3. Conclusion

L’impact de la surdité bilatérale totale sur l’organisation fonctionnelle des voies auditives se manifeste de différentes façons. Tout d’abord, le codage spatial, voire temporel de la fréquence semble différé au niveau cortical de celui du normo-entendant le jour où l’implant est activé (partie 1). L’analyse des amplitudes de la composante N1 des potentiels évoqués électriques tardifs, ainsi que l’analyse topographique montrent qu’il n’y a pas d’effet de la fréquence de stimulation sur l’organisation corticale et par conséquent pas de tonotopie au J0. Le fait qu’il n’y ait pas d’influence de l’électrode de stimulation sur la latence des ondes N1 peut également refléter le fait que l’organisation tonotopique corticale soit modifiée chez le sourd. En effet, on sait que les fréquences basses sont codées par une zone corticale plus latérale chez le normo-entendant (par ex. : Pantev et coll., 1988), ce qui pourrait expliquer pourquoi les latences des PEAs tardifs sont plus longues pour les sons purs de basses fréquences chez le normo-entendant (par ex. : Woods et coll., 1993a,d). Cependant, il est important de noter que les études sur les effets de la fréquence de stimulation sur la latence des ondes N1 ont des résultats contradictoires. Verkindt et coll. (1995) montrent par exemple chez le normo-entendant que la stimulation avec des sons de fréquences supérieures à 500 Hz génère des N1 de latence similaire. L’implant cochléaire ne stimulant que le premier tour et demi de la cochlée et donc des zones qui codent normalement pour des fréquences aiguës, il est aussi possible que l’absence d’effet de la fréquence sur la latence des N1 électriques reflète un fonctionnement similaire à celui qui est rencontré chez les sujets normo-entendants stimulés avec des fréquences aiguës. De plus, le fait que les latences soient égales au niveau cortical quelque soit l’électrode stimulée dans la cochlée peut aussi refléter l’absence de gradient baso-apical des latences des PEEPs chez les personnes qui ont été sourdes plus longtemps. Seule l’étude de l’amplitude et de la répartition des N1 sur le scalp nous permet donc de montrer que la surdité totale entraîne une réorganisation des cartes tonotopiques corticales. Les études qui impliquent des sujets ayant déjà une expérience d’au moins trois mois avec l’implant (partie 2) montrent que la surdité va tout de même avoir un impact global sur les temps de conduction de l’influx nerveux qui vont être ralentis lorsque la surdité a été longue et/ou plus grave.

La stimulation électrique par l’implant cochléaire présente le très grand avantage de permettre d’étudier les effets d’une surdité totale sur les voies nerveuses auditives. Cependant, l’utilisation de l’implant va également introduire une nouvelle variable et par conséquent des biais si l’on veut comparer l’organisation fonctionnelle du sourd à celle du normo-entendant. L’absence de gradient de latence au niveau cortical peut par exemple aussi être expliqué par le fait que le passage des informations acoustiques par la cochlée est court-circuité chez l’implanté. Alors que dans une oreille non implantée, les sons graves stimulent les fibres nerveuses de la cochlée (qui sont plus apicales) avec un délai par rapport aux sons aigus, les électrodes stimulent en effet les fibres simultanément chez l’implanté. Dans le chapitre suivant, nous allons donc exposer et mettre en évidence les modifications fonctionnelles qui peuvent être induites par l’implant cochléaire.