Pertinence de la syllabe

Contrairement aux études précédentes qui appliquaient les inversions sur des fenêtres de différentes durées prédéfinies, notre étude est la première à avoir utilisé une unité linguistique explicite : la syllabe. Les résultats ont montré que pour les deux catégories d’items, la dégradation de la première demi-syllabe occasionne des scores de restauration élevés (79.65 % en moyenne), le système cognitif est donc généralement capable de reconstruire le signal. Lorsque la première syllabe entière était dégradée, les scores chutaient à 51.15 % de reconstruction ce qui signifie que très majoritairement seule la seconde syllabe était correctement identifiée. La dégradation d’une syllabe et demie (I1.5) donnait des scores de reconstruction catastrophiques (en dessous de 3 %). Il semblerait que lorsque la distorsion est supérieure à une syllabe, les participants ne soient pas capables de reconstruire la première syllabe ni la seconde, même si celle-ci n’est que partiellement dégradée. Ces résultats ont montré une saillance de la syllabe pour la reconstruction de la parole car lorsque l’inversion portait sur plus d’une syllabe, l’item n’était pas reconstruit. Pour la dégradation I0.5, nous avons observé que la première syllabe était parfois reconstruite (plus d’une fois sur deux puisque les scores étaient de 79.65 % en moyenne), nous pouvons supposer que les participants se sont appuyés sur l’information disponible (à savoir une syllabe entière plus une demi syllabe) pour reconstruire la partie dégradée. Dans le cas de la condition I1.5, la deuxième syllabe n’était, elle, pratiquement jamais reconstruite. La dégradation du signal était tellement importante qu’il est possible que le stimulus ait dérouté et empêché l’auditeur de faire la tâche de reconstruction.

Pour la condition I1, la première syllabe était parfois reconstruite lorsqu’il s’agit des mots (54.8 % de reconstruction correcte) alors que pour les pseudomots ce n’était pas le cas (47.5 % de reconstruction correcte), la dégradation perturbait même la compréhension de la seconde syllabe qui était pourtant intacte. Ce résultat pourrait s’expliquer par le fait que la dégradation de la première syllabe perturbe les informations de coarticulation entre la première et la deuxième syllabe. Pour les mots, l’intervention de l’aide lexicale permettait parfois de reconstruire la première syllabe (l’information disponible était constituée de la deuxième syllabe et de la voyelle de la première syllabe qui n’était que très peu dégradée par l’inversion). Le modèle psycholinguistique TRACE (McClelland & Elman, 1986) pourrait expliquer les recherches lexicales des mots dégradés car contrairement à Cohorte ou ShortList, TRACE n’accorde pas de statut privilégié aux débuts de mots, mais postule un alignement exhaustif. Les travaux de Shillcock (1990) ont montré une activation des mots par la fin à l’aide d’un paradigme d’amorçage intermodal (auditif/visuel). Les temps de décision lexicale révèlaient un effet de facilitation des cibles reliées sémantiquement au mot enchâssé en position finale. Des simulations de TRACE ont été effectuées par Frauenfelder & Peters (1990) et ont montré une activation du mot porteur et du mot enchâssé en position finale. On voit donc que dans le cas des mots, les recherches lexicales seraient possibles à partir de l’information partielle que représente la seconde syllabe. En revanche, les pseudomots ne bénéficiaient pas de l’aide lexicale, la dégradation de la première syllabe (condition I1) perturbait également la coarticulation ce qui gênait la compréhension de la deuxième syllabe qui n’est parfois pas restaurée.

Ces résultats soulignent que la syllabe en tant qu’unité constitue un repère saillant sur lequel les participants se sont appuyés pour effectuer la tâche. Nous allons à présent discuter des différences de performances obtenues pour les mots et les pseudomots.