3) Souplesse de gestion et ouverture des carrières : la valeur ajoutée du corps des Ponts

Dans les « amphis-retape » de Polytechnique, le ministère de l’Équipement est généralement représenté par le chargé de mission du corps des Ponts et, parfois, par le directeur du Personnel ; ceux-ci sont accompagnés d’un ou plusieurs responsables de l’association professionnelle du corps. Leurs présentations du Ministère et du corps des Ponts sont à l’unisson et font écho à celles des représentants de l’École, comme le résume un rapport conjoint du conseil général des Ponts et Chaussées et de la direction du Personnel 1838  :

‘« Culturellement, le corps des IPC affiche au moment de ses recrutements les composantes qui le caractérisent :
- grande diversité de carrières possibles,
- assez grande souplesse dans la gestion des carrières, permettant du sur-mesure par rapport aux différents projets professionnels (même si ces projets sont assez éloignés des cœurs d’activité des maisons d’emploi 1839 )
Cette méthode a montré par le passé tous ses avantages, à savoir :
- une attractivité du corps et un maintien du niveau de recrutement (recrutement des meilleurs Polytechniciens dans la “botte”, nombre important de candidatures par le biais des autres formes de recrutement…)
- une grande diversité des profils recrutés, ce qui a toujours contribué à répondre aux besoins en compétence très variés des différents employeurs publics, parapublics et privés, et ce qui a également été le moteur du rayonnement très large du corps.
Cette méthode est efficace dans un contexte de recrutement en volume suffisant pour couvrir dans le temps les besoins variés d’employeurs nombreux 1840 . »’

C’est ce que soulignait déjà l’enquête menée par Jean-Claude Thœnig et Anne Filliol auprès des ingénieurs du corps. Pour la plupart d’entre eux et notamment les plus jeunes : « l’attractivité qu’exerce sur eux le corps des Ponts réside [alors] dans ces possibilités d’ouverture qu’il leur offre, par le fait que le destin individuel et professionnel n’y soit pas déterminé de façon contraignante 1841  ». Traditionnellement, les représentants du Ministère vantent donc la grande palette de métiers auxquels permettrait d’accéder le corps des Ponts : de l’aménagement à la finance en passant par les travaux publics et la recherche scientifique. Ils insistent sur « l’esprit d’ouverture du corps 1842  » et sur l’éventail des carrières possibles, au sein du ministère de l’Équipement mais surtout en dehors, notamment au sein du ministère de l’Environnement et du ministère de l’Économie et des Finances, voire au sein du secteur privé :

‘« La référence d’un corps prestigieux avec de grands anciens et un réseau couvrant un large corps social pèse certainement mais l’articulation avec une grande ouverture tant dans le parcours de formation pendant les trois années passées à l’ENPC que dans le choix des premiers postes et la liberté d’orienter ultérieurement le déroulement de sa carrière, en particulier vers le secteur privé, est certainement un facteur prépondérant 1843 . »’

C’est le caractère « très libéral 1844  » de la gestion du corps des Ponts qui constitue ainsi la matrice de leurs discours auprès des candidats potentiels. La possibilité offerte aux ingénieurs des Ponts de suivre des parcours atypiques et personnalisés, adaptés à leurs centres d’intérêt et à leurs aspirations est mise en avant à cette occasion et la diversité des parcours présentés par les « corpsards » venus en « modèles » est là pour attester de cette liberté :

‘« La gestion du corps est globalement très libérale, et permet à chacun de construire sa carrière “sur mesure”, d’autant plus que le périmètre d’action du corps est vaste […]. Cette politique de gestion affichée au moment du recrutement à l’X contribue à l’attractivité 1845 . »’

En effet, le corps des Ponts a fait de cette pratique « libérale » une marque distinctive qui lui permet de faire valoir ses atouts en comparaison du corps des Mines qui recrute généralement les Polytechniciens les mieux placés de la « botte » (cf. chapitre 2). Dans la perspective de cette concurrence, la valorisation de la dimension « libérale » de la gestion du corps des Ponts constitue un argument de choix qui détonne (ou plutôt qu’ils font détonner) avec la gestion réputée plus autoritaire et « dirigiste 1846  » du conseil général des Mines, comme s’empressent de nous l’expliquer nombre d’interlocuteurs interrogés sur les règles de gestion du corps :

‘« Ils ont une gestion monocéphale, c’est le conseil général des Mines et personne d’autres. Donc c’est d’une simplicité biblique et ils ont une stratégie industrielle, c’est-à-dire qu’ils disent franchement : “si vous venez chez nous, c’est pour travailler dans l’industrie”. […] Un discours hyper élitiste et centré sur l’industrie et ils n’hésitent pas à flinguer… je suis un peu dur dans l’expression mais… à flinguer leurs déchets, c’est-à-dire les mecs qui ne réussissent pas : pfffft ! [accompagné d’un geste d’éviction de la main], on les met de côté, ils sont exclus ! Ils ont une gestion beaucoup plus directive, c’est : “bon, tu vas là, tu vas là, tu vas là, tu vas là, tu n’discutes pas, j’te dis qu’c’est bien comme ça et donc tu n’discutes pas !!” Et pour ceux qui se plantent… on les laisse sur le côté 1847 … »’

Le caractère « libéral » de sa gestion apparaît ainsi comme une qualité importante du corps des Ponts « qui est là-dessus en opposition au corps des Mines 1848  ». En adoptant une stratégie de distinction, les représentants ministériels du corps espèrent ainsi augmenter sa cote auprès des Polytechniciens par des arguments qualitatifs susceptibles de contrebalancer le dogme de la position hiérarchique des grands corps de l’État au sein de la « botte ». Dans les faits, le processus d’affectation des ingénieurs des Ponts et Chaussées à leur premier poste témoigne de cette souplesse de gestion très appréciée des jeunes « corpsards », comme l’accréditent les principales motivations à l’origine de leur choix de corps 1849 .

Notes
1838.

Précisons que le rapport, daté de 2004, évoque là la tradition du corps avant de désigner, notamment, la « menace » du « phénomène Bercy » qui justifie en partie une gestion plus stricte des jeunes ingénieurs des Ponts et Chaussées. Conseil général des Ponts et Chaussées et Direction du Personnel, des Services et de la Modernisation, « Pour une gestion rénovée du corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées », Rapport au ministre de l’Équipement, des Transports, de l’Aménagement du territoire, du Tourisme et de la Mer,2004.

1839.

Soulignement à notre initiative.

1840.

CGPC, DPSM, « Pour une gestion rénovée du corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées », Rapport au ministre de l’Équipement, des Transports, de l’Aménagement du territoire, du Tourisme et de la Mer,2004, p.20.

1841.

FILLIOL Anne et THOENIG Jean-Claude, Les jeunes ingénieurs des Ponts et Chaussées face à la filière territoriale, op. cit., 1987, p.24.

1842.

Groupe de travail « cahier des charges de la formation initiale », présidé par Alain Monnier, compte rendu de la réunion du 25 septembre 2000, p.2. Source : ministère Équipement, DPS.

1843.

MONNIER Alain (prés.), « Attractivité du corps », Rapport du groupe de travail « cahier des charges de la formation initiale », novembre 2000, p.16.

1844.

Les sources évoquant ce « libéralisme » du corps des Ponts sont très nombreuses tant cet état d’esprit relève de la tradition du corps. Cf. entre autres : DUCLAUX Thierry (prés.), Rapport sur les pratiques de gestion du nouveau corps résultant de la fusion des quatre corps techniques supérieurs du ministère de l’Équipement, janvier 2000.

1845.

DPSM, note du chargé de mission du corps des Ponts et Chaussées au directeur du Personnel, janvier 2004.

1846.

Entretien auprès d’un ancien chargé de mission du corps des Ponts et Chaussées, La Défense, le 24 avril 2003.

1847.

Entretien auprès d’un ancien chargé de mission du corps des Ponts, Nanterre, le 28 avril 2003.

1848.

Entretien auprès du chargé de mission du corps des Ponts, La Défense, le 29 janvier 2004.

1849.

Actualisation du Rapport de M. Bourges sur la gestion du corps dans : CGPC, DPSM, Annexes : Rapport au ministre de l’Équipement…, op. cit., pp.28-33.