A. Un corps réformé de managers de l’action publique

« L’ingénieur des Ponts et Chaussées, c’est le type parfait des ingénieurs de l’État : c’est l’ingénieur à tout faire. D’autres ont une spécialité […] lui fait de tout, sa compétence est universelle. […] [Ses occupations sont] loin[s] des fonctions elliptiques ou pluckeriennes, ou même des mystères du moment fléchissant et des courbes d’influence que l’ingénieur dut digérer autrefois à l’École polytechnique et à l’École des Ponts. […] Le droit, la politique, la paperasse y tiennent une place énorme ; il reste peu de chose −dans l’ensemble− pour la technique et la science 977 . »

Le 28 août 2002, une lettre de Pierre Graff, directeur de cabinet du ministre de l’Équipement, « commande » au directeur de l’ENPC de mettre en place le schéma de formation prévu dans le « rapport Monnier ». Il s’agit d’un dispositif provisoire permettant à la première promotion du nouveau corps de suivre la première année de leur formation commune. En effet, suite à un sondage effectué par les chargés de mission des quatre anciens corps, tous les ingénieurs de la nouvelle promotion ont choisi d’effectuer leur scolarité au sein de l’ENPC. L’École des Ponts doit donc accueillir l’ensemble de la promotion et aménager par conséquent le cursus de la première année, en ajoutant les trois voies optionnelles, dites « dominantes », correspondant aux spécialités disciplinaires des corps de l’Aviation civile, de la Météorologie et de la Géographie nationale 978 . Á la suite de discussions avec le directeur du Personnel 979 , le directeur de l’ENPC avait anticipé les directives contenues dans la lettre du directeur de cabinet en créant deux groupes de travail afin de préciser le contenu pédagogique de la formation. Le premier, relatif à la première année des « corpsards », présidé par Jean-Pierre Giblin (CGPC), et le deuxième, présidé par Gilbert Santel (cf. infra), sur la troisième année. Ce dernier est responsable de la mise en place du tronc commun de la formation du nouveau corps relative au « management de l’action publique ». Au vu des enjeux qu’ont jusque-là présentés la nature et la teneur de la formation commune pour la constitution d’une identité propre au corps, c’est le groupe dit « Santel » qui retiendra ici notre attention. Évoquée au cours de notre enquête sous le sceau du secret, l’existence de ce groupe, censé avoir été mis en place « en catimini sans que personne ne le sache au Ministère 980  », n’est mentionnée nulle part avant son officialisation tardive par une lettre de « commande » du directeur de cabinet 981 , reçue par le président à peine un mois avant le rendu de son rapport final 982 .

Nous souhaitons retracer les réflexions qui ont conduit les membres du « groupe Santel » à s’entendre sur ce que devrait être l’ingénieur des Ponts et Chaussées aujourd'hui et à l’avenir, et sur la conception de l’action publique à laquelle il est censé participer, avant de décrire et d’analyser le contenu des enseignements préconisés dans le rapport final.

Notes
977.

Portait rédigé en 1923 par Jacquart, ingénieur des Ponts et Chaussées cité dans : BRUNOT André et COQUAND Roger, Le corps des Ponts et Chaussées, op. cit., 1982, pp.543-545.

978.

Lettre du directeur de cabinet au directeur de l’ENPC, objet : « Formation des ingénieurs des ponts et chaussées », La Défense, le 28 août 2002. Source : DPS, documents internes.

979.

Entretien auprès d’un ancien directeur du Personnel, Noisiel, le 28 janvier 2004.

980.

Entretien auprès d’un membre du groupe de réflexion sur le MAP, le 31 janvier 2003.

981.

Lettre du directeur de cabinet du ministre de l’Équipement à Gilbert Santel, réf. : FM/03001025, Paris, le 17 février 2003. Le rapport est remis à la direction du Personnel en mars 2003. Source : DPS, documents internes.

982.

Observée à plusieurs reprises au cours du processus de fusion, le décalage temporel entre le début des travaux d’un groupe de travail et la remise d’une lettre de commande censée les initier est révélatrice des processus de réforme administrative. La réforme semble ici être à l’initiative des agents « sur le terrain » qui, bien souvent, rédigent eux-mêmes les courriers qui leur sont adressés, avant de les soumettre à la signature du directeur de cabinet du ministre de l’Équipement. [En témoignent les différentes versions intermédiaires des lettres de commande retrouvées dans les documents internes de la DPS]. Le rôle du cabinet apparaît en la matière (en tout cas à ce moment-là) comme un rôle d’accompagnement de la réforme, impulsée par les agents du ministère qui s’« auto-saisissent » des dossiers à traiter.