3. Conclusion

Ces études montrent que les effets de la surdité sur le fonctionnement du système nerveux auditif que l’on a décrit dans le Chapitre 2 sont réversibles. Il semble qu’une plasticité corticale secondaire existe bien. Ces travaux qui mettent en évidence le potentiel fabuleux qu’a le système nerveux auditif humain, même adulte, à changer, pourraient cependant être approfondis. On sait que les interactions entre les électrodes génèrent des canaux virtuels (« virtual pitches » ou « intermediate (ou additional) pitch percepts »). Les sujets entendent un son de fréquence intermédiaire entre les deux sons générés individuellement (McDermott & McKay, 1996 ; Donaldson et coll., 2005), la tonie du canal virtual se rapprochant plus de la tonie du son « individuel » ayant la plus forte intensité (Townshend et coll., 1987 ; McDermott & McKay, 1994). Chez les animaux, Bierer et Middlebrooks montrent que l’activation corticale lorsqu’une paire d’électrodes est stimulée comprend les zones corticales activées par les électrodes de la paire individuellement (2003). Ils montrent également que le centre d’activation lors de la stimulation combinée de deux électrodes se situe entre les centres d’activation corticaux individuels et varie en fonction des électrodes utilisées (2002a,b). Il se peut par conséquent que l’implant en plus de restaurer une organisation tonotopique crée de nouvelles cartes tonotopiques « intermédiaires ». Il pourrait ainsi être intéressant de voir si l’on peut mettre en évidence l’existence de cartes tonotopiques « d’interaction » en stimulant deux électrodes à la fois pour le recueil des potentiels et en faisant varier les intensités de chacune d’elle. Les interactions entre les électrodes présenteraient alors un avantage puisque la gamme de sons proposée par l’implant s’en trouverait considérablement augmentée.

Le fait que la stimulation électrique par l’implant présente des différences par rapport à la stimulation naturelle peut cependant également présenter un « danger ». C’est ce que souligne Hardie dans sa revue sur les conséquences de la surdité et de la stimulation électrique chronique sur le système auditif (1998). Cette mise en garde concerne les enfants dont le système nerveux est très plastique. D’après Hardie, alors que l’implantation chez le petit peut empêcher ou diminuer les effets dégénératifs de la privation auditive et tirer un avantage de la période critique pour le développement du langage, la stimulation électrique du système auditif immature peut avoir des effets préjudiciables sur l’organisation de ce système. La stimulation avec une stratégie de traitement du signal donnée au cours de la petite enfance pourrait entraîner le système auditif immature à se figer dans une organisation idiosyncrasique et immuable qui ne pourrait traiter d’autres formats de stimulation (Leake et coll., 1991). Tandis que la présence d’une activité électrique dans le nerf auditif est vitale pour prévenir la dégénérescence neurale, les études menées au cours de ce doctorat montrent combien cette activité exerce une influence organisatrice puissante sur les représentations auditives centrales. Une stimulation électrique inappropriée pourrait ainsi perturber l’organisation tonotopique du système.

La perception de la tonie en fonction de l’électrode stimulée dépend de la tonotopicité chez les implantés cochléaires. Par conséquent, une perturbation de l’organisation tonotopique pourrait avoir des effets délétères sur la capacité du jeune implanté à tirer avantage des futures améliorations apportées au fonctionnement de l’implant cochléaire. L’incorporation des canaux virtuels dans la stratégie de codage peut de ce point de vue être un atout formidable. En effet, les cartes tonotopiques ne se figeraient pas du fait d’une stimulation toujours égale. Au contraire, l’utilisation des sons intermédiaires dans la vie quotidienne permettrait de conserver une grande souplesse des cartes tonotopiques corticales.