Leur conception du mastère d’action publique réside dans une formation destinée exclusivement à des agents de la fonction publique, voire à des salariés exerçant au sein de structures liées au service public. Les compétences managériales qui devraient y être délivrées seraient censées cibler la dimension publique de leur activité professionnelle. Comme l’indique le directeur du MAP, le management de l’action publique présente des « spécificités 1200 », aussi le mastère ne serait-il d’aucun apport pour qui voudrait « fabriquer du savon ou vendre des vêtements, dans le secteur du marché concurrentiel 1201 ». Le mastère devrait donc avoir pour vocation de cibler les différences entre les secteurs public et privé, et témoigner de la nécessité de préserver une sphère publique qui ne soit pas régulée par les principes du marché 1202 :
‘« On doit les former à l’action publique donc il faut qu’ils sachent pourquoi l’action publique d’abord. Pourquoi diable y’a-t-il un domaine public alors qu’il y a un domaine privé ? Qu’est-ce qui fait la différence entre les deux ? Qu’est-ce qui le justifie ? Le justifie pas seulement au sens de le permet mais aussi le fonde, le rend rationnel. Qu’est-ce qui justifie rationnellement le fait qu’il y ait un domaine public ? […] Il y a une vraie raison d’être de la sphère publique […] Ça, les élèves qui ont suivi un cursus uniquement technique, ils en ont une idée très approximative, donc il faut les former à cela 1203 . »’Il s’agit donc de former des cadres supérieurs destinés à la haute fonction publique et qui devraient être prioritairement orientés vers le ministère de l’Équipement. Selon les représentants du Ministère, celui-ci devrait être le principal employeur du MAP. Dans cette perspective, il faudrait veiller à l’« employabilité » des élèves pour l’administration :
‘« Il faudra être employable dans les carrières du ministère de l’Équipement […]. Ça, ça demande d’avoir suivi un certain cursus scientifique. […] Alors, bon, il faut savoir si le corps des Ponts est un grand corps technique ou pas. Ma vision du corps des Ponts est que c’est un grand corps technique et qu’il est sain d’avoir des compétences d’ingénieurs et d’avoir occupé un certain nombre de postes techniques. Parce que dans un parcours professionnel, vous pouvez avoir, à un moment donné, un accident de carrière, ça arrive, il vaut mieux être ré-employable correctement […] Donc je pense que ce qu’on a d’un certain côté ce n’est pas idiot de le redonner par ailleurs en étant donc employable au sein des maisons d’emplois 1204 . »’Le MAP apparaît comme un dispositif de fidélisation des jeunes cadres au ministère de tutelle qu’il conviendrait dès lors d’orienter selon les attentes et les besoins du Ministère, devenus les indicateurs de l’employabilité des ingénieurs du corps. Par la formation initiale des élèves sous leur tutelle, les représentants du Ministère entendent ainsi se réapproprier un « management » qui serait trop exclusivement orienté vers le secteur privé, pour le mettre au service de la « modernisation » de l’État et du Ministère. Contre la tendance observée des ingénieurs à s’appuyer sur des compétences managériales, acquises au cours de leur formation initiale, pour mieux « faire fortune ailleurs 1205 », il s’agirait donc d’investir ces compétences et ces savoirs pour en faire un vecteur d’attractivité du Ministère. La labilité du management les autorise à s’en saisir pour mieux le redéfinir, en l’ajustant à la vision du corps qu’ils défendent, au service du ministère de l’Équipement.
Entretien auprès du directeur du MAP, Paris, le 4 février 2004. Le MAP a été ouvert aux élèves à la fin du mois d’août 2004 mais, au moment de l’entretien, le directeur est déjà confirmé dans ses fonctions.
Idem.
Il s’agit là d’un thème de recherche transversal au laboratoire que dirige Joël Maurice (entretien précité) depuis le 1er janvier 2003. Le CERAS développe en effet des recherches en économie théorique et appliquée dont la finalité, est-il indiqué sur son site internet, est « l’analyse de l’intervention publique en général » [site internet du CERAS]. C’est ce que rappelle le directeur du MAP en entretien : « Il n’y a pas d’ambiguïté, il y a une véritable spécificité de l’action publique. Mais votre question est intéressante parce que quand on a présenté le produit [du MAP] à l’AIPC, l’un des membres du bureau a dit : “Mais vous êtes ringards − enfin il l’a pas dit comme ça mais c’est vraiment ça qu’il voulait dire − parce que, dans quelques années, il n’y aura plus d’action publique, le marché suffira à tout !” Alors, moi, ça m’étonnerait parce que, moi, j’anime un labo d’économie dont l’essentiel du travail consiste à traiter les imperfections du marché. Donc ça m’étonnerait qu’on puisse s’en remettre au marché pour le choix des investissements à très long terme, pour le développement durable, pour la mise en place du permis… du droit d’émission de CO2 et cætera. Il y a un rôle bien strict de la puissance publique, de l’organisation des choses, que le marché ne va pas générer de façon spontanée. Même à la bourse il y a un contrôle des opérations boursières, la puissance publique intervient ! » Idem.
Entretien auprès du futur directeur du MAP, Paris, le 24 octobre 2003.
Entretien auprès du directeur de l’ENPC, ancien directeur général adjoint de Météo France, Marne-la-Vallée, le 3 novembre 2004.
Entretien auprès d’un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées, promotion X97, Paris, le 15 novembre 2002.