B. L’ingénieur comme incarnation du changement

Les représentants du ministère de l’Équipement veillent à ne pas séparer la figure de l’ingénieur des attributs qui caractérisent le manager. Selon eux, les deux dimensions identitaires du corps sont intimement mêlées et se nourrissent de leurs caractéristiques mutuelles.

‘« L’ingénieur, il fait quoi ? L’ingénieur il modifie les paysages, il repousse les limites, il conduit les transformations du pays. […] C’est son métier ! L’ingénieur c’est donc un manager du changement 1183 . »’

Leurs discours à ce sujet font largement écho aux représentations officielles du corps, portées par le ministère de l’Équipement dans les discours apologétiques du corps tenus vers l’extérieur, publiés dans les brochures ou disponibles sur le site internet de l’administration. Dans ces présentations officielles, la propension à nommer les caractéristiques du corps dans un langage qui prétend à l’objectivité, notamment par des références au passé ou aux missions de l’ingénieur de l’État, tend à les convertir en essence. L’« identité » du corps apparaît ainsi comme un produit de l’histoire et du métier d’ingénieur qui en aurait façonné les contours et nourri les qualités intrinsèques de dynamisme et de « modernité », pour en faire une entité irréductible à tout autre groupe professionnel. Prétendant objectiver les qualités de manager du corps en référence à son métier d’ingénieur, les présentations officielles visent à les faire apparaître comme consubstantielles à son « identité » même. Par cette opération, elles cherchent à susciter l’adhésion des membres du corps à une vision enchantée d’eux-mêmes au sein du collectif.

L’acte de définition d’une institution est en même temps une stratégie de positionnement et de préemption de qualités qui sont de potentiels gages de légitimité. Prétendant se définir dans un de ces moments autorisés d’exaltation du corps par lui-même que permettent les discours généralistes destinés à le présenter à l’extérieur, le groupe revendique, et entend par là s’approprier, la qualité de réformateur, en tant qu’ingénieurs. Le corps vise ainsi à construire et à structurer un espace qui lui serait propre au sein de l’administration. Si la thématique du changement est un discours dans l’ère du temps qui suscite un fort engouement des acteurs tant privés que publics, les représentations du corps données par les présentations officielles issues du ministère de l’Équipement visent à en revendiquer l’héritage en l’associant étroitement à l’histoire du corps (lue comme interdépendante de celle du Ministère) et à ses missions professionnelles.

Notes
1183.

Entretien auprès du directeur général adjoint de Météo France, Paris, le 23 avril 2003.