Discussion

Plusieurs résultats de cette expérience méritent notre attention. L’expérience 3 avait pour but de mettre en évidence une éventuelle influence du bruit de fond sur la compréhension de mots cibles. Il apparait tout d’abord que le genre des locuteurs du bruit de fond (lorsqu’ils ne sont que quatre) n’influençait pas les performances des participants. Il n’était pas plus facile de comprendre le mot prononcé par une voix masculine dans un bruit de fond composé de voix mixtes que dans un bruit de fond composé uniquement de voix masculines. Ce résultat ne réplique pas les résultats d’études sur la pertinence de la fréquence fondamentale (F0) pour la perception de la voix cible dans des bruits paroliers concurrents (Culing & Darwin, 1993 ; Darwin, Brungart & Simpson, 2003). De même, il ne vérifie pas l’effet de genre obtenu par Brungart, et al. (2001) qui avaient observé que les performances de compréhension de la parole dans la parole sont moins bonnes lorsque le locuteur cible et les locuteurs concurrents sont tous de même genre. Cependant il faut préciser que cet effet était observé pour un nombre de voix concurrentes peu élevé (trois) alors que notre étude s’intéressait à au moins quatre locuteurs concurrents simultanés. De plus, il faut considérer que le genre des locuteurs n’était pas le sujet principal de notre expérience, aussi nous n’avions pas contrôlé les F0 des différents locuteurs, et nous avions comparé les cocktails mixte et masculin uniquement pour la condition à 4 voix.

Concernant le RS/B, nous avons observé un effet simple de ce facteur. En effet, les performances augmentaient linéairement avec l’augmentation du RS/B. Le RS/B semble donc jouer un rôle constant quelles que soient les modalités des autres facteurs de l’expérience puisqu’il n’interagissait avec aucun des autres facteurs.

Le point le plus intéressant à discuter concerne les effets de masquage produits par les différentes sortes de bruits de fond. Tout d’abord, nous avons observé que le bruit large bande occasionnait de meilleures performances que les deux types de cocktails appariés. Ce résultat suggère que les bruits cocktail party présentaient une difficulté supplémentaire par rapport au bruit large bande. Le contenu linguistique des bruits cocktail party a visiblement gêné les participants pour retrouver les mots cibles par rapport au bruit large bande qui ne contenait aucune information linguistique. Ce résultat est en accord avec une précédente étude qui avait montré qu’un bruit cocktail party avait un effet de masque plus important qu’un bruit large bande (Brungart, Chang, Simpson & Wang, 2006).

Concernant les cocktails naturels et les cocktails inversés, on remarque que pour les cocktails inversés, les scores de reconstruction diminuaient linéairement avec l’augmentation du nombre de voix. Pour les cocktails naturels, on observe que le cocktail à 6 voix occasionnait de meilleures performances que les cocktails à 4 et 8 voix. Les profils de résultats ne sont donc pas les mêmes, nous avons observé une différence significative entre cocktail naturel à 4 voix et cocktail inversé à 4 voix. Pour les cocktails inversés, il semblerait que la reconnaissance de mots diminue lorsque le nombre de locuteurs dans le cocktail augmente, c'est-à-dire lorsque la saturation spectrotemporelle augmente. Pour les cocktails naturels, il semblerait qu’un effet de masquage interfère avec la compréhension des mots isolés, cependant on n’observait pas comme pour les cocktails inversés une diminution linéaire des performances avec l’augmentation de la saturation spectrotemporelle. En fait, les auditeurs ont identifié les mots cibles plus facilement dans le cocktail naturel à 6 locuteurs que dans le cocktail à 4 locuteurs. Ces résultats vont dans le sens de ceux de Simpson & Cook (2005) qui avaient montré que les performances de compréhension de la parole ne diminuent pas de façon linéaire dans un cocktail party naturel dont le nombre de locuteurs augmente, contrairement à celles observées pour un bruit large bande. Dans notre étude, une difficulté supplémentaire est observée pour la condition cocktail party à 4 voix par rapport à la condition cocktail party à 6 voix ; elle se traduit par une différence de restauration lexicale de 6 %. Ce constat contredit l’effet attendu d’une saturation spectrale progressive du signal avec l’augmentation du nombre de locuteurs dans le cocktail. Nous pensons que cet effet est dû aux effets de masquage informationnel qui entrent en jeu dans la compréhension de la parole en situation cocktail party. Alors que le masquage énergétique est directement lié au nombre de locuteurs présents dans le cocktail, nos résultats suggèrent que différents masquages informationnels sont présents et dépendent du nombre de locuteurs simultanés. L’analyse des erreurs non-phonologiquement reliées aux mots cibles a montré que, dans la condition à 4 locuteurs, plus de mots du bruit de fond étaient activés et confondus avec les mots cibles. On peut donc suggérer que dans cette condition particulière, l’accès aux mots du bruit de fond induit un effet de masquage informationnel supplémentaire qui gêne la réalisation de la tâche. Dans la condition à 6 voix, l’augmentation du nombre de locuteurs rend moins disponible l’information lexicale du bruit de fond, ce qui occasionne un effet de masquage informationnel moins important que celui de la condition à 4 voix, et donc des performances plus élevées.

Cette expérience constitue un résultat préliminaire, les conclusions quant aux effets de masquages sont spécifiques aux conditions associées à cette expérience et observées dans une fourchette de 4 à 8 locuteurs. D’un point de vue psycholinguistique, nous pensons que ces résultats suggèrent la présence de compétitions lexicales entre le mot cible et les mots du bruit de fond. La plupart des modèles psycholinguistiques s’accordent au sujet de l’existence des compétitions lexicales (cf. Chapitre I.). La situation de cocktail party est une situation naturelle dans laquelle ces compétitions pourraient avoir lieu et dans laquelle il semble possible de les étudier et de les quantifier.

Ces résultats montrent que l’utilisation de l’effet cocktail party peut être un bon moyen pour étudier de près le phénomène des compétitions lexicales entre les informations linguistiques issues du signal cible et du bruit parolier concurrent. Dans les deux expériences suivantes (expériences 4a et 4b), nous avons tenté de mettre en évidence l’influence des mots du cocktail sur la reconnaissance d’items cibles à l’aide d’un effet psycholinguistique très robuste : l’effet de fréquence. En effet, nous avons tenté de montrer que la fréquence des mots du bruit de fond influence l’accès à l’item cible (mot ou pseudomot).