Entre les entretiens semi-directifs formels et les conversations « en off », nous avons eu l’occasion de réaliser plusieurs entretiens, au statut incertain, que nous proposons de qualifier d’« entretiens sur le mode conversationnel ». Il s’agit d’entretiens dans la mesure où ils sont structurés selon une grille de questions posées par le chercheur qui est en position d’écoute et de recueil d’informations, mais ils ne se présentent pas comme tels aux interviewés et ils prennent l’aspect, extérieur, d’une conversation informelle, sans consignation immédiate des propos tenus. Cette posture où le chercheur avance masqué n’a pas été pensée en amont comme un moyen de glaner des informations. Elle s’est construite par tâtonnements mais s’est rapidement révélée nécessaire. Elle est la conséquence de l’ambiguïté de notre situation matérielle et spatiale. Comme nous l’avons évoqué au début de cette introduction, cette thèse a été financée durant les trois premières années par le ministère de l’Équipement, via l’École nationale des Travaux publics de l’État, au sein de laquelle nous avons été hébergée pendant plus de cinq ans. Nous avons dès lors noué des contacts au sein de l’établissement, à la fois dans le laboratoire RIVES avec des chercheurs et des doctorants, mais également avec les élèves de l’ENTPE dont certains avaient suivi le même DEA que nous, avant notre arrivée à l’École. Ces relations professionnelles et amicales, qui plus est auprès de chercheurs confirmés ou en formation, se prêtent difficilement à un type d’exercice qui vient rompre la spontanéité des interactions et formalise artificiellement les échanges. Mais si nous avons été conduite à « bricoler » cet outil de récolte des informations, c’est surtout du fait de la réticence de ces personnes à se prêter au jeu de l’entretien 169 . Les uns, jeunes ingénieurs des TPE initiés aux sciences sociales, voire engagés dans un processus de reconversion via la réalisation d’une thèse, acceptaient mal de se voir réduit à une « identité d’ingénieur » et opposaient des résistances à nos tentatives de les constituer en « acteur » ou en « objet ». Les autres se méfiaient de la mise au jour de leurs stratégies d’acteurs (de la réforme des enseignements de l’ENTPE par exemple) et ont exprimé le refus, explicite, de se voir analysés comme tels. La pratique de ce type d’« entretiens » nous a permis, dans une certaine mesure, de contourner certaines réticences et d’obtenir malgré tout des informations, de l’intérieur.
« L’entretien est un rapport de force » (LEGAVRE Jean-Baptiste, « La “neutralité” dans l’entretien de recherche... », Politix, op. cit., 1996, p. 216) ; c’est un « rapport de pouvoir » (BEAUD Stéphane, « L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l’“entretien ethnographique” », Politix, vol.9, n°35, 3ème trim. 1996, p. 238.)