Effet de supériorité du mot

La comparaison des performances obtenues pour les mots et pour les pseudomots a mis en évidence un effet de supériorité du mot ou « Word superiority effect » (Frauenfelder, Segui & Dijkstra, 1990). Frauenfelder, et al. (1990) montrent que des sons de parole sont mieux perçus s’ils appartiennent à un vrai mot que s’ils sont inclus dans un pseudomot. Dans notre étude, cet effet de supériorité du mot se traduit de deux façons :

1/ les mots sont mieux reconstruits que les pseudomots dans toutes les conditions,

2/ de vrais mots ont tendance à émerger à la place de pseudomots (persistance des mots décrite plus haut).

En effet, quel que soit le type d’inversion, les mots étaient mieux reconstruits que les pseudomots (qui ne sont pas représentés dans le lexique mental). Henderson (1985) montre notamment que les interconnections entre les mots facilitent leur activation dans le lexique et empêchent le traitement des pseudomots dont les enchaînements sonores correspondants ne sont pas référencés en mémoire. Cela pourrait expliquer les performances plus basses observées pour la reconstruction des pseudomots. Les mécanismes de recherche lexicale étant spécialisés dans la recherche de mots, ils sont nettement moins performants lorsqu’il est question de comprendre un pseudomot. De plus, l’émergence irrépressible de vrais mots (proches du pseudomot entendu) pourrait gêner la compréhension du pseudomot. À l’appui de cet argument, nous avons observé que les pseudomots étaient moins bien reconstruits en condition I0 que les mots (95.4 % pour les pseudomots contre 99.2 % pour les mots). Alors même que les items étaient intacts, près de 5 % des pseudomots n’étaient pas retranscrits correctement. Lorsqu’une dégradation était appliquée au signal, la tâche devenait encore plus difficile. De plus, l’intervention des processus lexicaux pouvant aider le traitement des pseudomots est limitée. Les connaissances lexicales intervenant concernent les contraintes phonotactiques de la langue et les probabilités d’enchaînement des syllabes (cette notion d’enchaînement des syllabes a été étudiée par exemple par Saffran, Aslin & Newport (1996), qui avaient montré que des enfants de huit mois exploitent la fréquence des transitions entre syllabes pour segmenter le flux de parole). Cet effet était présent presque pour tous les participants puisque parmi les 50 personnes testées, seule une d’entre elles a montré de meilleures performances pour les pseudomots que pour les mots, et seulement deux participants ont présenté des performances équivalentes pour les mots et les pseudomots.

Nous avons également observé que les participants avaient tendance à donner un vrai mot comme réponse à un stimulus pseudomot bien que la consigne insistait sur le fait que les items diffusés n’étaient pas de vrais mots. En moyenne, les participants répondaient par un mot à la place d’un pseudomot dans 3.65 % des cas (DS = 3.76), ce qui est élevé puisque les réponses n’étaient pas limitées dans le temps (le participant prenait le temps qu’il voulait pour répondre, il avait donc la possibilité de se remémorer la consigne lui précisant qu’aucun mot ne faisait partie des stimuli). Généralement, pour ce type d’erreurs, la réponse donnée était phonologiquement similaire au pseudomot d’origine (par exemple, le mot « parfum » était souvent donné en réponse au stimulus « raffin »). Ce résultat démontrait la robustesse du lexique dans une tâche « non-lexicale » comme la restauration de pseudomots.

D’une manière générale, les principaux modèles psycholinguistiques de compréhension de la parole considèrent la reconnaissance d’un mot comme le résultat d’un processus de compétition entre plusieurs candidats lexicaux potentiels (McClelland & Elman, 1986 ;  Marslen-Wilson, 1987 ; Marslen-Wilson & Welsh, 1978 ; Norris, 1994 ; Luce Pisoni & Goldinger, 1990). L’activation des mots phonologiquement similaires au mot cible est très fortement probable comme le montrent les effets de densité et de fréquence du voisinage lexical (Luce, et al., 1990 ; Frauenfelder, Baayen, Hellwig & Schreuder, 1993). Ces effets d’activation dans le lexique pourraient expliquer l’émergence de vrais mots en réponse aux stimuli pseudomots car les recherches lexicales à partir du percept auditif sont irrépressibles. Un modèle interactif, comme TRACE (McClelland & Elman, 1986), pourrait expliquer que l’entrée sensorielle d’un pseudomot dans le lexique active un mot phonologiquement similaire car toutes les unités lexicales contenant des phonèmes et même des traits acoustiques communs avec l’entrée sensorielle seraient activées.

Nous allons à présent revenir à la restitution des mots et discuter des effets psycholinguistiques que nous avons observés.