3.1.2. Perception de la fréquence

On se souvient des travaux de McDermott et coll. (1998) et Thai-Van et coll. (2002) qui montraient une amélioration de la capacité à discriminer les fréquences à la fréquence de coupure chez les sujets ayant une perte abrupte en « pente de ski » (cf. Chapitre 2). Gabriel et coll. (2006) ont repris le même protocole et ont suivi en longitudinal la performance à un test de discrimination de fréquence de sujets partiellement sourds depuis le premier jour d’utilisation de la prothèse (J0). Ils ont montré une dégradation de la performance à la fréquence qui était la mieux discriminée au J0 avec la durée d’utilisation de la prothèse, alors que la performance sur les autres fréquences restait inchangée. Après avoir porté la prothèse pendant un mois, les sujets présentaient les mêmes scores au test de discrimination de fréquence à toutes les fréquences, cette égalisation étant plus évidente chez les sujets jeunes. Le fait que la performance au test de discrimination soit modifiée uniquement à une fréquence donnée et pas pour les fréquences voisines, bien qu’elles ne diffèrent que d’1/8ème d’octave, montre bien qu’il ne s’agit pas d’une acclimatation du système auditif en général.

D’après les auteurs, il s’agirait bien plus d’un corrélat perceptif de la plasticité centrale : les neurones codant pour les fréquences qui sont réentendues grâce à l’amplification des sons environnants par la prothèse vont reprendre leur rôle initial et non plus coder pour la fréquence de coupure. Les cartes tonotopiques du cortex auditif n’ont plus de représentation élargie de la fréquence bordant la zone endommagée. Elles ressembleraient ainsi à nouveau à celles de normo-entendants.

Un mois suffirait donc à de tels changements. Ce délai peut sembler court mais cela concorde avec d’autres études et d’autres modalités sensorielles (Giraux et coll., 2001). Gabriel et coll. (2006) suggèrent que les mécanismes sous-jacents impliquent à la fois une croissance d’axones et le masquage d’afférences, c’est-à-dire le phénomène inverse à la levée d’inhibition observée avec la surdité et qui avait été montré par Rajan et coll. en 1993 (Figure 77). La mise en place de l’inhibition est un phénomène de plasticité à court terme et justifierait le fait que les mécanismes de plasticité de réhabilitation puissent être observables dès un mois d’utilisation de la prothèse.

Figure 77. Représentation schématique des fréquences caractéristiques des neurones du cortex auditif chez un sujet sain (A), un sujet malentendant présentant une perte abrupte aux hautes fréquences (B) et un sujet malentendant appareillé (C). Cette figure illustre les mécanismes de levée d’inhibition latérale présents chez le sujet malentendant qui permettent une sur-représentation de la dernière fréquence saine. La perte de sélectivité fréquentielle des neurones de la zone sur-représentée est également illustrée (Rajan et coll., 1993). Chez le sujet malentendant appareillé l’inhibition latérale pourrait à nouveau se mettre en place jusqu’à la limite d’amplification de l’appareillage.
Figure 77. Représentation schématique des fréquences caractéristiques des neurones du cortex auditif chez un sujet sain (A), un sujet malentendant présentant une perte abrupte aux hautes fréquences (B) et un sujet malentendant appareillé (C). Cette figure illustre les mécanismes de levée d’inhibition latérale présents chez le sujet malentendant qui permettent une sur-représentation de la dernière fréquence saine. La perte de sélectivité fréquentielle des neurones de la zone sur-représentée est également illustrée (Rajan et coll., 1993). Chez le sujet malentendant appareillé l’inhibition latérale pourrait à nouveau se mettre en place jusqu’à la limite d’amplification de l’appareillage.