Section I. Les critiques de Sen vis-à-vis du concept de rationalité individuelle

L’habitude de considérer les problèmes économiques sociaux ou individuels en termes de préférences est aujourd’hui bien établie, à tel point que Sen fait partie des rares économistes à avoir questionné ce concept par rapport à l’utilisation qui en est faite à des fins explicatives et également normatives (Anderson, 2001, p. 21). Les économistes considèrent les choix comme émergeant de contraintes, de préférences et d’attentes ou de croyances. Mais les choix et les ensembles de croyances et de préférences peuvent être rationnels ou irrationnels. Conventionnellement, le choix est rationnel quand il est déterminé par un ensemble cohérent de croyances et de préférences ; et la rationalité des ensembles de préférences et de croyances est définie au sein de la théorie de l’utilité. En outre, les agents économiques sont généralement décrits comme agissant rationnellement, mais beaucoup de généralisations quant à la manière dont les gens choisissent sont aussi des revendications quant à la manière dont ils devraient rationnellement choisir 270 (Hausman, McPherson 1993, p. 680).

Dans cette première section, nous chercherons à comprendre d’où vient la préoccupation persistante des économistes pour la rationalité, et surtout quelle est leur manière propre de l’appréhender (A). Si Sen ne déroge pas quant à la préoccupation, il se distingue en revanche par son appréhension. Après avoir soulevé des limites méthodologiques et techniques de la conceptualisation économique de la rationalité, il est entré en profondeur dans des subtilités conceptuelles rarement soulignées ou poussées jusque là (B).

Notes
270.

 Cette idée nous renvoie à la thèse défendue en particulier par le philosophe Hilary Putnam (2002) selon laquelle l’économie positive et l’économie normatives sont souvent entremêlées.