Conclusion

Les modèles psycholinguistiques que nous avons détaillés ici se résument en deux grandes idées opposées : l’interactivité et l’autonomie. Tous envisagent le phénomène de compréhension de la parole en considérant que celle-ci arrive intacte dans le système langagier. Aucun des modèles ne propose une approche correspondant à la situation de perception réelle que rencontrent les locuteurs au quotidien. Dans la plupart des cas, le signal que nous percevons est dégradé par la présence de bruit ou de voix concurrentes. Il est très rare de percevoir un signal de parole dans le silence, nous sommes constamment exposés à un mélange de bruits environnants que ce soit le bruit de la rue, celui d’un poste de radio ou de télévision ou bien le bruit provenant d’une autre conversation, etc. Aucun des modèles psycholinguistiques de la perception de la parole présenté dans cette partie ne convient à la situation que nous étudions : celle de la perception de la parole dégradée. Cependant, le but de ce travail n’est pas de tester les prédictions des modèles décrits précédemment, ni de modifier ou d’améliorer l’un d’entre eux. L’apport des modèles psycholinguistiques à notre question ne réside pas dans leur approche de la perception de la parole, mais plutôt dans leur description des mécanismes de compétitions lexicales et leurs théories concernant les processus ascendants et descendants. En effet, les modèles décrivent tous l’activation des processus ascendants et descendants et prennent part à des théories mettant en jeu soit les deux types de processus soit un seul. Cohorte et ShortList sont des modèles entièrement ascendants dans lesquels la reconnaissance de la parole est basée uniquement sur les informations ascendantes. D’autres modèles mettent en jeu processus ascendants et descendants selon une approche autonome (RACE) ou bien interactive comme c’est le cas pour TRACE.

Il est par ailleurs utile pour notre étude de connaître les différentes théories quant aux processus de compétitions entre candidats lexicaux activés. Les différents modèles s’accordent sur cette notion d’activation des candidats lexicaux, ils diffèrent cependant sur le plan de la description de cette activation. Pour Cohorte par exemple, les mots sont activés de façon binaire (loi du « tout ou rien »). Chaque mot possède un seuil d’activation, si le seuil est dépassé le mot est activé, si le niveau d’activation reste en dessous du seuil, le mot n’est pas activé. Pour TRACE, le niveau d’activation d’un candidat va dépendre de la somme des activations et des inhibitions qu’il reçoit. Le mot sera reconnu lorsque son niveau d’activation sera significativement plus élevé que celui de tous les autres mots en compétition. Il sera intéressant d’avoir à l’esprit les explications théoriques de ces modèles lorsque nous discuterons le phénomène des compétitions lexicales dans nos expériences. En effet, pour la perception de la parole dans la parole (chapitre III.), par exemple, nous verrons que les mots faisant partie du bruit de fond sont parfois activés et sont susceptibles d’entrer en compétition avec le discours cible et ainsi gêner fortement la compréhension du message parlé.