III. Objectifs et organisation de la thèse

Nous avons vu que la perception d’une personne implantée était améliorée lorsqu’elle suivait un entraînement. Il est probable que le bénéfice qu’une personne sourde peut obtenir de son implant cochléaire repose actuellement sur le développement de thérapies qui permettent la rééducation de la fonction auditive et non plus uniquement sur l’amélioration de la technologie de l’implant. La réhabilitation spécialisée permet de faciliter l’apprentissage de la stimulation sonore « électrique » en exploitant la plasticité du système nerveux. Une meilleure compréhension des phénomènes de plasticité sous-tendant la réhabilitation auditive par l’implant cochléaire est ainsi susceptible de permettre la création de nouvelles techniques d’entraînement plus adaptées. Nous proposons donc de décrire les modifications de l’organisation fonctionnelle du système auditif générées par la pose d’un implant cochléaire. Cependant, il faut prendre en compte le fait que l’implant cochléaire active un système auditif qui a très peu fonctionné auparavant et dont l’organisation a certainement été modifiée pendant la période de surdité. De plus, il ne faut pas oublier que la stimulation auditive par l’implant cochléaire est différente d’une stimulation sonore « naturelle ». Entendre avec un implant nécessite alors une adaptation à la stimulation électrique et ne constitue pas un simple retour à un fonctionnement normal de l’audition. Etudier la plasticité de réhabilitation auditive suppose donc de décrire au préalable les effets de la surdité totale sur le système auditif et les modifications de l’organisation fonctionnelle qui peuvent être générées par la stimulation électrique par rapport à une stimulation acoustique. L’objectif principal de nos travaux est ainsi de décrire les effets de la surdité totale et de la stimulation électrique par l’implant cochléaire sur l’organisation du système auditif. Nos travaux de recherche s’articulent selon trois axes qui font l’objet des chapitres 2, 3 et 4 de la thèse.

Le chapitre 2 est consacré aux effets de la surdité totale sur le système auditif. Après une revue de littérature, nous étudierons l’impact de la perte auditive sur les temps de transmission de l’information sonore et sur la tonotopie corticale. La rapidité avec laquelle l’information sonore est transmise le long des voies auditives sera étudiée en prenant en compte la latence des potentiels évoqués du tronc cérébral et du cortex auditif. Il est fait l’hypothèse que plus la surdité aura été grave et longue, plus elle aura eu d’impact sur le fonctionnement des voies auditives et plus la conduction nerveuse sera lente. L’organisation des cartes tonotopiques sera décrite en considérant l’amplitude et la topographie des potentiels auditifs tardifs sur le scalp. La faculté des sujets à classer les fréquences de stimulation sera également prise en compte. Nous pensons que la surdité totale aura désorganisé les cartes tonotopiques et que nous trouverons un codage désordonné des fréquences au niveau cortical dans les premiers temps d’utilisation de l’implant.

Le chapitre 3 se concentre sur les modifications que l’implant cochléaire peut apporter au fonctionnement auditif. La stimulation électrique par l’implant se différencie en effet de la stimulation acoustique par le fait que la transduction acoustique du son via la cochlée est court-circuitée. Alors que chez les normo-entendants les sons graves activent la cochlée plus tardivement que les sons aigus, ce gradient n’existe pas chez les implantés. Nous étudieront quelles sont les différences que cela génère au niveau des temps de transmission de l’information fréquentielle. Pour cela, nous comparerons les latences des potentiels évoqués du tronc cérébral et du cortex auditif générés par l’activation de différents sites dans la cochlée. On suppose que l’on montrera la nécessité qu’a le système auditif de s’adapter au fait que l’influx nerveux généré par différentes fréquences de stimulation est véhiculé le long des voies auditives avec des délais différents de ceux qui existent chez le normo-entendant. Par ailleurs, il existe une dispersion de l’activité neurale autour des électrodes qui pourrait avoir un impact sur la réorganisation tonotopique. En effet, il est possible que le fait qu’une même zone dans la cochlée puisse être stimulée par plusieurs électrodes ne permette pas une organisation cochléotopique bien définie. La projection de cette organisation périphérique au niveau cortical empêcherait la formation de cartes tonotopiques et donc une bonne perception de la tonie. Pour vérifier cette hypothèse, une étude est consacrée à la relation entre la perception des fréquences chez l’implanté et la dispersion neurale autour des électrodes de l’implant. La faculté des sujets à distinguer les électrodes sera évaluée à l’aide de tests psychophysiques de discrimination de tonie et la dispersion spatiale sera mesurée à l’aide de la technique du « cochlear mapping ». Nous faisons l’hypothèse que plus il y a de dispersion spatiale autour d’une électrode, plus celle-ci est difficile à distinguer de ses voisines. Ce chapitre devrait ainsi permettre de mettre en évidence les différences que nous sommes susceptibles de trouver entre l’organisation fonctionnelle de systèmes auditifs de normo-entendants et de personnes dont l’audition a été réhabilitée par l’implant cochléaire.

Le chapitre 4 est consacré à la plasticité de la réhabilitation auditive. Dans un premier temps, nous comparerons l’organisation fonctionnelle des cortex auditifs de sujets normo-entendants et de personnes ayant utilisé l’implant pendant plusieurs mois. Les changements plastiques liés à la réhabilitation auditive sont en effet susceptibles de s’être alors réalisés. Cette comparaison consistera à étudier l’organisation tonotopique et les temps de transmission de l’information fréquentielle. La tonotopie corticale sera décrite à l’aide de l’amplitude et la topographie des potentiels sur le scalp et de modèles dipolaires. La rapidité avec laquelle l’information sonore est transmise le long des voies auditives sera étudiée en prenant en compte la latence des potentiels évoqués tardifs générés par l’activation de différents sites dans la cochlée. Nous faisons l’hypothèse que les propriétés plastiques du système auditif des implantés aura permis une adaptation aux contraintes de l’implant cochléaire et que les effets de la surdité totale auront été inversés par le fait que les sujets réentendent. Nous pensons ainsi mettre en évidence une organisation fonctionnelle similaire entre les deux populations avec cependant quelques différences liées au fait que la stimulation est électrique chez les implantés et acoustique chez les normo-entendants. Si tel est le cas, nous suivrons en longitudinal la mise en place de cette organisation depuis le premier jour où l’implant est activé chez d’autres sujets: nous étudierons ainsi le décours temporel de la plasticité de réhabilitation auditive et la façon dont elle dépend des caractéristiques de la surdité de chacun des sujets. Le lien entre la perception des sujets et la réorganisation tonotopique sera également étudié. Nous pensons grâce à ces études permettre une meilleure compréhension des phénomènes de plasticité cérébrale liés à la surdité et à la réhabilitation auditive par l’implant cochléaire. Nous espérons ainsi poser des bases pour le développement futur de techniques d’entraînement qui, en exploitant au mieux la faculté de réorganisation des voies auditives, permettront un meilleur apprentissage de l’information auditive générée par l’implant.