L’arabe dialectal

Il trouve son usage pour l'expression de la vie quotidienne locale. Il constitue en ce sens la langue vernaculaire de l'ensemble des arabophones. Les dialectes arabes sont les langues maternelles des populations des différents pays arabes, et ces formes linguistiques sont parfois très différentes d'une région à l'autre. Acquis dès la petite enfance, l'arabe dialectal se distingue de la langue standard, apprise à l'école et théoriquement commune à l'ensemble des pays arabes, par de nombreux points et à tous les niveaux de la langue (i.e. syntaxe, morphologie, phonologie, phonétique, lexique…).

Bien que sous ses différentes formes régionales, il constitue la langue maternelle de quelques 250 millions de locuteurs, l’arabe dialectal n’a toujours pas d’existence officielle comme le souligne Maâmouri (1989) : « ‘ Il y a même au niveau de presque tous les Arabes, sans ’ ‘ exception, un certain aveuglement et un manque flagrant de prise de conscience linguistique qui fait que le statut des langues dialectales qui forment l'ensemble du continuum linguistique arabe n'est jamais reconnu. On ne leur reconnaît même pas une structure grammaticale codifiable et performante alors que plus de la moitié des actes et besoins langagiers des locuteurs arabes utilisent ces dialectes, qui sont les vraies langues maternelles de la majorité des Arabes. L’arabe moderne standard devient donc techniquement notre « langue maternelle » alors qu'elle n'est la langue maternelle de personne, étant uniquement apprise à l'école.  ’» (Maâmouri, 1989, p. 5).

L’arabe dialectal est en perpétuelle évolution, incluant constamment de nouveaux mots et tournures de phrases qui sont la plupart du temps tirés d'autres langues comme le français, l'espagnol ou l'anglais. Cela représente une autre facette de la pluriglossie qui se manifeste sur les territoires arabophones. L’usage fréquent des langues étrangères dans les parlers arabes va jusqu’à l’alternance de deux langues en particulier dans certains parlers maghrébins. Ce type d’alternance de codes ne se pratique que dans des situations informelles et la plupart des linguistes ne le considèrent pas comme une forme de bilinguisme, mais comme une autre manifestation de la polyglossie. Manzano (1995) note par exemple qu’il se met en place dans « ‘ l'esprit des Maghrébins à la fin du XXe siècle l'idée qu'une langue ne peut assumer tous les rôles sociaux et fonctionnels et ne peut garantir tous les aspects de l'identité maghrébine» ’ (Manzano, 1995, p. 182).

La classification que nous fournissent les études citées ci-dessus est intéressante dans la mesure où elle définit de manière linguistique et pragmatique les différentes variétés d'arabe. Néanmoins, ce modèle présente l'inconvénient d'être relativement impressionniste de par le caractère arbitraire du découpage. Tarrier (1991) et Meiseles (1980) soulignent le risque d'aboutir à « un découpage infini de l'arabe » ou encore à « un nombre inconnu de registres».

El-Hassan (1977 et 1978) avait déjà montré que les modèles diglossiques et stratifiés ne peuvent rendre compte de la réalité sociolinguistique arabe. Pour lui, arabe moderne, arabe médian et arabe dialectal ne sont des variétés ni homogènes, ni discrètes, mais constituent en revanche, ce qu'il convient d'appeler un continuum linguistique. Cette nouvelle approche marque une rupture théorique très nette avec les problématiques discontinuistes antérieures en permettant l'intégration de concepts nés de la linguistique variationniste 1 au champ de la dialectologie arabe.

Ces différentes positions ont un impact important sur les études linguistiques qui cherchent à établir des typologies car elles ont des conséquences importantes quant au choix des variétés étudiées et à la constitution des corpus. Dichy (2007) met en lumière les difficultés rencontrées par le champ de la linguistique arabe sur ce point : « ‘ Deux dénis hantent la linguistique de l’arabe. Le premier est celui de la dialectologie, de la variation observable dans les parlers arabes et de la variété de ces derniers, dont le domaine est rejeté sur les marges par certains ou tout simplement dénié par d’autres tant dans l’enseignement que dans les travaux descriptifs. Le deuxième est celui de la relation entre les différentes « formes », « variétés » ou glosses de l’arabe présentes dans la compétence linguistique d’un locuteur arabe scolarisé – également rejeté par certains. ». (Dichy, 2007, à paraître).

Notes
1.

Selon P. Encrevé (1977, cité par Barkat 2000) « la linguistique ‘variationniste’ s’attache à dégager l’hétérogénéité des systèmes linguistiques et à mettre à jour les ‘locus de variation’ existant dans ces systèmes. Que ces locus soient investis d’une valeur socio-différentielle est une question logiquement subordonnée à leur reconnaissance et à leur analyse structurale. En ce sens, la sociolinguistique n’est qu’une partie de la linguistique variationniste, étroitement dépendante de l’analyse interne des systèmes et de leur variabilité interne, mais qui ne se confond pas nécessairement avec elle. » (Préface à Sociolinguistic Patterns (Labov, 1972, Traduction française 1977).