A. Les coulisses des scènes de la réforme

Nous considérerons la réforme sous l’angle des différentes scènes au sein desquelles se matérialise sa fabrique : celle où se produit la réforme statutaire du corps, celle où se pense l’identité à donner au « nouveau » corps, et enfin celle de sa formation proprement dite. Ces scènes se composent d’espaces sociaux qui en forment les coulisses et nous permettent de rendre compte d’où viennent les acteurs qui s’y produisent. Ces coulisses sont peuplées d’individus, de groupes d’acteurs et d’institutions, concernés de près ou de loin par ce qui se joue en scène, qu’ils en soient la cible directe (les membres des quatre corps fusionnés et, en particulier, les élèves) ou les « entrepreneurs » (les représentants syndicaux et associatifs des corps candidats à la fusion, les responsables de la direction du Personnel du ministère de l’Équipement, les membres du cabinet du ministre, le conseil général des Ponts et Chaussées− CGPC, les directeurs d’administrations centrales, les personnalités du corps, etc.) ; qu’ils soient susceptibles d’en ressentir les effets par répercussion (les ingénieurs des Travaux de chacun des corps fusionnés et les ITPE en particulier, les employeurs, les instances de formation « alternatives ») ou qu’ils interviennent comme des dimensions plus structurelles contraignant son évolution (les autres grands corps et grandes Écoles). Les frontières entre ces espaces sociaux étant à la fois mouvantes et imbriquées, un acteur, individuel ou collectif, est susceptible d’appartenir à plusieurs espaces ou bien de migrer entre ces espaces, au sein d’une même scène de réforme ou bien d’une scène à l’autre. Les acteurs peuvent être différents et intermittents, qu’ils interviennent de manière ponctuelle ou récurrente, à divers moments du processus. Ces scènes de la réforme, et les coulisses qui les composent, sont en partie structurés par leur environnement (historique, administratif, économique, politique, international, etc.) qui les contraint sans pour autant les façonner totalement. Les activités observables en leur sein tissent, en outre, « une structure de relations dont les partenaires sont liés par des phénomènes d’échange, de domination ou d’interdépendance 142  ».

Ces scènes ont une « substance » : elles peuvent être décrites et observées. Outre la détermination des différents espaces sociaux qui s’y articulent, elles s’incarnent et se matérialisent dans différents dispositifs (des groupes de réflexion, des productions écrites, des négociations, des créations institutionnelles, etc.). Mais il s’agit également d’un construit heuristique qui nous permet de faire le lien entre les variables micro et macro qui s’y articulent, et qui ainsi nous offre un lieu congruent d’observation de l’articulation des différentes contraintes propres à chaque intervenant, ses répertoires de justification, les arguments qu’il invoque et les valeurs auxquelles il se réfère.

Notes
142.

THŒNIG Jean-Claude, « L'analyse des politiques publiques », dans GRAWITZ Madeleine et LECA Jean (dir.), Traité de science politique, op. cit., 1985, p.16.