sans consistance, perdus de dettes, altérés de pouvoir, se livrant au délire de leur ardente imagination et aux rêveries d'une ambition insensée 1554 .’

Chacun des prévenus est interrogé, la plupart d’entre eux nie les accusations, principalement Rosset. Il en est un qui va parler, Simon donne les détails de l’affaire et accable Rosset, « Le 17, Rosset me fit une visite pour m’attirer dans son projet, ‘j’attends des nouvelles satisfaisantes’ me dit-il… Je riais de tout ce qu’il me disait, et lui montrais que je n’avais aucune confiance dans ce qu’il m’annonçait : ‘la fin couronnera l’œuvre’ me répondait-il » 1555 . Après les dénégations presque complètes de tous les accusés face aux dires de Simon, le président s’adresse à lui, « Je n’ai pas besoin de vous rappeler l’importance de vos révélations, avec quel scrupule vous devez parler. Vous devez à la Patrie, à l’honneur, vous devez au Roi la vérité, la vérité seule. J’y persiste », répond Simon 1556 . C’est alors que Rosset, d’une voie menaçante l’interpelle, « Regardez-moi, Simon ! regardez-moi », « Je n’ai pas besoin de vous regarder, je vous connais bien », répond Simon sans détourner la tête. « Bien long-temps avant votre déclaration », reprend Rosset, « n’avait-il pas été fait des promesses de place et d’argent pour vous, à votre femme et à votre bel-sœur, Mme Jacot ? » 1557 Ces insinuations ne seront pas retenues par le Président afin de ne pas gêner Mme Simon. Les témoins se succèdent à la barre, Bonand le chef d’atelier de Rosset ; Girard son jardinier et sa femme ; Michel Dorel, maire de La Mure, Michel Creuzet, sa femme et leur domestique, domiciliés à la Guillotière ; Ligonnet, notaire à Saint-Laurent de Mure ; Jacques Bouvier, maître de poste à Bourgoin ; Jean Montagnon ; Jacques Gore, domestique du capitaine Perrotin ; Gabet tenancier de l’hôtel de Provence ; Couturier et Savarin, agents de police 1558 . Une semaine suffit pour venir à bout des interrogatoires et des plaidoiries. Le président fait un bref résumé de ce qui fait la matière d’accusation pour chacun des prévenus : Rosset, Montain et Lavalette, en conspirant contre le trône et fomentant la guerre civile entre les citoyen ; Jacquet, en réunissant Rosset et Simon ; Roza, en ne révélant pas assez tôt 1559 . Rosset rend hommage à M. le premier président de son humanité, et à M. l’avocat général de son impartialité. Lavalette tient à peu près le même langage, et termine son discours par cette phrase énigmatique, « MM. Les jurés, je suis Français, vous êtes lyonnais, je n’ai rien à craindre » 1560 . Le samedi 31 aôut, les jurés se prononcent :

‘Benoît-Louis Rosset est-il coupable du crime de complot contre le Roi, avec les circonstances que l’un des buts de ce complot était de s’emparer de la ville et des autorités, de lever des bandes armées, de se saisir de l’artillerie en général, de faire un soulèvement universel ? Enfin d’avoir préparé, rédigé une proclamation destinée à être affichée a veille que le complot aurait éclaté : non à l’unanimité.
S’il n’est coupable d’être auteur de ce complot, en est-il complice pour avoir donné des instructions, avoir aidé et consent aux moyens proposés pour consommer ledit complot ? : non à l’unanimité.
Est-il coupable d’une proposition desdits faits, laquelle n’aurait pas été agréée ? : oui à l’unanimité.
A-t-il eu connaissance de ce complot, sans l’avoir révélé dans les vingt quatre heures ? : oui à l’unanimité.
Est-il coupable du crime de rébellion avec les circonstances de blessures en versant du vitriol sur les agens de police ? : oui à l’unanimité 1561 .’

Le jugement rendu, la cour après en avoir délibéré, annonce la sentence qui ordonne, Jacquet, Rosa , Simon déchargés d’accusation et libérés ; condamne Rosset et Lavalette à dix ans de bannissement hors du territoire français, dix ans de surveillance après les dix premières années, en fournissant un cautionnement de bonne conduite de chacun cent mille francs, Lavalette est dégradé de la légion d’honneur ; Montain est condamné à cinq ans d’emprisonnement. Lorsque le Président demande aux accusés s’ils n’ont rien à dire sur la prononciation de la peine, Rosset paraît très surpris de ne pas voir leurs avocats. M. le Président lui dit alors avec douceur, « c’est qu’apparemment ils ont vu que vous ne pouviez être jugés avec plus d’indulgence ». Rosset demande alors qu’on ait égard dans la prison à leur position, « On aura tous ceux », dit avec bonté M. le Président, « qui ne seront pas nuisibles à votre sûreté ». En quittant la salle, Rosset s’adresse aux jurés, « Vous avez commis une grande erreur » clame-t-il. « Vous êtes bien bon de vous plaindre », lui rétorque Lavalette en l’entraînant hors de la salle 1562 . Lavalette a compris que leur sort était plus enviable que celui de Didier à Grenoble . Pourquoi ont-ils bénéficié d’une telle clémence. Tout d’abord, la loi du 20 décembre 1815 décide de ne déférer aux Cours prévôtales que les seuls crimes et attentats présentant un caractère matériel de violence publique, à l’exclusion des crimes secrets, des complots, qui restaient de la compétence de la juridiction de droit commun, la Cour prévôtale du Rhône n’eut pas à connaître de cette affaire puisqu’il n’y avait pas eu de commencement d’exécution. De plus, Charrier Sainneville déclare en 1818 :

‘Trois ou quatre mois après éclatèrent les troubles de Grenoble ; ils servirent de prétexte pour demander à Lyon le bannissement d’un très-grand nombre d’individus ; mais, convaincu que cette malheureuse affaire, dont on affectait de grossir l’importance, n’avait eu dans le département du Rhône aucune ramification, je résistai à des rigueurs aussi injustes et aussi déplacées. Le Préfet partagea mon opinion, et le gouvernement l’approuva 1563 . ’

Nous ne connaissons pas véritablement le fond de cette histoire, des recherches plus approfondies devront être entreprises car les débats au cours du procès n’eurent que fort peu un caractère politique, paraissant vouloir croire à la fable du Comité de l’Indépendance nationale. N’existât-elle jamais que dans l’imagination de Didier ? seul l’avocat général parla des conférences séditieuses des ministres démissionnaires, et accusa Fouché, Carnot et Talleyrand d’avoir ourdi la trame dont un des fils seulement était entre les mains de la justice 1564 . Charrier Sainneville déclare en 1818, « Les manœuvres de cette époque n’ont jamais pu être bien éclaircies, le temps en apprendra davantage 1565 . De même que l’on ne sait pas s’il y a un lien, une complicité entre Pierre-Jacques Duplain à Paris et son neveu Louis-Benoît Rosset à Lyon.

Quel sort est-il réservé à Louis-Benoît Rosset après le procès ? Après avoir séjourné à la prison de Roanne à Lyon., le 15 octobre, Rosset et Lavalette se préparent à être transférés vers le Château d’If à Marseille 1566 . La fille préférée de Rosset, Zilia décide d’accompagner son père dans l’exil, « Elle sentit que son père serait perdu sans ses soins et sa tendresse et malheureusement ses pressentimens ne se sont que trop vérifié… cet enfant inimitable s’est constituée prisonnière avec [moi] » 1567 . Ses deux autres enfants, Pétrus et sa fille Emma restent auprès de leur mère à Lyon. Emma est partagée entre ses deux parents, « d’un côté je ne voudrais pas te déplaire ; d’un autre côté je ne voudrais pas désobliger maman en la laissant ; je ne sais donc comment me déterminer. Je vais consulter maman qui est près de moi, comme j’aurais pris ton avis si j’étais auprès de toi ; ainsi je suivai celui de maman qui voit ma position » 1568 . Leur transfert se passe bien, mais il n’en est pas de même lorsque leur diligence arrive à Marseille où ils sont attendus par une troupe de « cannibales », qui les auraient « égorgés », s’ils n’avaient pas été accompagnés par Zilda, la fille de Louis-Benoît et sa femme de chambre, Caroline qui calment l’agressivité des assaillants 1569 . Voici la liste des seuls effets que Rosset est autorisé à embarquer à bord du navire nommé « Hope providence », sous le commandement du capitaine Youngt. Deux malles remplies de hardes dont un chapeau, un grand manteau bleu, un mantelet gris, une robe de chambre, une paire de bottes et une paire de souliers. S’ajoutent quelques accessoires, une paire de béquilles, une canne de bois de fer, un parapluie à bec recouvert à neuf. Pour son confort personnel « au château », un miroir, une cassette formant secrétaire, un coussin percé, un matelas, deux couvertures de laine, une paire de draps, un traversin, un baquet cerclé en fer. Pour adoucir un peu plus la vie sur l’île, une caisse de cinquante bouteilles de vin de 1805, Rivesalte rouge, deux bouteilles d’extrait d’absynthe, deux bouteilles de rhum, un esprit de vin, une eau de fleur d’orange. Pour la cuisine, un vinaigre fort à la framboise, un paquet de moutarde, six assiettes communes, une cafetière à la Dubelloy en fer blanc. Quelques livres et un atlas qu’il pourra lire sur une chaise en paille viennent terminer cette liste. Pour la traversée, il garde avec lui, un sac de nuit et une caisse contenant ses hardes de passage 1570 .

Les deux hommes sont installés dans un cachot de très bonne taille, éclairé par une seule fenêtre qui donne sur une cour, avec une immense cheminée qui ne fonctionne que médiocrement si la porte et la fenêtre sont ouvertes. Leur promenade se fait dans une cour humide sous le soleil 1571 . Un rapport du commissaire général de police de Marseille décrit le tempérament bien trempés de Rosset ainsi que ses conditions de détention au château d’If :

‘Quant à Rosset, c’est un homme tellement exaspéré qu’on ne peut même lui parler ; il refuse de répondre, & je me tais sur ce qu’il a osé me dire, pour ne pas charger un prisonnier qui déjà a subi la sentence. La demoiselle Rosset qui s’est enfermée avec lui, ainsi que sa maîtresse, a les principes de son père. Ce sont des fanatiques dont on ne pourra jamais délier la bouche. Votre excellence a donné la permission à Mademoiselle Zilia Rosset [âgée de 17 ans 1572 ] et à la femme qui l’accompagne de s’enfermer avec Rosset ; mais ces dames entrent et sortent du château d’If comme bon leur semble. Elles sont liées avec un lyonnais, nommé Gérard, papetier, habitant Marseille, dont je soupçonne fortement l’opinion… Rosset a cédé son commerce à une autre maison… Un complice, Farine, voyageur pour la maison Rosset, a été arrêté par la malice de sa femme, qu’il donne pour cause du malheur de ses amis et de les siens 1573 . ’

Le préfet des Bouches du Rhône s’étonne aussi que la femme de chambre Caroline, s’enferme avec Rosset 1574 . L’intéressé, quant à lui, trouve la situation normale, un jour où sa fille devait rentrer à Marseille pour voir des amis, il décide de garder sa bonne auprès de lui. Le commandant ayant blâmé cette démarche, Rosset lui explique que cette décision est dictée par les convenances et l’économie, Caroline ne devant pas coucher à l’hôtel sans sa maîtresse. A l’occasion de cet affaire l’on apprend que Caroline est au service de Rosset depuis huit années à Lyon. 1575 .

Les échanges épistolaires de Rosset avec sa famille (Emma sa fille, Pétrus son fils et sa femme Jeanne-Henriette) à Lyon ainsi qu’avec ses amis sont consignés dans un dossier conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon. Les relations avec sa femme sont tendues. Rosset l’accuse de tous les maux qui pèsent sur lui :

‘Je ne puis non seulement pas obtenir d’être obéi, ni même qu’elle remplisse à mon égard les devoirs qui réclament l’humanité, avide de réputation, ma femme sacrifie tout à l’idée de se rendre intéressante, n’ayant de mérite que celui de savoir se plaindre et de se mettre sans cesse en scène lorsque je lui demande quelque chose qui puisse apporter des soulagements à mes maux, ou blamer tout ce que les autres font pour moi, qu’elle conduite a-t-elle tenue envers ma fille Zilia qui sacrifie tout pour moi. Cette généreuse fille sait bien qu’elle n’a rien à attendre de ma fortune, je suis ruiné à jamais, la famille de sa mère est riche, elle pourrait espérer beaucoup d’elle si elle voulu me sacrifier, mais elle sentit que son père serait perdu sans ses soins et sa tendresse et malheureusement ses pressentimens ne se sont que trop vérifié… cet enfant inimitable s’est constituée prisonnière avec lui 1576 . [Au fil du temps, il adopte un ton plus ferme avec elle, après lui avoir confié ses affaires, il ne lui fait plus confiance] Le ton de ma lettre sera celui que j’aurai du avoir toute ma vie avec vous. Depuis trop longtemps votre conduite avec moi devait me le prescrire, mais mon cœur trop tendre y répugnait… Vous me devez entière obéissance, et vous aurez à rendre de suite ma procuration, et à faire prononcer une séparation de biens… Je vous le repette, mettez mes affaires entre les mains d’un notaire 1577 . ’

Seul le lien avec ses enfants l’empêche de couper tout contact avec elle :

‘La mère de ma fille chérie et de mon fils bien aimé ; elle peut se féliciter d’avoir ces deux titres à mon indulgence, sans eux, je l’aurai déjà rendu à la médiocrité de la fortune qui est en son partage, car vous savez combien faible est la dot de Madame Rosset, elle m’a apporté 24 000 de dot et j’avais 15 000 de rente, aujourd’hui cette fortune est détruite, mais je veux en faveur les débris à mes enfants 1578 .’

Pendant que les deux hommes étudient toutes les possibilités pour pouvoir sortir du Château d’If, Lyon est de nouveau témoin de mouvements insurrectionnels début juin. Le compte rendu du « Procès des vingt-huit individus prévenus d’avoir participé aux mouvemens insurrectionnels qui ont éclaté dans le département du Rhône, dans les premiers jours de juin 1817 », est publié à Lyon, chez Chambet 1579 . Cette conspiration dont toutes les ramifications ne sont pas connues mais dont le but direct est le renversement du gouvernement royal, le rappel de l’usurpateur et de son fils, il s’agit de la suite de celle qui avait eu lieu un an plus tôt. Certains d’entre eux ne furent pas dénoncés par Simon, parmi ceux-là Bernard, Tayssnn, Joannard, Burdel et Mermet qui étaient toujours en fuite 1580 . Une fois de plus le projet échoue, les protagonistes sont arrêtés. Et pourtant, les conjurés avaient mis en place une nouvelle organisation qui devait éviter toute dénonciation. Les hommes étaient répartis dans trois comités, le comité supérieur, le second comité et le comité de la tête, la règle étant de verrouiller les trois afin d’éviter les fuites et les dénonciations :

‘Chaque membre avait sous ses ordres deux ou trois sous-chefs, hommes de confiance, qui, selon son caprice se disaient majors, ou chefs de bataillons ;ceux-ci avaient également sous leurs ordres huit ou dix autres hommes, qui enrôlaient un certain nombre d’individus qu’ils connaissaient. Ces subalternes étaient inconnus aux chefs des comités 1581 .’

Au cours d’un déjeuner qui réunit tous les membres des Comités, Cochet sort de sa poche un poignard, sur lequel chacun jure de perdre plutôt la vie, que de dénoncer aucun des conspirateurs. Ils promettent aussi que dans le cas où l’un d’eux serait arrêté, les autres se cotisent pour lui fournir des secours. Ultime rempart contre la dénonciation, ils imaginent un tribunal secret, qu’ils disent chargé de « frapper les parjures, qu’une grande partie des Autorités était affiliée à ce tribunal, que déjà plusieurs individus avaient disparu, qu’on avait trouvé des cadavres aux Brotteaux et à la Pêcherie, avec un poignard autour duquel était cette inscription : ‘Voilà la récompense des traîtres’ » 1582 . Le comité supérieur a un correspondant à Paris qui organise dans son domicile des conférences avec des généraux dont on ignore les noms et avec d’autres personnes qui ont pris une part très active au conflit, ce correspondant n’est autre que Mme Lavalette, l’épouse du détenu au Château d’If 1583 . Le procès débute le 25 octobre 1817. Elle fait partie des vingt-huit prévenus, pour avoir encouragé les conjurés par ses lettres et leur avoir donné des instructions. Les lettres étaient soit envoyées par la poste, soit transportées par un nommé Moulin. Un style « convenu » avait été choisi pour les écrire et la conjuration était désignée en « terme empruntés du commerce ». Voici le chef d’accusation porté contre elle :

‘La dame Lavalette est accusée d’avoir eu connaissance de la conspiration, d’en avoir été l’agent à Paris, d’avoir encouragé, aidé de ses conseils et de ses instructions, les principaux membres des comités insurrectionnels de Lyon par une correspondance qu’elle entretenait avec eux.’

Nous retrouvons les avocats de Rosset, Guerre qui défend Mme Lavalette, mais aussi Menou celui qui avait défendu Lavalette un an plus tôt ainsi que Journal celui du colonel Jacquemet. Mme Lavalette fait fort bonne impression à la barre, le chroniqueur chargé de relater le procès la présente comme la femme « que son sexe, sa jeunesse, et le sourire ingénu qui accompagne ses premières réponses rendent intéressante » 1584 . Tout au long du procès, elle fait preuve de mauvaise foi, mais ne manque pas d’esprit. Lorsque le Président lui demande si elle a eu connaissance « du projet dont il est question », elle répond par la négative, « Tout le monde est aussi étonné que moi de me voir figurer dans ce procès et de me trouver sur le banc des accusés » rétorque-t-elle. Elle dit ne connaître personne, désavoue avoir reçu aucune lettre relative à la conjuration. « Je ne vois que des ‘on dit’. Je suis, sur des ‘on dit’, en prison depuis quatre mois, privée de mes enfants et l’on me fait entreprendre un voyage long et pénible. Mes enfants sont ma seule occupation ». Le Président insiste, « Vous persistez Madame », « oui » lui répond-elle, « cependant vous connaissez les déclarations positives consignées au procès ». « On a dit tant de choses ! mais ce sont des histoires », « Madame, les histoires sont vraies », « Eh bien, mettez que ce soient des contes » déclara-t-elle pour clore le débat 1585 . Le 3 novembre, la cour livre son verdict : une condamnation à mort avec demande de grâce ; trois mises sous surveillance pendant dix ans ; sept emprisonnements. Quatre prévenus sont acquittés sur le champ et mis en liberté, parmi ceux-ci Mme Lavalette et Joannon 1586 . Mme Rosset n’a pas participé à cette conspiration car « Madame Rosset est aussi royaliste que son mari ne l’est pas, c’est tout dire » 1587 . En revanche, nous retrouvons comme membre du second comité, Bonand, commis de Rosset, celui-ci ne sera pas inquiété non plus.

Au cours de la captivité de Rosset sur l’île, la majeure partie de son temps est utilisée pour écrire des courriers aux autorités de Lyon et de Marseille afin de pouvoir faire appliquer sa peine. Le jugement prévoit qu’il peut-être exilé à ses frais 1588 . Il envisage tour à tour plusieurs pays d’accueil, sa fille :

‘Emma lui avait fourni un atlas quelques temps auparavant, « J’ai été dans le grenier de la rue Mercière pour choisir les livres que tu me demandes. Il y en a plusieurs malles. [Alors que Rosset demande l’atlas et toutes les cartes, sa fille déclare] Tu paraissais avoir envie que Pétrus appris bien la géographie ; et cela lui sera bien impossible puisque tu ne lui laisses ni livre, ni cartes de géographie » 1589 . ’

Une lettre de la préfecture des Bouches du Rhône du 23 juillet 1817 signifie un refus de départ pour Rhodes, Chypre, Smyrne pour Rosset et Lavalette 1590 . En revanche un accord arrive le 1er septembre pour les Etats-Unis 1591 . Duplain demande alors que la mention de « bannissement » n’apparaisse pas sur le passeport, cette requête lui est refusée. Rosset tente une autre méthode, il envisage d’envoyer Zilia en Allemagne ou en Italie afin qu’elle lui négocie un agrément de séjour. Son passeport est accepté, mais l’on ne sait pas si Zilia a fait le voyage 1592 .

En Juillet 1817, Rosset dépose une étrange demande, il désire prendre des bains de mer, demande aussitôt refusée, les autorités jugeant sa surveillance trop difficile, on lui propose de se baigner dans la baignoire du château 1593 . Cet homme intrépide envisageait-il une évasion ? ce scénario n’est pas impossible, sa fille ayant noué des relations solides dans Marseille. En août, une décision semble avoir été prise, tout le monde s’affaire autour d’un départ de Rosset. A Lyon, M. Thibaudier accepte de faire la liquidation de ses biens. Un courrier de Thibaudier écrit de Lyon en août, craint que Rosset ne soit déjà plus à Marseille. Le départ est imminent 1594 . Et, en effet, le 16 septembre à cinq heures du matin, Rosset est prêt à quitter le Château, ses bagages sont à bord du bateau qui doit l’emmener, il attend désespérément sa fille sur le quai, n’y tenant plus, il l’a fait appeler, celle-ci arrive, se jette dans les bras de son père, « mon courage m’abandonnait », dit-il, puis arrive la fidèle Caroline, sa fidèle servante, les adieux à sa servante sont si difficile que l’on doit le soutenir pour l’empêcher de défaillir. Bientôt, le bateau quitte le port puis s’éloigne des côtes, Rosset ne parvient pas à se sentir libre tant qu’il ne sera pas dans un lieu qu’il aura choisi 1595 .

Où s’est-il exilé ? les courriers conservés ne donnent pas de lieu de destination, est-ce les Etats-Unis pour lesquels il a obtenu un passeport ? Un testament de Désirée Cady, épouse Conard accrédite cette thèse. Elle institue comme ses héritiers légitimes et universels, Zilia et Pétrus Rosset en raison des « services désintéressés rendus par Rosset lors de son séjour [Philadelphie] aux Etats-Unis » 1596 . Ou bien s’est-il rendu en Italie, en 1824, Rosset alors à Bologne écrit une lettre à la comtesse Polenska, née comtesse Potoka qui atteste qu’en 1823, il donnait des leçons de français à son fils Arthur à Florence. Peut-être est-il parti aux Etats-Unis pour revenir en Italie ? Nous avons essayé de retrouver une trace du passage de Rosset aux Etats-Unis. Le site d’ « Ellis Island » 1597 propose des listes de passagers débarqués à New-York, établies à partir des registres des douanes américaines, mais cela depuis la fin du XIXe siècle. Ces archives sont conservées par l'American Family Immigration History Center (AFIHC) et concernent les vingt-deux millions de passagers et membres d'équipage qui sont entrés aux Etats-Unis par Ellis Island. Numérisés et classés dans une base de données, ces documents sont accessibles par le site internet. Une recherche sur un nom de famille renvoie sur des documents pertinents : enregistrement du passager, image numérisée de la liste des passagers originale (grand format noir et blanc), fiche du navire avec une photographie. Il est également possible de mémoriser les documents pendant la navigation, pour les retrouver par la suite, en se constituant un dossier. Nous avons également consulté le site d’«Immigrant ship » 1598 qui s’intéresse aux passagers qui arrivaient de Bordeaux, Cherbourg, Le Havre et Marseille. Le premier bateau recensé au départ de Marseille est celui de 1827. Nos recherches sont restées infructueuses. En 1824, il fait légaliser son passeport par M. Artori, attaché à la délégation française afin de pouvoir rentrer en France car son nom fait partie de la liste des amnistiés 1599 . Il parvient à rentrer en France où il s’installe à Lyon.

Son nom est de nouveau cité au moment de l’insurrection des canuts de 1831 qui est la première insurrection sociale caractérisée, au début de l'ère de la grande industrie. Elle a pour origine la baisse des salaires depuis l’Empire. Les canuts veulent profiter de la reprise de la vente des soieries, après 1830 pour obtenir la fixation d'un tarif minimal pour le prix des façons. Une délégation de patrons et d'ouvriers, réunie sur la proposition du préfet le 25 octobre établit un tarif et confie au Conseil des Prud’hommes la charge d'en surveiller l'application. L’intervention du préfet est mal vue par un certain nombre de fabricants, qui tiennent son attitude pour démagogique, et les concessions de leurs représentants pour des marques de faiblesse : cent quatre d'entre eux refusent d'appliquer le tarif, qu'ils dénoncent comme entrave à la liberté des marchés (10/11/1831). A la suite de cela, la colère des ouvriers les amène à l’insurrection du 21 au 24 novembre. Dès le 22, les ouvriers prennent possession de la caserne du Bon Pasteur et pillent les armureries. L'infanterie essaie de les arrêter, mais finalement recule, tandis que la garde nationale passe du côté des émeutiers. Les ouvriers se rendent maître de la ville, qui est évacuée par les autorités. Les échanges font environ six cents victimes dont environ cent morts et deux cents soixante trois blessés côté militaire, et soixante-neuf morts et cent quarante blessés côté civil. La révolte est mâtée, Rosset se trouve parmi les prisonniers, il s’adresse, à travers une lettre, à M. Duplan, procureur général auprès de la cour royale de Lyon :

‘Des airs officieux me pressent de quitter la ville au moment de l’arrivée des troupes : fort de ma conscience, je résisterai à tous ces conseils pusillanismes. On a dit que j’avais été arrêté par vos ordres… ! on m’a dit que je serais arrêté, cela peut arriver, car j’ai des ennemis acharnés et fougueux parmi ceux auxquels j’ai dit la vérité avec ma franchise ordinaire… Je désire que cette affaire soit mise au grand jour, car sous les yeux de la Cour, je dévoilerai des menées bien ineptes ou bien coupables… Je ne possède plus que mon honneur ; en 1816, je n’ai pas voulu le vendre pur m’enrichir ; j’aurais pu compromettre et perdre plus de quatre cents personnes, dont plusieurs aujourd’hui m’accusent et voudraient m’enlever ma réputation. Je n’ai jamais changé, je ne me suis jamais vendu, je laisse aux transfuges, aux traîtres, aux niais politiques leur or, leur infamie et leur pusillanimité 1600 .’

Il serait intéressant de traiter cet événements plus en détail pour connaître la fin de cette nouvelle péripétie.

Nous perdons la trace des Rosset en 1836, date de l’acte de décès de Claudine Duplain fille de Pierre. Pétrus Rosset, petit fils de Louis est mentionné sur l’acte, il est alors âgé de trente ans, négociant rue Buisson, n° 6. Mentionné aussi Antoine-Henry-Benoît Cathelin (certainement son cousin, la mère de Pétrus étant Jeanne Henriette Régis Cathelin 1601 ) âgé de trente six ans, commis négociant, rue Champier n° 1.

Notes
1514.

Dumolard Henry, La Terreur blanche dans l’Isère : Jean-Paul Didier et la Conspiration de Grenoble, 4 mai 1816 (d’après des documents inédits), Grenoble, Allier père & fils, 1928, p. 13

1515.

Ibid, p. 16

1516.

Ibid, p. 53

1517.

Jean-Paul Didier, né le 25/6/1753 à Upie dans la Drôme de Pierre-Jean, marchand et de Marie-Anne Combelle. Etudia le droit à l’université de Valence pour s’établir avocat au Parlement de Grenoble. En 1784, il épouse Claudine-Rosalie Drevon, fille de feu Claude Drevon, ancien procureur au Parlement, sa femme lui apporte 20 000 livres de dot - Dumolard Henry, La Terreur blanche dans l’Isère : Jean-Paul Didier et la Conspiration de Grenoble, 4 mai 1816 (d’après des documents inédits), Grenoble, Allier père & fils, 1928 p. 58

1518.

Dumolard Henry, Op. Cit., p. 61

1519.

Ibid, p. 69

1520.

Ibid, p. 73

1521.

Ibid, p. 71

1522.

Ibid, p. 72

1523.

La Conspiration de Rosset, débats de la cour d’assise, jugement…, Lyon, Chambet, 1816, p. 2

1524.

Ibid,, p. 6

1525.

Ibid,, p. 36

1526.

Ibid,, p. 2

1527.

Lors du procès, il n’a pas pû être déterminée la façon dont les armes auraient été livrées aux employés, La Conspiration de Rosset, débats de la cour d’assise, jugement…, Lyon, Chambet, 1816, p. 26

1528.

La Conspiration de Rosset, débats de la cour d’assise, jugement…, Lyon, Chambet, 1816, p. 6

1529.

Le lieutenant général de Lyon, Charrier-Sainneville a été nommé en juillet 1815 après avoir été magistrat pendant quatorze ans, Charrier-Sainneville, Compte rendu des événements qui se sont passés à Lyon, depuis l’ordonnance royale du 5 septembre 1816, jusqu’à la fin d’octobre de l’année 1817, Paris, Tournachon-Molin et H. Seguin, Lyon, Targe, 1818, p. 8

1530.

Charrier-Sainneville, Compte rendu des événements qui se sont passés à Lyon, depuis l’ordonnance royale du 5 septembre 1816, jusqu’à la fin d’octobre de l’année 1817, Paris, Tournachon-Molin et H. Seguin, Lyon, Targe, 1818, p. 10

1531.

Dumolard Henry, Op. Cit., p. 74

1532.

La Conspiration de Rosset, débats de la cour d’assise, jugement…, Lyon, Chambet, 1816, p. 59

1533.

Ibid,, p. 12

1534.

Ibid,, p. 59

1535.

Ibid, p. 9

1536.

Ibid,, p. 59

1537.

Lettre du lieutenant de police de la ville de Lyon à M. le Comte, Lyon, 1/2/1816

1538.

Bertholon emprisonné pour divers crimes et délits, en réalité vol avec violence, Attestation du capitaine commandant la compagnie de gendarmerie du département du Rhône, Lyon, 20/7/1816

1539.

Rapport de grand [gardien de la prison de Roanne] à M. le maire de la ville de Lyon, Lyon, 13/5/1816

1540.

Note du conseiller d’Etat, préfet du département du Rhône, Lyon, 22/8/1816

1541.

Lettre du lieutenant de police de Lyon à M. le Comte, Lyon, 18/7/1816

1542.

Déclaration faite par le Sieur Oache, ancien militaire impliquant divers individus, Dijon, 21/1/1816

1543.

Dumolard Henry, Op. Cit., p. 74

1544.

Lettre de Vionnet de Méringoné à M. le Comte, Lyon, 6/9/1816

1545.

Lettre de Rosset à M. …, Château d’If, 11/6/1817

1546.

Dumolard Henry, Op. Cit., p. 77

1547.

Ibid, p. 9

1548.

Ibid, p. 203

1549.

Ibid, p. 205

1551.

La Conspiration de Rosset, débats de la cour d’assise, jugement…, Lyon, Chambet, 1816, p. 1

1552.

La Conspiration de Rosset, débats de la cour d’assise, jugement…, Lyon, Chambet, 1816, p. 1

1553.

Ibid, p. 3

1554.

Ibid,, p. 4

1555.

Ibid,, p. 19

1556.

Ibid,, p. 52

1557.

Ibid,, p. 53

1558.

Ibid,, pp. 55-58

1559.

Ibid,, 1816, p. 51

1560.

Ibid,, p. 89

1561.

Ibid,, p. 91

1562.

Ibid, p. 93

1563.

Charrier-Sainneville, Compte rendu des événements qui se sont passés à Lyon, depuis l’ordonnance royale du 5 septembre 1816, jusqu’à la fin d’octobre de l’année 1817, Paris, Tournachon-Molin et H. Seguin, Lyon, Targe, 1818, p. 11

1564.

Dumolard Henry, Op. Cit., p. 74

1565.

Charrier-Sainneville, Op. Cit., p. 10

1566.

Lettre de la police de Lyon à M. le comte, Lyon, 15/10/1816

1567.

Lettre de M. Rosset adressée à Mon cher ami, sd

1568.

Lette d’Emma à Rosset, Lyon, 1/7/1817

1569.

Lettre de M. Rosset adressée [pas de destinataire], sd

1570.

Effets embarqués à bord du navire Hope providence. Capitaine Sr Youngt par M. Rosset, passager de Marseille », sd

1571.

Lettre de M. Rosset adressée à Mon cher ami, sd

1572.

Courrier de la préfecture à M. et cher collègue, Lyon, 26/11/1816

1573.

Rapport du commissaire général de police, Marseille, 8/8/1817

1574.

Lettre du préfet des Bouches du Rhône au préfet du Rhône, Marseille, 30/11/1816

1575.

Note de Rosset, Château d’If, sd

1576.

Lettre de M. Rosset adressée à Mon cher ami, sd

1577.

Lettre de M. Rosset adressée à Madame, sd

1578.

Lettre de Rosset à un ami à Lyon, sd

1579.

Procès des vingt-huit individus prévenus d’avoir participé aux mouvemens insurrectionnels qui ont éclaté dans le département du Rhône, dans les premiers jours de juin 1817 : Comprenant : l’analyse de l’acte d’accusation et des débats de l’audience, ainsi que l’arrêt intervenu, suivi des différens arrêts rendus depuis le 8 juin dernier, par la Cour Prévôtale du Rhône, contre ceux qui ont dirigé les mouvemens, ou fait partie des bandes armées des campagnes, Lyon, Chambet, 1817, 80 p.

1580.

Ibid,, p. 5

1581.

Ibid, p. 6

1582.

Procès des vingt-huit individus prévenus d’avoir participé aux mouvemens insurrectionnels qui ont éclaté dans le département du Rhône, dans les premiers jours de juin 1817 : Comprenant : l’analyse de l’acte d’accusation et des débats de l’audience, ainsi que l’arrêt intervenu, suivi des différens arrêts rendus depuis le 8 juin dernier, par la Cour Prévôtale du Rhône, contre ceux qui ont dirigé les mouvemens, ou fait partie des bandes armées des campagnes, Lyon, Chambet, 1817, pp. 6-7

1583.

Ibid,, p. 6

1584.

Ibid,, p. 4

1585.

Ibid,, p. 42

1586.

Procès des vingt-huit individus prévenus d’avoir participé aux mouvemens insurrectionnels qui ont éclaté dans le département du Rhône, dans les premiers jours de juin 1817 : Comprenant : l’analyse de l’acte d’accusation et des débats de l’audience, ainsi que l’arrêt intervenu, suivi des différens arrêts rendus depuis le 8 juin dernier, par la Cour Prévôtale du Rhône, contre ceux qui ont dirigé les mouvemens, ou fait partie des bandes armées des campagnes, Lyon, Chambet, 1817, pp. 56-57

1587.

Rapport du commissaire général de police, Marseille, 8/8/1817

1588.

Lettre du ministre de l’intérieur à M. le Comte, Paris, 10/12/1816

1589.

Lettre d’Emma Rosset à son père, Lyon, 9/8/1817

1590.

Lettre de la préfecture des Bouches du Rhône à Rosset, Marseille, 23/7/1817

1591.

Lettre de la préfecture des Bouches du Rhône à Rosset, Marseille, 1/9/1817

1592.

Lettre de la préfecture des Bouches du Rhône à Rosset, Marseille, 17/5/1817

1593.

Lettre de la préfecture des Bouches du Rhône à Rosset, Marseille, 18/7/1817

1594.

Lettre de M. Thibaudier à Rosset, Lyon, 12/8/1817

1595.

Note de Rosset, 16/9/1817

1596.

Testament de Désirée Cady épouse Conard, Philadelphie, 8/5/1820

1599.

Lettre de Rosset à la Comtesse Polenska, Bologne, 6/7/1825

1600.

Louis Rosset, de Lyon, à M. Duplan, procureur général près la cour royale de Lyon, De Lyon, le 29/11/1831. Lyon, Charvin, 1 feuille

1601.

Mariage de Louis Benoît Rosset et Jeanne Henriette Régis Cathelin, 27 fructidor an III - AML, 2E0012, film 843, n° 2395