1. Modifications du codage fréquentiel

Les études sur la discrimination des électrodes montrent que les implants cochléaires multi-canaux sont capables d’exploiter l’organisation tonotopique de la cochlée (Tong & Clark, 1983 ; Collins & Throckmorton, 2000). Cependant, plusieurs paramètres peuvent laisser penser que la tonotopie naturelle de la cochlée n’est pas respectée. L’implant cochléaire stimule une partie seulement de la cochlée (environ un tour et demi est stimulé sur 2,75 tours). Une étude de Ketten et coll. (1998) montre sur les scanners de 20 implantés que l’électrode la plus apicale se situerait à un endroit dans la cochlée où le modiolus serait spécifique de la fréquence 1000 Hz (1400 Hz pour quatre des sujets). Les personnes implantées vont donc percevoir les fréquences des sons que l’on injecte dans leur processeur avec un décalage vers les aigus comme cela se vérifie chez les personnes dont l’oreille contralatérale à l’implant entend avec une prothèse (Dorman et coll., 1994; Blamey et coll., 1996; Niewiarowicz & Stieler, 2005). Le fait que l’information spectrale soit présentée au “mauvais” endroit diminue la capacité des implantés à comprendre la parole (Dorman et coll., 1997 ; Shannon et coll., 1998). Même si on peut améliorer la perception en modifiant la distribution des fréquences le long du faisceau d’électrodes (McKay & Henshall, 2001), une adaptation est nécessaire, ce qui a été montré possible chez les normo-entendants (par ex., Rosen et coll., 1999) et les implantés (Fu & Shannon, 1999).

La stimulation simultanée de deux électrodes proches entraîne une sommation vectorielle des champs de courants électriques, ce qui résulte en une interaction fonctionnelle entre canaux. Cela explique pourquoi la plupart des patients montrent une amélioration de la perception de la parole lorsqu’ils utilisent la stratégie CIS qui est non simultanée plutôt que la stratégie CA qui stimule les électrodes en même temps (Wilson et coll., 1991). Par ailleurs, plusieurs études psychophysiques ont montré que deux ou trois canaux, même lorsque la stimulation est intercalée, peuvent interagir et influencer la perception de la tonie (Townshend et coll., 1987 ; McDermott & McKay, 1994, 1996) et de la sonie (Shannon, 1983 ; McKay et coll., 2001). Cela indique que l’élimination de la sommation électrique directe n’élimine pas entièrement l’interaction entre les canaux et qu’il existe des effets capacitifs au niveau des charges. Si cela se passe sans que les neurones ne déchargent des potentiels d’action, il se peut qu’il y ait une sommation « décalée » des charges électriques, telle qu’une polarisation résiduelle de la membrane neurale. Cela est montré par les études utilisant des intensités inférieures au seuil de perception (chez l’humain : Eddington et coll., 1994 ; chez l’animal : Dynes, 1996 ; Cartee et coll., 2000a,b). Si ces modifications se produisent après une décharge de potentiels d’action, cela signifie que le phénomène de la dispersion spatiale comprend également un aspect physiologique avec des interactions neurales. L’étude de Tong et Clark (1986) montre par exemple que le son paraît plus fort lorsque la distance entre deux électrodes et donc la différence de fréquence entre les deux sons augmente, comme dans les études sur la stimulation acoustique (Plomp, 1976). Cela suggère qu’il y a une augmentation de la dispersion spatiale dans les structures centrales suite à une augmentation de la dispersion spatiale au niveau du nerf auditif, même si cela reste peu compris (Shannon, 1990 ; Shannon & Otto, 1990 ; Nelson & Donaldson, 2001, 2002). L’étude de Bierer et Middlebrooks (2003) menée chez le cobaye tend à confirmer cette hypothèse puisqu’elle montre à l’aide de résultats physiologiques que les images corticales de la stimulation simultanée ou décalée de deux électrodes sont plus étendues que l’activation corticale générée par la stimulation individuelle des deux électrodes.