2.2. Chez l’humain

2.2.1. Chez l’enfant

Le système nerveux des enfants présente une grande faculté à la plasticité (Hubel, 1995 ; Maurer et coll., 1999). Plusieurs études sur la plasticité du système auditif chez les enfants implantés utilisent les potentiels évoqués précoces (Gordon et coll., 2002, 2003, 2006) et tardifs (Eggermont et coll., 1997 ; Ponton et coll., 1996a,b). Elles montrent que la stimulation électrique chronique du système auditif en maturation chez l’enfant peut empêcher quelques-uns des effets négatifs de la privation auditive, voire favoriser l’organisation fonctionnelle.

Au niveau périphérique, Gordon et ses collègues ont montré en 2002 et 2003 que les PEEPs changent avec la durée d’utilisation de l’implant cochléaire. Les latences des ondes IIIe et Ve se raccourcissent et leur amplitude augmente, ce qui permet de supposer que l’implant cochléaire permet une maturation de la périphérie des voies auditives. En 2006, ces mêmes auteurs ont montré que le développement de la périphérie se faisait à la même vitesse chez les enfants implantés que chez les enfants normo-entendants qui ont entendu pendant le même nombre de mois : le système auditif d’un enfant de trois ans qui porte un implant depuis un an se développe de la même façon que celui d’un enfant normo-entendant de un an. Au niveau central, Ponton et ses collègues (1996a,b, 1999, 2000a,b ; Eggermont et coll., 1997) ont montré que l’onde P1 suit une séquence normale de développement chez les enfants implantés à partir du moment où l’implant est activé. Cependant, le développement de P1 est retardé en fonction de la durée de la période pendant laquelle l’enfant n’a pas entendu. L’évolution de P1 pourrait ainsi refléter l’évolution des ondes périphériques mise en évidence par Gordon et coll. (2006). Une étude longitudinale de Sharma et coll. (2002a,c) a permis de montrer que les enfants implantés de 3 ans présentent le jour où l’implant est activé des latences de P1 identiques à celles des nouveaux nés et qu’après 6 mois d’utilisation de l’implant ces latences deviennent identiques à celles d’enfants du même âge (Figure 72).

Figure 72. Intervalles de confiance (95 %) pour le développement normal des latences de P1 (Sharma et coll., 2002c). Les latences moyennes de P1 (ronds) de quatre groupes d’enfants implantés sont super-imposés en fonction de leur âge et selon la durée moyenne de la stimulation avec l’implant cochléaire (Sharma et coll., 2002a).
Figure 72. Intervalles de confiance (95 %) pour le développement normal des latences de P1 (Sharma et coll., 2002c). Les latences moyennes de P1 (ronds) de quatre groupes d’enfants implantés sont super-imposés en fonction de leur âge et selon la durée moyenne de la stimulation avec l’implant cochléaire (Sharma et coll., 2002a).

Cette maturation ne s’effectue cependant pas systématiquement. Sharma et coll. (2002b) ont en effet mis en évidence le fait que lorsque les enfants sont implantés après l’âge de 7 ans, ils montrent des latences plus longues même après plusieurs années d’utilisation de l’implant. Les auteurs supposent qu’une période sensible existe comme chez l’animal (Hsu et coll., 2001 ; Klinke et coll., 2001 ; Lee et coll., 2002). Cette période critique se prolongerait jusqu’à l’âge de 3,5 ans chez l’humain, car la latence de P1 peut devenir similaire à celle de l’enfant normo-entendant quand les enfants sont implantés avant 3,5 ans (Sharma et coll., 2002b). Cette période critique peut s’expliquer par le fait que les synapses, dont la formation commence avant la naissance, continuent de se former pendant les 4 premières années de la vie indépendamment de l’expérience. Le système auditif serait remodelé par la suite par l’élimination de synapses dans le cortex auditif (Huttenlocher & Dhabolkar, 1997), ce qui rendrait certains effets de la surdité irréversibles. Il se peut également que l’absence de stimulation change la façon dont ce système se développe, mais que ce système étant très plastique pendant les 4 premières années de la vie, ces changements soient réversibles. Une étude non publiée de Sharma et ses collègues montre que les enfants implantés tardivement, mais qui avaient suffisamment d’apport auditif avec leurs prothèses, présentent le même type de potentiels évoqués que les enfants normo-entendants.

Les travaux de Burdo et coll. (2006) ont également montré un raccourcissement de la latence des ondes N1 et P2 avec l’utilisation de l’implant cochléaire, ce raccourcissement étant plus important chez les jeunes enfants que chez les plus âgés. Ponton et coll. (1996b) montrent que les enfants implantés tardivement ne présentent pas d’onde N1, le profil de leur PEE restant dominé par l’onde P1. L’onde P2 semble également avoir une « période critique », puisqu’elle n’atteint pas une latence mature si la période sans stimulation auditive a été trop longue (Eggermont et coll., 1997).

Le délai observé au niveau du développement du cortex auditif est probablement accompagné d’un délai dans le développement du langage (Svirsky et coll., 2000). Les études cliniques suggèrent en effet qu’il existe une période critique pour l’acquisition du langage au cours des premières années de la vie (Eggermont & Bock, 1986; Ruben & Rapin, 1980). Les déficiences dans l’acquisition du langage sont généralement plus importantes lorsque la privation auditive est plus précoce (Ruben, 1997). Par ailleurs, Sharma et coll. (2004) montrent que la latence de P1 évolue parallèlement au babillement de l’enfant qui communique mieux lorsque la latence est similaire à celle des normo-entendants. Eggermont & Ponton (2003) montrent que l’évolution de l’onde N1 est parallèle à l’amélioration de la perception de la parole et de la faculté à parler. Chez les enfants sourds, N1 est principalement présente du côté contralatéral et il semblerait qu’un peu d’expérience auditive soit nécessaire pour qu’elle soit présente du côté ipsilatéral (Ponton et coll., 2000). La zone du langage étant à gauche, cela pourrait expliquer pourquoi les enfants sourds du côté gauche seulement ont des résultats scolaires plus médiocres et un quotient intellectuel (QI) verbal plus bas que les enfants dont l’oreille droite est sourde (Bess et coll., 1986 ; Klee & Davis-Dansky, 1986).