Conclusion

Les travaux de recherche de cette thèse ont permis d’étudier la plasticité du système nerveux auditif chez le sujet sourd implanté cochléaire à l’aide d’outils électrophysiologiques et psychophysiques. Dans un premier temps, les modifications de l’organisation fonctionnelle des voies auditives liées à la surdité totale ont été mises en évidence. On a ainsi pu montrer que la vitesse de transmission de l’information auditive était réduite et que les cartes tonotopiques corticales étaient désorganisées. Dans un second temps, nos recherches ont été consacrées aux modifications que la stimulation électrique pouvait générer au niveau du codage de l’information auditive. Ces travaux ont permis de montrer que le codage temporel de la tonie pouvait être modifié, le gradient baso-apical périphérique des latences des ondes IIIe et Ve étant inverse de celui qui est trouvé chez les normo-entendants. Ils ont également mis en évidence le fait que le codage spatial pouvait être moins précis puisque la dispersion spatiale affecte la perception de la tonie. La réhabilitation auditive par l’implant cochléaire peut donc impliquer plusieurs aspects liés à la surdité et à l’utilisation de l’implant. Ces aspects comprennent une inversion éventuelle des phénomènes plastiques générés par la surdité et une adaptation aux effets irréversibles de la surdité (comme par exemple, la perte de neurones), ainsi qu’une adaptation à un nouveau style de codage de l’information auditive transmise par l’implant cochléaire. Ainsi, dans un troisième temps, nous avons étudié le codage central temporel et spatial de l’information fréquentielle chez des sujets dont l’audition était réhabilitée (ils avaient au moins trois mois d’expérience de l’implant cochléaire). Nous avons pu montrer que le codage temporel et spatial était similaire à celui des normo-entendants, malgré quelques différences qui peuvent être attribuées à la stimulation électrique. Une étude longitudinale a aussi permis de montrer qu’il s’agissait bien d’une plasticité « secondaire » et que ces modifications de l’organisation fonctionnelle pouvaient s’effectuer en un mois.

En introduction de ce manuscrit, nous avons vu que l’implantation cochléaire permettait de réhabiliter l’audition mais que la qualité de la perception est très variable d’un individu à l’autre. On ne peut pas encore totalement expliquer pourquoi deux personnes avec la même configuration de perte auditive perçoivent très différemment la parole avec des implants et des stratégies de codage identiques. Plusieurs facteurs peuvent intervenir, tels que le placement du faisceau d’électrodes dans la cochlée qui peut différer d’une personne à l’autre. Cependant, la plasticité du système nerveux auditif central que l’on a montrée dans nos travaux de thèse est probablement l’une des raisons principales de cette variabilité. La plasticité liée à la surdité et à la réhabilitation auditive ainsi que la faculté d’adaptation à la stimulation électrique que l’on a mises en évidence au niveau perceptif peuvent avoir des répercussions à un niveau cognitif sur la perception de la parole. L’implanté cochléaire va en effet devoir « apprendre » à faire le lien entre la parole modifiée, les codes neuronaux spatiaux et temporels ayant été modifiés par la perte auditive et la stimulation électrique, et une mémoire existante des sons de la parole (Watson, 1991; Summerfield, 1996). La faculté d’adaptation du système nerveux de la personne aura ainsi une influence sur le bénéfice qu’elle retirera de l’implant cochléaire. Les personnes qui sont insatisfaites de leur implant cochléaire pourraient avoir des systèmes auditifs moins plastiques, c’est à dire moins aptes à représenter, apprendre et utiliser les indices acoustiques nouveaux (Tyler & Summerfield , 1996). En aidant ces personnes à comprendre, utiliser et mémoriser ces nouveaux codes à un niveau perceptif, on pourra probablement les aider à mieux percevoir la parole puisque l’on sait combien les indices spectraux et temporaux sont importants pour la compréhension de la parole.

Les travaux de cette thèse pourraientainsi être approfondis en étudiant comment faciliter et augmenter la plasticité de réhabilitation afin que les personnes tirent de plus grands bénéfices de leur implant. Il est possible en effet d’induire des changements perceptifs et physiologiques avec des méthodes d’entraînement auditif. De nombreuses études comportementales ont montré que des personnes peuvent être entraînées à percevoir des indices de parole nouveaux et importants (Bradlow et coll., 1999; Jamieson & Morosan, 1989; Jamieson & Morosan, 1986; Lively et coll., 1994; Logan et coll., 1991; McClaskey et coll., 1983). De plus, des études chez l’animal ont montré que l’entraînement auditif modifie la façon dont l’information fréquentielle est codée dans le système nerveux central auditif (Diamond & Weinberger, 1986; Diamond & Weinberger, 1989; Edeline & Weinberger, 1993). Il est donc fort probable qu’un entraînement, tel que des exercices de discrimination de tonie, puisse avoir un effet sur la plasticité de réhabilitation que l’on a mise en évidence dans nos études chez l’implanté. Par ailleurs, des changements de l’activité neurale liés à l’entraînement auditif ont été enregistrés chez les humains normo-entendants avec des potentiels évoqués auditifs (Näätänen et coll., 1993; Kraus et coll., 1995; Tremblay et coll., 1997, 2001, 2002 ; Menning et coll., 2000; Fu et coll., 2001 ; Sanders et coll., 2002), ces changements précédant les modifications de la perception (Tremblay et coll., 1998). On peut donc envisager de favoriser une meilleure adaptation au nouveau codage de l’information auditive en obligeant le cerveau à garder une certaine « souplesse » à l’aide d’exercices et d’évaluer l’impact de l’entraînement objectivement avec l’électrophysiologie. La combinaison entre entraînement et mesures électrophysiologiques pourrait aussi permettre d’identifier les implantés dont le système nerveux est le plus plastique et qui bénéficieraient d’un entraînement auditif. Les méthodes d’entraînement les plus efficaces pourraient également être déterminées de cette façon. Approfondir ainsi les travaux réalisés au cours de ce doctorat pourrait par conséquent permettre d’augmenter plus encore le nombre d’implantés cochléaires satisfaits de leur implant.