L’illusion de continuité et la restauration phonémique

Les travaux de Warren (1970) montrent que le remplacement d’un phonème par un bruit ne perturbe pas la compréhension du mot détérioré. Il s’agit du phénomène de « l’illusion de continuité ». En situation expérimentale, les auditeurs sont incapables d’identifier quel était le segment perturbé. Plus encore, Warren a montré que les auditeurs ne font aucune différence entre une séquence de parole dans laquelle un phonème a été remplacé par du bruit d’une séquence de parole dans laquelle on a superposé du bruit au phonème. La perception de ce phonème absent est appelée « phénomène de restauration phonémique ».

Lorsque la détérioration porte sur un phonème ambigu, le contexte phrastique influence la récupération du phonème manquant (Warren & Warren, 1970). Par exemple, si l’auditeur n’entend que le stimulus *eel dont le premier phonème est détérioré, le mot peut être perçu comme étant meel, wheel, heel ou peel, cependant si le contexte phrastique est : « The *eel was on the table », les auditeurs déclarent avoir entendu meel. L’effet attracteur du lexique se manifeste ici par la mise en jeu des connaissances phonologiques et sémantiques. De même, dans une tâche de détection de phonèmes, Cutler, Mehler, Norris & Segui (1987) ont montré qu’un même phonème est détecté plus facilement dans un mot que dans un non-mot. Lorsque le contexte de réalisation du phonème forme un ensemble doté de sens (un mot) le traitement phonémique est plus rapide et la perception du phonème cible est facilitée. Cet effet de « lexicalité » est plus important lorsque le phonème à détecter se trouve en fin de mot (Frauenfelder, Segui & Dijkstra, 1990). D’autres exemples d’études montrant un effet du contexte sur la perception de phonèmes ont été cités dans le Chapitre I. dans le paragraphe portant sur l’influence du lexique mental sur la perception de la parole, notamment les études de Samuel (1997) et d’Elman & McClelland (1988).

Selon Ellis (1998), les phénomènes tels que l’illusion de continuité ou la restauration phonémique montrent que le cerveau est capable d’utiliser les indices du contexte pour interpréter et décrypter des ensembles sonores complexes. Ces travaux, utilisant une dégradation de petite taille (un phonème seulement), montrent que le système est capable de passer outre la dégradation pour aboutir à la compréhension du message parlé. Il s’agirait en quelque sorte d’un mécanisme de « réparation » de la portion de signal altérée, afin de ne pas gêner l’intelligibilité.