1. Changements morphologiques et physiologiques

1.1. Liés à la surdité en général

Les changements observés après une perte auditive neurosensorielle sont plus importants que ceux générés par une perte de transmission (Tucci & Rubel, 1985 ; Moore et coll., 1989). La surdité profonde peut résulter en une dégénérescence complète des processus périphériques du ganglion spiral (Kohenen, 1965 ; Spoendlin, 1975; Terayama et coll., 1977 ; Otte et coll., 1978 ; Hinojosa et coll., 1987 ; Nadol et coll., 1989) qui est suivie d’une dégénérescence des neurones du ganglion (Webster & Webster, 1981 ; Spoendlin, 1984 ; Leake & Hradek, 1988 ; Shepherd & Javel, 1997 ; Hardie & Shepherd, 1999). L’étendue de la perte des neurones dans le ganglion va dépendre de facteurs tels que l’étiologie, la sévérité et la durée de la surdité (Nadol et coll., 1989). D’autres études ont montré des changements physiologiques et anatomiques dans les noyaux du tronc cérébral auditif (Niparko, 1997; Nordeen et coll., 1983 ; Heid, 1998). Leur activité métabolique va par exemple être réduite (Wong-Riley et coll., 1978 ; Durham et coll., 1989) et la taille des neurones du noyau cochléaire et du complexe olivaire supérieur être réduite (Powell & Erulkar, 1962). Cela se traduit par des seuils élevés, des latences prolongées et une réduction de l’amplitude des potentiels évoqués du tronc cérébral chez l’animal (Clopton & Glass, 1984 ; Zhou et coll., 1995 ; Shepherd & Javel, 1997). Ces effets seront d’autant plus importants que la surdité aura été longue (Hardie & Shepherd, 1999). À un niveau plus central, un déficit de l’activité synaptique dans le cortex auditif est observé (Kral et coll., 2000).

Les effets de l’ablation cochléaire vont être plus importants si elle est faite avant la période critique (Moore, 1990). Des études chez la gerbille et la souris ont montré que l’ablation des cochlées ou le blocage de l’activité du nerf auditif entraînent une perte des neurones dans le noyau cochléaire (Tierney & Moore, 1997 ; Mostafapour et coll., 2002 ; Pasi & Rubel, 1989), ainsi qu’une diminution de la taille globale du noyau cochléaire (Trune, 1982) si l’ablation était effectuée avant l’apparition de l’audition. Ces résultats n’ont pas été retrouvés chez l’homme (pour revue : Hartmann & Kral, 2004). Dans le noyau cochléaire du chat sourd congénital, la quantité de ramifications et la densité des vésicules synaptiques sont moindres que chez l’animal normo-entendant (par ex., Ryugo et coll., 1998). Les noyaux du tronc cérébral ont moins de synapses et le colliculus inférieur est de plus petite taille chez les animaux que l’on rend sourds à la naissance (Hardie et coll., 1998 ; Hardie & Shepherd, 1999). Les seuils des PEEPs sont plus élevés chez le chat sourd congénital que chez le chat normo-entendant (Snyder et coll., 1991 ; Klinke et coll., 1999 ; Kral et coll., 2002). Cela n’est pas retrouvé chez le chat que l’on rend sourd à la naissance (Kral et coll., 2005) ce qui peut être dû au fait que la dégénérescence des cellules du ganglion spiral est moindre (Hardie & Shepherd, 1999).

Les modifications au niveau cortical peuvent se réaliser très rapidement. La courbe d’accord des neurones corticaux peut en effet s’élargir dans les 30 minutes qui suivent la perte auditive (Calford et coll., 1993 ; Snyder & Sinex, 2002). Certains des mécanismes sous-jacents de plasticité à court-terme exposés en introduction interviennent donc probablement dans un premier temps. Le recrutement d’une plus grande population neurale peut se produire à la suite d’une diminution de l’inhibition au niveau cortico-cortical (Jacobs & Donoghue, 1991). Les travaux de Rajan (1998) chez le chat ayant une perte auditive modérée montrent toutefois qu’un démasquage d’afférences latentes observé suite à une levée d’inhibition n’entraîne pas forcément de modification des cartes fréquentielles ou de changements synaptiques et dendritiques au niveau de connexions déjà existantes (Darian Smith & Gilbert, 1995). Les changements au niveau synaptique pourraient aussi être dus à une activité neuronale synchrone (potentialisation de type Hebbien, Diamond et coll., 1993) et à des connexions descendantes (feedbacks) modifiées (Krubitzer & Kaas, 1989).