Section 1.  Stratégie d’internationalisation versus tutelle ministérielle

« L’École des Ponts c’est un superbe outil à garder au ministère de l’Équipement, ce projet, ça pose un problème de tutelle... [long silence] Pierre Veltz a porté courageusement ce projet mais cette fusion, ça le dépasse 1677 . »

Dans la continuité du processus d’autonomisation analysé au chapitre précédent, les projets poursuivis par la nouvelle direction de l’École, nommée au début de l’année 1999, contribuent à instaurer une distance entre l’École et le corps des Ponts, ainsi qu’entre l’École et le ministère de l’Équipement. Au fur et à mesure, l’École voit ainsi ses choix, ses priorités et ses objectifs évoluer indépendamment de la tutelle. C’est le cas notamment de la stratégie d’internationalisation qu’elle poursuit et par laquelle la direction espère à la fois améliorer l’image de l’établissement, élargir ses champs de compétence et le renforcer dans la concurrence qui l’oppose aux prestigieuses universités, notamment anglo-saxonnes. Mais à ces fins correspondent des moyens qui vont apparaître en forte contradiction avec la formulation des besoins du ministère de l’Équipement au début du vingtième siècle. Pressée de redorer son blason, l’École entend faire valoir d’autres atouts que la réputation, jugée surannée, dont elle jouit dans le domaine du génie civil ; désireuse de couvrir des compétences plus étendues, aptes à canaliser des étudiants plus nombreux, elle vise des stratégies d’alliance avec des Écoles aux formations différentes, gouvernées par d’autres ministères ; motivée par les impératifs d’attractivité des étudiants sur la scène internationale, elle cherche à se démarquer des spécificités qui la constituent en « exception française » et à prendre ses distances avec une tutelle qui apparaît en décalage avec ses ambitions internationales.

Or, au même moment, les représentants du ministère de l’Équipement ont imposé un certain nombre d’évolutions dans la formation (cf. partie 2) qui semblent poursuivre une logique inverse. D’une part, la spécificité des ingénieurs de l’État est réaffirmée et leur formation est re-calibrée en vue d’épouser les besoins du Ministère ; d’autre part, l’importance du génie civil est renforcée et la place des enseignements techniques réévaluée ; enfin, ces évolutions et le caractère politique des décisions dont elles procèdent, témoignent d’un recentrage de la formation et de l’École sur les prescriptions d’une tutelle qui formule des récriminations et impose son point de vue sur les « produits délivrés 1678  ».

Nous proposons de retracer le processus qui a conduit de la mise à l’agenda des problématiques d’internationalisation au sein de l’École à l’élaboration des différents projets successifs visant à modifier son échelle d’influence (A.). Ces projets vont être confrontés à des enjeux plus locaux, liés à l’inscription de l’École au sein des configurations de l’action publique nationale, et à sa dépendance à l’égard des autorités politiques du ministère de l’Équipement (B.).

Notes
1677.

Entretien auprès d’un ancien directeur du Personnel du Ministère, Noisiel, le 28 janvier 2004.

1678.

Entretien auprès du directeur de cabinet du ministre de l’Équipement, Paris, le 24 février 2005.