Introduction

La compréhension de la parole est un phénomène qui à première vue, semble fluide. En effet, nous décryptons quotidiennement des messages parlés sans aucune difficulté, bien qu’il advienne très rarement que la parole soit utilisée en conditions « idéales », dans un lieu parfaitement silencieux. Dans la vie de tous les jours, bien au contraire, nous sommes amenés à comprendre la parole malgré la présence de bruits extérieurs et de parasites sonores qui altèrent la qualité du signal émis. N’avez-vous jamais « tendu l’oreille » pour prendre connaissance du bulletin météo diffusé par un poste d’autoradio ? Dans ce cas précis, le message cible est dégradé par la présence de bruits ambiants provenant de l’intérieur de l’habitacle de la voiture (comme les bruits de conversation des autres passagers), mais aussi par des bruits relatifs à l’environnement extérieur. La compréhension du message parlé nécessite de compenser ces dégradations, elle va donc dépendre à la fois du niveau de détérioration du message, mais aussi de nos capacités à restaurer l’information dégradée. Notre système cognitif va donc mettre en jeu des processus perceptifs de bas niveaux mais également des processus intégrés pour rétablir l’information verbale et accéder au sens du message parlé. Les détails du processus de compréhension de la parole ne sont pas encore parfaitement décryptés et cela malgré une quantité considérable d’études menées depuis les 50 dernières années. De plus, si le phénomène de la compréhension de la parole n’est pas complètement connu au sein du système cognitif normal, il est encore plus complexe à étudier au sein du système cognitif de patients souffrant de troubles du langage. Cependant, l’étude des mécanismes de la compréhension de la parole chez ce type de patients peut nous aider à mieux appréhender le fonctionnement du système cognitif normal.

Les travaux présentés dans cette thèse se situent à l’interface de plusieurs disciplines : la psycholinguistique – elle-même issue de la rencontre entre psychologie et linguistique, et la neurophysiologie. L’approche pluridisciplinaire du phénomène de reconstruction cognitive de la parole que nous avons développée nous a permis d’apporter un regard nouveau sur cette aptitude cognitive propre à l’humain. Les résultats présentés ici, sont issus de la combinaison de ces approches paraissant éloignées et qui se sont pourtant révélées complémentaires.

Cette thèse s’articule autour de plusieurs questions :

1/ Quels mécanismes cognitifs nous permettent de « reconstruire » la parole dans une situation de perception dégradée ?

2/ Quel est le rôle du système auditif dans cette reconstruction ?

3/ Est-il possible de caractériser la variabilité interindividuelle des mécanismes de reconstruction ?

4/ Dans le cadre d’un trouble du langage, comme la dyslexie, quelles sont les différences de performances liées aux troubles et que nous apprennent-elles sur le fonctionnement normal ?

À ces quatre questions, nous avons tenté d’apporter des éléments de réponses par le biais d’études comportementales utilisant différentes dégradations artificielles du signal de parole, et de mesures neurophysiologiques du système auditif, chez l’adulte humain sain et l’adulte dyslexique.

Organisation de la partie théor i que de la thèse

Pour introduire et situer le cadre de ces travaux de recherche, nous allons tout d’abord, dans un chapitre théorique, exposer le contenu des différents champs d’étude nécessaire à notre problématique. Comme tout processus cognitif, la compréhension du langage fait intervenir des processus ascendants (informations sensorielles remontant de la périphérie vers le système cognitif) et des processus descendants (informations intégrées influençant les niveaux de traitement plus précoces). Nous décrirons donc, dans un premier temps, les processus ascendants et descendants dans la compréhension de la parole (partie B.). Concernant les processus ascendants, nous rappellerons l’anatomie du système auditif humain, nous verrons les principales voies auditives ascendantes, mais également le Système Efférent Olivo-Cochléaire Médian, rétrocontrôle du cortex auditif primaire jusqu’à la cochlée. Le système efférent est particulièrement intéressant à explorer puisqu’il reflète potentiellement au niveau périphérique l’asymétrie des aires auditives centrales. Nous étudierons également les processus descendants dans la compréhension de la parole. Il s’agit de l’influence des connaissances relatives aux mots de notre langue que nous stockons en mémoire. Ces connaissances sont mises à contribution lors du processus de reconnaissance des mots. Nous exposerons différents arguments expérimentaux mettant en évidence l’influence du lexique mental sur la perception du signal de parole. Puis, dans une seconde partie nous passerons en revue les différents modèles psycholinguistiques de reconnaissance de la parole (partie C.). Nous verrons les arguments qui opposent théories autonomes et théories interactives. La partie suivante (partie D.) portera sur les travaux décrivant le processus de reconnaissance de la parole. Nous détaillerons les études qui utilisent la dégradation artificielle du signal de parole comme paradigme d’étude des processus de compréhension. Nous nous intéresserons aux travaux utilisant les dégradations artificielles avec lesquelles nous avons travaillé, à savoir, la parole inversée et la parole dans la parole. Enfin, la dernière partie de ce chapitre théorique (partie E.) sera consacrée à la compréhension de la parole dans le cas d’un trouble du langage bien particulier : la dyslexie. Nous rappellerons brièvement les notions de dyslexie de surface et de dyslexie phonologique. Les participants à nos travaux de recherche étant tous adultes, nous aborderons la persistance des troubles chez les adultes dyslexiques, et terminerons cette partie théorique par des exemples d’études portant sur la perception de la parole dégradée chez les dyslexiques.

Organisation de la partie expérimentale de la thèse

Les travaux expérimentaux de la thèse seront présentés en deux chapitres. Un premier chapitre présentera les données issues de l’étude sur la reconstruction de la parole inversée. Dans un second chapitre, nous présenterons les données collectées pour la reconstruction de la parole dans la parole. Chaque chapitre se composera d’un volet étude comportementale et d’un volet audiométrie. Ces deux volets seront étudiés dans un premier temps chez l’adulte sain et dans un second temps chez le patient dyslexique adulte. Nous reviendrons sur l’organisation de la partie expérimentale de la thèse au début du chapitre II.

Enfin, un quatrième et dernier chapitre exposera les conclusions et perspectives de ces travaux.