Université Lumière – LYON 2
Sciences cognitives
Institut de Psychologie
Neurosciences et systèmes sensoriels
Effets de la surdité totale et de la réhabilitation auditive par l’implant cochléaire sur l’organisation fonctionnelle du système auditif
Thèse de doctorat de Sciences cognitives
Mention Neurosciences
Dirigée par Lionel COLLET
Présentée et soutenue publiquement le 1er Février 2007
Devant un jury composé de :
Professeur Paul AVAN
Professeur Lionel COLLET
Docteur Steve MASON, Rapporteur
Professeur Marco PELIZZONE, Rapporteur
Professeur Eric TRUY
Docteur Filiep Vanpoucke

Résumé

La plasticité de notre système nerveux joue un rôle très important dans notre vie : elle nous permet de nous adapter aux changements qui se produisent dans notre environnement. Une atteinte des récepteurs de l’un de nos cinq sens modifie notre perception de l’environnement et entraîne des phénomènes de plasticité. Inversement, une exposition répétée à une stimulation particulière peut générer des phénomènes de plasticité et modifier notre perception de l’environnement. Par exemple, la perte des deux mains modifie l’organisation des cartes corticales somesthésiques (Roricht et coll., 1999), tandis que la greffe de deux mains inverse l’organisation fonctionnelle induite par l’amputation (Giraux et coll., 2001). On parle de plasticité de perte et de plasticité secondaire de réhabilitation. Dans la modalité auditive, de nombreuses études mettent en évidence une plasticité de perte lorsque l’ouïe se dégrade et une plasticité secondaire lors de la réhabilitation par une prothèse. L’organisation fonctionnelle du système auditif est modifiée au niveau des temps de transmission de l’influx nerveux le long des voies auditives. Des modifications sont également observées au niveau des cartes tonotopiques, qui permettent un codage de l’information fréquentielle selon un agencement ordonné. Cette réorganisation des cartes entraîne des changements de la perception des sons. Dans le cadre de l’implant cochléaire qui est posé chirurgicalement chez les personnes sourdes profondes bilatérales et permet une réhabilitation partielle de l’audition, il est fort probable que les mêmes types de phénomènes interviennent. Ainsi, la modification de l’organisation fonctionnelle par la réhabilitation auditive influencera le bénéfice de l’implant. Cette plasticité secondaire dépendra très fortement de l’impact que la surdité aura eu au préalable et de la faculté d’adaptation au nouveau type de stimulation électrique du nerf auditif. Cependant, les modifications de l’organisation fonctionnelle des voies auditives liées à une surdité totale et à la réhabilitation de l’audition par stimulation électrique restent mal connues chez l’homme.

Les travaux de recherche de ce doctorat ont consisté à étudier à l’aide de mesures électrophysiologiques et psychophysiques, la plasticité de réhabilitation auditive chez l’implanté cochléaire. L’organisation de la thèse est tripartite :

- Un premier objectif était de mettre en évidence les effets de la surdité totale sur l’organisation fonctionnelle du système auditif. Nous avons montré une désorganisation des cartes tonotopiques corticales le jour où l’implant a été activé (l’implant permet alors la stimulation auditive nécessaire au recueil de données qui reflètent l’activation de structures auditives d’une personne sourde). Une étude menée chez des sujets ayant plusieurs mois d’expérience de l’implant a aussi montré que la surdité laisse un impact sur la vitesse de transmission de l’information auditive qui est ralentie. Cette première étape a permis de montrer que la réhabilitation auditive devrait faire appel à des processus de plasticité pour inverser la réorganisation fonctionnelle générée par la surdité et s’adapter aux effets irréversibles de la surdité totale.

- Un second objectif était de mettre en évidence comment les différences qui existent entre une stimulation acoustique normale et une stimulation électrique du modiolus de la cochlée peuvent affecter la plasticité de réhabilitation auditive. Une étude a montré que plus une électrode génère de dispersion spatiale, plus il est difficile de la distinguer de ces voisines. Ce lien entre la perception de la tonie et la dispersion spatiale autour des électrodes de l’implant permet de supposer que l’organisation tonotopique corticale pourrait être altérée par une stimulation périphérique trop diffuse. Une autre étude a montré que la vitesse de transmission de l’influx nerveux au tronc cérébral est plus rapide pour une stimulation avec des sons graves qu’avec des sons aigus, alors que l’inverse est observé chez le normo-entendant. Cette inversion de gradient baso-apical est susceptible de nécessiter une adaptation de la rapidité avec laquelle l’information fréquentielle est transmise le long des voies auditives chez l’implanté. Cette étape a permis de mettre en évidence de quelle façon le système auditif aurait à s’adapter à l’utilisation de l’implant cochléaire lors de la réhabilitation auditive.

- Un troisième objectif était d’étudier la plasticité cérébrale secondaire. Une étude a mis en évidence le fait que l’organisation fonctionnelle (cartes tonotopiques corticales, vitesse de transmission de l’information fréquentielle) de sujets ayant une expérience de plusieurs mois de l’implant est similaire à celle de sujets normo-entendants. Une organisation fonctionnelle « normale » peut ainsi être retrouvée par des personnes sourdes profondes dont l’audition est réhabilitée par l’implant. La plasticité de perte mise en évidence précédemment peut donc être inversée. Cependant, comme il était également possible que ces sujets utilisaient une organisation pré-existante, nous avons mené une étude longitudinale chez cinq sujets. Nous avons ainsi pu montrer que les cartes tonotopiques corticales étaient désorganisées le jour où l’implant était activé mais qu’une organisation similaire à celle des implantés expérimentés et des normo-entendants était trouvée après un mois d’utilisation de l’implant chez quatre d’entre eux. La cinquième personne présentant la particularité d’être la plus âgée, il est probable que son système nerveux était moins plastique et qu’il n’a pu se réorganiser comme chez les plus jeunes. Cette dernière étape a donc permis de mettre en évidence que les propriétés plastiques du système auditif des implantés jeunes permettent d’inverser les effets de la surdité totale malgré les différences qui existent entre les stimulations électriques et acoustiques.

Les études présentées dans cette thèse apportent donc de nouvelles informations sur l’impact de la surdité totale et de l’utilisation de l’implant cochléaire sur l’organisation fonctionnelle des voies auditives. Elles mettent en évidence la remarquable plasticité du système auditif face aux changements qui se produisent dans l’environnement auditif. Ces travaux soulignent à quel point notre cerveau évolue en fonction du monde qui nous entoure.