L’effet cocktail party

Il est impressionnant d’observer la capacité du cerveau humain à préserver la compréhension de la parole dans des conditions acoustiques extrêmement variables et malgré la présence de quantités importantes de bruits interférents. Ce phénomène, appelé « cocktail party » correspond à une faculté cognitive spécialisée nous permettant de focaliser notre attention spécifiquement sur un flux auditif particulier parmi différents flux concurrents (Cherry, 1953). Depuis les premiers travaux de Cherry (1953), un très grand nombre d’études ont vu le jour, la plupart du temps centrées sur les caractéristiques psychoacoustiques de l’analyse de scènes auditives. Ces études ont apporté des éléments intéressants quant aux processus impliqués dans la séparation de flux auditifs (voir par exemple Divenyi, 2004). De nombreux travaux se sont intéressés à l’effet cocktail party en situation de perception dichotique comme par exemple les études de Drullman & Bronkhorst, (2000) ; Neff, (1995) ; Kidd, Mason & Rohtla, (1995) ou de Moray, (1959) ; Wood & Cowan, (1995) ; et Conway, Cowan & Bunting, (2001), qui s’étaient précisément intéressées à l’interférence produite par un signal inattendu (comme le prénom de l’auditeur) dans l’oreille non-focalisée. Les effets de masquage énergétique et informationnel étant réduits dans la situation d’écoute dichotique, les performances dans des tâches de cocktail party dichotique sont généralement plus élevées que dans les tâches de cocktail party monaural (Brungart & Simpson, 2002). Cependant, les études portant sur l’effet cocktail party en situation monaurale permettent de bien étudier les effets de masquage énergétique et informationnel qui contribuent à l’interférence du signal cible. Ces effets de masques attribuables aux flux interférents et pouvant agir à deux niveaux principaux (énergétique et informationnel) ont été mis en évidence grâce notamment aux études de Kidd, Mason, Rohtla & Deliwala, (1998) ; Freyman, Balakrishnan & Helfer, (2001) ; et Brungart, (2001b). Ces études montrent que les informations véhiculées par les différents signaux entrent en compétition et perturbent l’interprétation cognitive du signal cible. Le masquage énergétique est présent lorsque les signaux de parole concurrents se recouvrent en temps et en fréquence. Il empêche l’auditeur de détecter certaines informations acoustiques du signal de parole cible. Le masquage informationnel apparaît lorsque les signaux de parole concurrents sont similaires et que l’auditeur a des difficultés à séparer les éléments acoustiques du signal cible de ceux du signal concurrent (Brungart & Simpson, 2002). Malgré les effets de ces deux types de masques, les auditeurs sont capables de faire une tâche de perception de parole en situation cocktail party monaurale comme le montrent les travaux de Brungart, et al. (2001) sur lesquels nous nous sommes appuyés. Les travaux de Brungart, et al. (2001), ont étudié l’intelligibilité d’un signal de parole cible en fonction du nombre de voix concurrentes (2, 3 ou 4 locuteurs) et du R/SB de signaux de parole interférents en situation de perception diotique. Notre étude, quant à elle, était motivée par le fait que les effets de masques psycholinguistiques pouvant apparaître dans les situations de compréhension de la parole dans la parole n’ont jamais été mis en évidence expérimentalement.

Dans cette partie nous allons présenter trois expériences portant sur la compréhension de la parole dans le bruit. La première expérience (expérience 3) a été mise en place pour tenter de déterminer l’existence d’une interférence linguistique entre le signal cible et le bruit de fond. Dans l’expérience 3 nous avons testé différents bruits, différents types de cocktails party en faisant varier le genre et le nombre des voix et différents RS/B.

Une fois les résultats de la première expérience analysés, nous les avons utilisés pour paramétrer les deux suivantes. Les expériences 4a et 4b s’intéressent précisément aux effets psycholinguistiques induits par les mots contenus dans le bruit de fond. En effet, nous avons tenté de savoir si la fréquence d’occurrence des mots du bruit de fond influence la compréhension du signal de parole cible qui pouvait être, soit des mots (expérience 4a), soit des pseudomots (expérience 4b). Nous avons par la suite étudié cet effet chez un groupe de participants dyslexiques normo entendants dont nous présenterons les résultats dans la Partie B. de ce chapitre. Tout d’abord, nous présenterons dans cette partie les résultats obtenus par un groupe de participants normo-lecteurs normo entendants.