Intelligibilité de la parole dans la parole chez les dyslexiques normo-entendants

Peu d’études se sont intéressées à la compréhension de la parole dans la parole chez les adultes dyslexiques. Sont-ils plus gênés dans le bruit pour comprendre un message parlé que les normo-lecteurs ? Des études récentes suggèrent que les patients dyslexiques présentent des troubles de la perception de la parole (voir McBride-Chang, 1995, pour une revue) et des difficultés pour la séparation de flux auditifs (Helenius, et al., 1999). D’après Manis, et al. (1997) et Serniclaes, et al. (2001), les dyslexiques présenteraient des difficultés à extraire des représentations phonologiques discrètes à partir des traits phonétiques contenus dans le signal de parole. De plus, certaines études montrent un déficit plus fondamental au niveau du traitement des informations auditives de bas niveaux. En particulier, de nombreuses études ont montré chez les dyslexiques des troubles dans le traitement de stimuli acoustiques courts, présentés rapidement et sujets à des changements dynamiques (McArthur & Bishop, 2001, Tallal, 1980). Il semblerait que le déficit auditif de perception de ces caractéristiques temporelles soit à l’origine des troubles de perception de la parole. Par conséquent, il a été proposé que le déficit de perception de la parole interfère avec le développement des représentations phonologiques, et donc avec l’acquisition de la lecture et de l’écriture (Tallal, 1980 ; Tallal, 1984).

De nombreuses études ont clairement établi que les personnes présentant un trouble du langage ont des difficultés avec la perception de la parole en environnement bruyant. Dans une tâche de discrimination dans le bruit, il a été montré que c’est la condition de masquage rétroactif qui perturbe le plus les dyslexiques, c'est-à-dire une condition dans laquelle le son à détecter est immédiatement suivi d’une autre stimulation auditive (Rosen & Mangarini, 1999 ; Bishop, Carlyon, Deecks & Bishop, 1999 ; McArthur & Hogben, 2001 ; Hartley & Moore, 2002). Cette difficulté pour percevoir des sons séquentiels se reflète dans la ségrégation excessive des flux sonores que Helenius, et al. (1999) ont observé chez les dyslexiques adultes. D’autres travaux ont montré une relation entre une résolution auditive dégradée et des troubles de la lecture (Van Ingelghem, Van Wieringen, Wouters, Vandenbussche, Onghena & Ghesquière, 2001). L’étude dans le bruit de Brady, et al. (1983) a montré que des enfants de neuf ans mauvais lecteurs avaient plus de difficultés à répéter des mots présentés dans le bruit que les enfants contrôles du même âge alors que les performances des deux groupes ne variaient pas dans le silence. Chez les adultes, l’étude de Chermak, et al. (1989) a montré des scores d’identification de mots dans le bruit significativement différents entre un groupe d’adultes présentant des troubles de l’apprentissage et un groupe d’adultes contrôles. Deux autres études chez les enfants ont manipulé des phrases cohérentes dans le bruit et montré que les enfants souffrant de troubles du langage ou de l’audition (Stollman, et al., 1994) ou encore de troubles de l’acquisition (Bradlow, et al., 2003) présentaient des scores de perception des phrases dans le bruit plus bas que les groupes contrôles. Les deux études précisent que les enfants avec troubles du langage étaient plus perturbés par la baisse d’audibilité du signal que les groupes contrôles.

Tous ces résultats montrent des difficultés de compréhension de la parole dans le bruit chez les participants présentant des troubles dyslexiques. Cependant, la question de savoir si le contenu du bruit de fond a une influence sur les performances de ces patients reste en suspens. Les patients dyslexiques sont-ils sensibles aux effets de masquage énergétique et informationnel contenus dans un bruit de type cocktail party ? Si oui, présentent-ils des résultats similaires ou différents de ceux des normo-lecteurs ? Le nombre de voix concurrentes a-t-il un impact sur leur compréhension du message verbal cible ? Le contenu lexical du bruit de fond perturbe-t-il la recherche de l’item cible comme c’est le cas chez les participants normo-lecteurs ? Nous avons tenté de répondre à ces questions à l’aide des expériences 5a et 5b présentées dans cette partie.