Discussion

L’expérience 3 et ses résultats nous ont permis de cibler les conditions expérimentales des expériences 4a et 4b et de mettre en évidence une influence des mots contenus dans le bruit de fond pendant la tâche de restitution de mots cibles. Nous avons pu voir que le RS/B, ne module en rien cet effet, pas plus que le genre des locuteurs du bruit de fond. Les effets de masquages énergétique et informationnel observés dans l’expérience 3 suggèrent que les auditeurs ont été sensibles au contenu linguistique du bruit de fond et que ces éléments linguistiques peuvent perturber la recherche lexicale de la cible.

À partir de ces premières données, nous avons expérimenté la restitution de mots et de pseudomots cibles dégradés par la présence de signaux de parole concurrents. Nous avons paramétré nos expériences 4a et 4b en fonction des résultats obtenus à l’expérience 3. Nous avons utilisé trois types de cocktail party différents (à 4, 6 et 8 voix) et nous avons choisi de ne pas réintégrer le facteur RS/B. Nous avons rigoureusement contrôlé le contenu de nos bruits cocktail party qui pouvaient être de deux types : soit constitués uniquement de mots très fréquents en français (cocktails F+), soit uniquement constitués de mots très peu fréquents en français (cocktails F-). Nous nous sommes penchés très attentivement sur l’effet de ce paramètre de fréquence du cocktail sur les taux de restitution des mots (expérience 4a) et des pseudomots (expérience 4b).

Les résultats des expériences 4a et 4b montrent que les mots étaient mieux reconstruits que les pseudomots ce qui est cohérent car les pseudomots n’ont pas de représentation stockée en mémoire, ils ne sont pas archivés dans le lexique mental. De ce fait, et contrairement aux mots, ils n’ont bénéficié d’aucune aide lexicale au moment de l’effort de reconstruction.

En ce qui concerne les mots, nous avons observé un effet principal de leur fréquence d’occurrence. Les mots de forte fréquence ont été mieux restitués que les mots de faible fréquence et cela quels que soient les autres paramètres. En effet la fréquence interne du mot influence les performances de restitution quel que soit le nombre de voix qui composent le bruit de fond et quelle que soit la fréquence des mots du bruit de fond. Il semblerait donc que la fréquence étant un paramètre interne de stockage du mot dans le lexique, elle facilite l’accès lexical lorsqu’elle est élevée, et cela même en présence de bruit de fond.

Nous avons observé un effet simple significatif de la Fréquence des mots du cocktail sur la restitution des pseudomots cibles. Lorsque les mots distracteurs (du bruit de fond) étaient de basse fréquence, le pourcentage de restitution était plus élevé. À l’inverse, si les mots du bruit de fond étaient de forte fréquence, ils gênaient la reconstruction de l’item cible. Cela signifie que les locuteurs ont été sensibles à cette caractéristique de fréquence : lorsque les mots du bruit de fond étaient de forte fréquence, il est possible qu’ils aient plus attiré l’attention du locuteur (de par leur familiarité), par conséquent, les ressources attentionnelles disponibles pour traiter l’item cible étaient moindres et le pourcentage de restitution diminuait. À l’opposé, il serait possible que les mots du bruit de fond de faible fréquence aient moins attiré l’attention de l’auditeur parce qu’ils étaient moins saillants. De ce fait, le système aurait disposé de plus de ressources attentionnelles pour traiter l’item cible ce qui expliquerait les scores de restitution plus élevés. Malheureusement, il n’est pas possible d’expliquer le phénomène de perception de la parole dans la parole à l’aide d’un modèle psycholinguistique. En effet, les modèles psycholinguistiques ne traitent pas de la perception de la parole spontanée et encore moins de la perception de la parole dans la parole, mais ils s’appliquent à des situations de perception idéales (mots clairement prononcés dans le silence).

Nous n’avons pas observé d’interaction entre la fréquence des mots cibles et la fréquence des mots du cocktail. Les mots cibles de forte fréquence étaient mieux reconstruits que les mots de faible fréquence, et ce à un taux identique quelle que soit la fréquence des mots du bruit de fond. Nous avons cependant observé une interaction entre la fréquence des mots du cocktail et le nombre de voix composant le cocktail pour les conditions 4 voix et 6 voix: les stimuli étaient significativement mieux reconstruits dans un cocktail de mots peu fréquents à 4 ou 6 voix que dans un cocktail de mots fréquents à 4 ou 6 voix. Nous n’avons pas observé de différence entre le cocktail de mots fréquents et le cocktail de mots peu fréquents pour la condition à 8 voix. Ce résultat pourrait s’expliquer par le fait que c’est dans la condition où peu de voix sont mélangées que les locuteurs peuvent être sensibles à un paramètre comme la fréquence des mots concurrents. Au-delà de 6 voix, le bruit de fond devient trop diffus pour mettre en évidence un effet de la différence de fréquence des deux types de cocktails. À 4 et 6 voix cependant, le bruit de fond n’est pas encore suffisamment chargé et il est donc possible que les locuteurs soient influencés par un paramètre inhérent aux mots du bruit de fond. De plus, cet effet était présent pour la restitution des pseudomots, mais pas pour celle des mots. Il semblerait que la difficulté supplémentaire due à la restitution des pseudomots permette de mettre en évidence l’effet de la fréquence des mots du bruit de fond. Il serait possible que pour la restitution des mots, les mécanismes lexicaux aient compensé l’interférence occasionnée par les mots du bruit de fond et qu’ainsi, aucune différence de performances significative n’ait été observée.

Ces résultats sont les premiers à mettre en évidence l’effet d’un paramètre psycholinguistique interne aux mots composant le bruit de fond sur la compréhension d’un signal de parole cible. Ces résultats soulèvent tout un ensemble de questions concernant les capacités cognitives de concentration dans le bruit puisqu’il apparaît que la tâche est perturbée par le traitement irrépressible du contenu informationnel du bruit de fond.

Nous allons à présent examiner les performances de compréhension de la parole dans la parole chez les dyslexiques adultes.