a. Jugements « prescriptifs » versus jugements « évaluatifs »

La première étape de Sen consiste donc en la suggestion d’un système de classification des jugements de valeurs correspondant à l’analyse des classes d’expressions et de termes de valeurs proposée par Hare. En effet, Hare (1963, p. 26) distingue les termes « prescriptifs » qui prescrivent sans forcément décrire et les termes « évaluatifs » qui à la fois décrivent et prescrivent. En étendant ce principe de classification, Sen (1967, pp. 46-47) aboutit à la distinction suivante :

‘Il convient de dire qu’un jugement de valeur est « purement prescriptif » si, au moyen de celui-ci, l’auteur entend seulement communiquer son accord à l’impératif sous-jacent, et non pas quelque information factuelle autre que le fait nécessaire d’exprimer l’impératif. […] En contraste, lorsque ma position implique non seulement mon accord à un impératif de ce genre, mais également un contenu descriptif, il convient de parler d’un « jugement évaluatif ».’

L’approche de Sen s’inscrit donc pleinement dans la lignée prescriptiviste de Hare. Lesjugements de valeurs en considération impliquent tous des impératifs, mais surtout il y a la supposition particulière que les « jugements évaluatifs » comportent inévitablement un sens descriptif et un sens prescriptif. Il est clair qu’à partir de ce point de vue prescriptiviste 223 , discuter les « raisons » des jugements de valeur peut s’avérer problématique. Dès lors, la perspective positiviste aurait tendance à s’imposer. Sen (1967, p. 52) le comprend très bien et c’est en ce sens qu’il fait référence à Ayer (1959) : « Le fait de savoir pourquoi les gens répondent favorablement à certains faits et défavorablement à d’autres est une question de sociologie » (Op. Cit., p. 238). Ainsi, pour Ayer, les raisons à l’origine des jugements n’ont pas de signification logique et les arguments éthiques ne sont en aucun cas une démonstration formelle. Aussi, comme pour Robbins, il n’y a rien de scientifique dans une discussion sur les jugements de valeur.

Mais la volonté de Sen est justement de montrer le contraire, à savoir que la discussion sur les jugements peut être scientifique. En ce sens, son point de départ prescriptiviste semble plutôt contre-productif. La stratégie de Sen consiste donc en l’introduction de deux autres méthodes de classification des jugements, qu’il présente comme complémentaires de celle inspirée des écrits de Hare.

Notes
223.

Hare l’a appelé « prescriptivisme » parce que l’élément de valeur d’un jugement éthique (parfois, simplement, appelé par Hare : « un jugement de valeur ») est dûment exprimé par le mode impératif. (Putnam, 2004, p. 77)