VI. Annonce du plan

Le plan de la thèse suivra les différentes scènes qui composent la réforme des cadres de l’action publique. Il se déclinera donc en trois temps : tout d’abord l’analyse de la fusion des corps techniques supérieurs du ministère de l’Équipement, de son contexte d’apparition et de la réforme statutaire consécutive ; ensuite celle de la réflexion sur la création d’une formation initiale dévolue au « nouveau » corps ; et enfin l’étude de la mise en place effective du dispositif de formation ainsi que de la diffusion des enseignements aux nouvelles recrues.

Dans notre première partie, la restitution du contexte d’apparition de la réforme se déclinera sous deux aspects qui constituent le premier chapitre. Le contexte sera présenté du point de vue des acteurs, de leur vécu et de leurs perceptions des évolutions du corps et du Ministère, notamment depuis les premières lois de décentralisation, et sous l’éclairage plus objectif du cadre législatif et des évolutions de l’action publique, tels qu’ils ont été analysés dans la littérature. La mise en regard de ces deux analyses de registres différents fait apparaître le décalage qui sépare les interprétations de la décentralisation de part et d’autre. Au-delà des faits objectifs et des interprétations auxquelles ils prêtent, nous nous intéresserons à la manière dont ont été officiellement présentés et stratégiquement orientés, au sein du ministère de l’Équipement, les moments-clés que constituent les deux actes de la décentralisation. Cela nous conduira à nous intéresser plus précisément à l’impact de la décentralisation sur l’évolution de l’état des rapports entre le ministère de l’Équipement et son principal corps d’encadrement supérieur. Nous tenterons de rendre compte de ces évolutions en partant de la création du Ministère en 1966 et en nous penchant sur plusieurs facteurs : le rapport des ingénieurs des Ponts aux métiers traditionnels, abordé du point de vue des représentations livrées par les acteurs concernés, et à partir des évolutions de leurs positions administratives au sein de leur ministère de tutelle, de leur rapport à l’expertise et aux métiers dits traditionnels, de leur présence dans les services déconcentrés de l’État et de l’attitude des jeunes recrues vis-à-vis de ces métiers.

Le deuxième chapitre retracera précisément le processus de la fusion des corps en débutant par une présentation des quatre corps concernés et de leur position relative dans le champ des grands corps techniques de l’État. Cette analyse permettra de révéler les tenants et les aboutissants d’une telle réforme pour chacun des quatre corps et, surtout, de réviser à cette aune la vision traditionnelle des hiérarchies entre corps de l’État. Après avoir mis en évidence le rôle joué par le corps des Ponts (dit « traditionnel ») dans le projet de fusion, nous entrerons dans les négociations concrètes de la réforme statutaire, où apparaissent les gains potentiels qu’en attendent les participants. Nous reviendrons sur les discours de justification, les stratégies argumentatives et les résultats des négociations avec les agents de la DGAFP et ceux du ministère de l’Économie et des Finances.

La deuxième scène étudiée chevauche en partie la fabrique du décret statutaire d’un point de vue chronologique. Elle concerne le processus de réflexion qui a amené divers représentants institutionnels du corps à penser ensemble l’identité qu’il convenait d’assigner au corps en voie de création par le biais de la formation initiale. Nous retracerons ici le processus de décision sinueux qui a conduit les différentes parties en présence à s’entendre sur la figure de l’« ingénieur manager ». Le troisième chapitre portera sur la lente émergence d’un accord sur ce profil, les contraintes qui y ont présidé, les représentations qui l’ont porté, les stratégies et les discours qui ont contribué à le façonner. Nous nous intéresserons en particulier à la représentation de l’action publique à laquelle il renvoie et aux valeurs qu’il est censé évoquer. L’opposition que cette figure de l’« ingénieur manager » va susciter au sein du corps, faisant intervenir le directeur de cabinet lui-même dans la réflexion sur ce que devrait être l’ingénieur type des Ponts et Chaussées et la formation qu’il devrait par conséquent recevoir, sera analysée plus en détail dans le chapitre quatre. C’est là que nous reviendrons précisément sur les différentes projections dont fait l’objet cette figure au sein du corps, en nous intéressant à deux prises de position idéal-typiques sur son identité. La mise en regard des représentations différenciées de l’« ingénieur manager », défendues par les deux groupes idéal-typiques, avec leurs positions institutionnelles et les activités professionnelles dans lesquelles ils sont investis, viendra éclairer l’ambiguïté stratégique dont est porteuse cette identité de l’ingénieur des Ponts et Chaussées.

La troisième scène sur laquelle nous souhaitons nous pencher s’incarne dans le dispositif de formation initiale effectivement créé à la suite de la fusion et des débats sur l’identité du corps des Ponts et Chaussées. Partant du discours des acteurs qui défendent le caractère inédit d’une telle formation, guidée par leur volonté de donner au corps fusionné un profil d’« ingénieur manager » revendiqué comme novateur, nous avons été amenée à réinscrire cette formation dans la temporalité plus longue des évolutions de la formation du corps des Ponts et Chaussées, au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle. Ce regard en arrière dans l’histoire de la formation éclairera en retour la place de la réforme dans l’évolution des rapports entre le corps des Ponts et le ministère de l’Équipement, et le rôle qui est attribué à cette réforme dans le rapport du corps à l’État et à l’action publique. L’attention portée au contenu des enseignements nous renseignera, à son tour, sur la vision de l’action publique sous-tendue par la formation et les prescriptions de rôle dont elle est porteuse à l’endroit des élèves du corps. Le chapitre six viendra alors montrer dans quelle mesure cette nouvelle formation s’inscrit dans une redéfinition plus large des rapports entre l’ENPC, le corps des Ponts et le ministère de l’Équipement. Il révèlera la nouvelle politique à l’œuvre au sein du Ministère en matière de « gestion » des jeunes membres du corps et des Écoles sous sa tutelle, politique nouvelle qui accompagne la dernière phase de la réforme des cadres de l’action publique.