B. Quelle place pour les « préférences » chez Sen ?

Si l’article de 1971 traitait uniquement les questions techniques de la théorie du choix individuel et se situait complètement dans la tradition qui conçoit la préférence comme synonyme de choix, ce ne sera plus le cas par la suite. En effet, il entreprend dans ses écrits suivants une remise en cause normative du raisonnement qui sous-tend la théorie des préférences révélées. Sen (1982, p. 1) souligne que le « choix » et la « préférence » doivent être considérés comme « des concepts primaires ayant leur signification propre », et critique la correspondance souvent admise entre les deux dans la théorie économique — que ce soit de manière empirique dans le cadre classique de la théorie de la demande ou comme axiome dans la théorie des préférences révélées. Cette identification de la préférence au choix laisse de côté trop de questions. Au contraire, maintenir une distinction entre ces notions, comme Sen entend le faire, est utile à la fois pour la clarté de ce que signifient le choix et la préférence, autant que pour laisser la place à des conceptions alternatives de la rationalité qui autorisent la possibilité d’un choix ne satisfaisant pas au maximum les préférences (a).

Parallèlement, Sen a introduit des distinctions au sein même du concept de préférence, évoquant les problèmes éthiques et empiriques liés au fait de ne considérer qu’un seul classement de préférences par individu et à l’utiliser de différentes manières (b). En effet, le concept de préférence omniprésent dans la théorie économique sert de fondement indifférencié pour trois types de théories, en étant à la base des théories du comportement individuel, du bien-être et de la rationalité. Aussi, nous allons montrer que la critique faite par Sen du concept de préférence n’est pas un rejet de ce concept, mais une exploration de ses diverses significations et limites (c).