Effets psycholinguistiques

La fréquence des mots et leur nombre de voisins phonologiques ont influencé les performances de restitution des participants. En effet, les mots les plus fréquents étaient mieux restitués ainsi que ceux qui possédaient le moins de voisins phonologiques. Nous n’avons pas constaté d’interaction entre les facteurs Inversion et Fréquence, ce qui signifie que la fréquence des mots influençait leur restitution quel que soit le type d’inversion. La fréquence est un paramètre interne au mot ; si le mot est plus fréquent dans la langue, il émerge des compétitions lexicales plus facilement quel que soit le degré de détérioration du signal. Ces résultats montrent le même effet que les travaux de Connine, Mullennix, Shernoff & Yelen (1990) qui avaient démontré un effet de fréquence dans la reconnaissance auditive de mots. Ils avaient observé dans une tâche de décision lexicale des temps de réaction plus courts pour les mots cibles les plus fréquents. Des résultats identiques avaient déjà été également observés, avec une tâche de décision lexicale auditive, par McCusker, Holley-Wilcox & Hillinger, (1979), Marslen-Wilson (1990), et Taft & Hambly (1986). Tous ces résultats décrivent un traitement lexical plus rapide pour les mots fréquents que pour les mots peu fréquents. Dans notre étude, qui ne mesurait pas la vitesse d’accès aux mots, mais le pourcentage de reconstruction correcte des mots, les mots les plus fréquents étaient également les mieux reconstruits ce qui nous fait penser qu’ils avaient besoin de moins d'information pour être activés que les mots peu fréquents. Les modèles à activation interactive (comme TRACE) expliquent l’effet de fréquence par un état d’activation plus élevé dans le lexique pour les mots les plus fréquents ce qui facilite leur émergence lors des compétitions lexicales.

À l’inverse de la Fréquence, le facteur Voisinage conditionnait la restitution des mots de façon dépendante de l’Inversion. Les deux facteurs Voisinage et Inversion interagissaient : les scores de restitution étaient significativement meilleurs pour les mots possédant peu de voisins phonologiques mais seulement pour les inversions I0.5 et I1. L'effet de voisinage dans ces conditions va dans le sens des travaux de Luce (1986) ; Slowiaczek & Pisoni (1986) et Luce & Pisoni (1998) qui avaient montré une différence dans la vitesse de reconnaissance des mots possédant beaucoup de voisins par rapport à ceux caractérisés par une densité de voisinage faible. Cependant il faut noter que ces travaux avaient été réalisés dans le but de tester le modèle NAM (Luce, Pisoni & Goldinger, 1990), qui rend compte des effets de voisinage phonologique dans le traitement des mots monosyllabiques. En revanche, le nombre de voisins n’avait pas d’effet sur la restitution des stimuli non détériorés (condition contrôle) car il n’y avait pas de confusion possible avec un autre mot (le fait qu’il ait beaucoup de voisins ne gênait pas la reconstruction du mot). Le voisinage n’agissait pas non plus sur les détériorations les plus importantes car le stimulus était trop modifié et même s’il possédait peu de voisins (ce qui limitait le nombre de candidats à la réponse) cette aide était insuffisante pour reconstruire le mot.

Nous avons donc observé que les facteurs Fréquence et Voisinage n’influencaient pas de la même façon la tâche de restitution d’un mot dégradé. Cela était confirmé par l’existence d’une interaction entre ces deux facteurs. Cette interaction n’était significative que lorsque l’inversion portait sur une syllabe entière (I1), c'est-à-dire un niveau de dégradation déjà élevé. Le nombre de voisins phonologiques était le facteur qui avait le plus d’influence sur la reconstitution du mot. Parmi les mots possédant peu de voisins phonologiques, les plus fréquents étaient les mieux reconstruits. En revanche, les mots possédant beaucoup de voisins phonologiques ne présentaient pas d’effet de fréquence dans cette condition. Nous allons à présent parler des stratégies lexicales mises en jeu durant la tâche de reconstruction.