Notre travail d’enquête nous a permis de dépasser l’appréhension du management comme un prêt-à-penser homogène, auquel se conformerait l’ensemble des membres du corps des Ponts, voire la haute fonction publique toute entière 2019 . La démarche analytique et méthodologique que nous avons suivie nous éloigne de l’approche essentialiste de la managérialisation vers laquelle nous menait la réalisation des premiers entretiens. Les témoignages recueillis au début de notre enquête semblaient en effet attester la diffusion généralisée de modes de dire, de penser et d’agir managériaux au sein du corps. Variable explicative de la fusion des corps techniques supérieurs du ministère de l’Équipement, attribut identitaire fièrement revendiqué par des IPC aux appartenances institutionnelles distinctes, raison d’être de la nouvelle formation à l’ENPC : le management apparaissait comme la doxa du corps des Ponts, le cadre structurant et le point commun des différentes réformes en cours en son sein.
Deux principaux indices nous ont incitée à pousser plus loin notre enquête : la longueur du processus de fusion des corps qui s’étend, tel un « serpent de mer » dira un interviewé, sur plus de sept années ; et l’éclatement d’un conflit au sein du corps quant à la formation à délivrer aux élèves hauts fonctionnaires. Interpellée par ces deux éléments qui venaient contredire l’idée d’une adhésion massive et sans heurts des ingénieurs du corps des Ponts à la réforme, nous avons choisi de contourner le discours lissé des acteurs en retraçant la genèse de la réforme des cadres de l’action publique. L’accès aux documents internes de « la crypte » de la direction du Personnel et des Services du ministère de l’Équipement, ainsi que la consultation des archives privées de certains acteurs de la réforme, nous ont offert de nouvelles grilles de lecture des événements.
Nous souhaitons ici revenir sur quelques-uns des résultats mis en évidence par l’analyse sociogénétique de la réforme, en nous penchant sur les usages stratégiques dont le management fait l’objet sur notre terrain d’étude. Si le management apparaît comme une ressource dont les acteurs se saisissent à des fins utilitaires 2020 , il nous semble également s’imposer comme une contrainte dont les acteurs vont jouer (voire se jouer).
Cf. à ce propos la littérature grise produite par le groupe des associations de la haute fonction publique dont le secrétaire général est un ingénieur des Ponts et Chaussées, ancien permanent de l’AIPC.
Tel que le démontre par exemple l’ensemble des contributions au numéro de Politix consacré à la question. L’approche adoptée dans les différents articles consiste à interroger « l’hypothèse d’une managérialisation du management en politique » en appréhendant « le “management” comme une ressource pour ceux qui s’en saisissent ». ROBERT Cécile, « Les transformations managériales des activités politiques », Politix, vol.20, n°79, 3ème trimestre 2007, p.9.