Conclusion du chapitre 2

L’analyse de la position du corps des Ponts et Chaussées dans l’espace des corps techniques supérieurs du ministère de l’Équipement nous a permis de mettre en évidence la situation d’affaiblissement du corps à la veille de la fusion. En perte de vitesse au sein de la haute fonction publique, le corps des Ponts et Chaussées n’offrait plus à ses membres les conditions matérielles à la hauteur de son prestige scolaire. Parallèlement, d’autres corps moins réputés faisaient bénéficier leurs membres de carrières et d’avantages largement équivalents, voire bien supérieurs. Cette analyse nous a ainsi renseignée sur les motivations qui sont à l’origine du rapprochement du deuxième corps le plus prestigieux de l’École polytechnique avec des corps dont les ingénieurs comptent parmi les élèves les moins bien classés. Seule manière d’envisager une amélioration statutaire pour les hauts fonctionnaires, la fusion est apparue comme une opportunité à saisir pour le corps des Ponts et Chaussées. La création d’un « nouveau » corps, annoncée et revendiquée comme une réforme « modernisatrice » et légitimée par des principes managériaux, constitue avant tout une opportunité pour renforcer le principal corps d’encadrement du ministère de l’Équipement. Elle est aussi l’occasion pour le ministère de l’Équipement de se doter d’un corps, non seulement mieux gratifié, mais également plus fidèle. L’alliance avec des corps dont les membres travaillent en très grande majorité au sein de leur tutelle permet de modifier le profil du nouveau corps et de compenser la désaffection grandissante des IPC pour le ministère de l’Équipement. Elle s’accompagne, en outre, de statuts plus exigeants en matière d’engagement des nouveaux ingénieurs des Ponts à servir l’État. La restitution des principales négociations autour de la rédaction d’un nouveau décret a, enfin, permis de montrer combien les revalorisations statutaires étaient au cœur du projet de fusion qui a constitué un progrès matériel tangible pour l’ensemble des quatre corps concernés.

Ainsi, loin d’apparaître comme le vecteur d’un retrait de l’État, la « modernisation » est mise en œuvre au profit de ceux qui le servent. Non seulement la réforme qui s’en réclame ne répond-elle pas aux impératifs revendiqués de réduction des dépenses publiques mais c’est au nom de la « modernisation » que la réforme a pris le contre-pied des valeurs qu’elle prétendait incarner. Elle semble ainsi témoigner de la volonté du gouvernement de ne pas s’aliéner les hauts fonctionnaires dont l’engagement conditionne le succès des politiques de réforme. Tout se passe comme si la politique de « modernisation » de l’État devait s’accompagner d’avantages et de sources de motivation destinés à valoriser ceux-là même qui sont censés la mettre en œuvre : pour « moderniser » l’État en réduisant les dépenses publiques, il faudrait commencer par inciter à la « modernisation » en les augmentant.