Classification géographique

Le monde arabe est traditionnellement divisé en deux aires dialectales : à l’Est, le Mashreq (Moyen-Orient) et à l’Ouest, le Maghreb , la frontière naturelle entre ces deux zones étant marquée par le Nil. La littérature justifie cette division sur la base de données d’ordre lexical, morphologique mais surtout phonético-phonologique (Ph. Marçais, 1977). A la division du domaine arabophone en deux zones géographiques principales se surimpose un découpage plus fin en cinq groupes dialectaux. Cette classification ne fait pas consensus. Versteegh (1997) explique que ce découpage est en grande partie basé sur des facteurs purement géographiques. En effet, la plupart du temps, aucune autre explication n'est avancée : « ‘ The usual classification of the Arabic dialects distinguishes the following [five] groups […] ’ ‘ It is not always clear on what criteria this current classification is based. In some cases, purely geographical factors may have influenced the classification (e.g., the Arabian Peninsula) ’ ». (Versteegh, 1997, p. 145). Néanmoins, cette conception reste largement admise par les spécialistes du domaine, c’est pourquoi nous en présentons ci-dessous les grandes lignes :

  1. Les dialectes de la péninsule arabique : Cette zone est l’une des moins bien connues. Néanmoins, on sait que la grande majorité des parlers de cette zone sont de type ‘bédouin’. Ils se caractérisent donc par de nombreux traits conservateurs en regard des parlers hors péninsule (Ingham, 1971, 1982 ; Palva, 1991 ; Versteegh, 1997). On trouve également quelques parlers de sédentaires dans les centres urbains du iʤaːz et du Golfe, mais ces derniers résultent probablement de vagues de migrations ultérieures.
  2. Les dialectes mésopotamiens : cette aire dialectale est également assez mal connue. Mises à part quelques informations d’ordre historique relatives aux mouvements de populations lesquelles permettent de comprendre le processus d’arabisation sur cette zone, Blanc (1964) montre néanmoins, dans son étude sur les parlers arabes de Bagdad, que les parlers mésopotamiens peuvent être regroupés à l'intérieur d'une seule et même zone dialectale et que les distinctions internes à ce groupe correspondent à des croyances religieuses différentes. Il distingue ainsi, à Bagdad, trois groupes de parlers : les parlers juifs et chrétiens d'une part, regroupés sous l'appellation de ‘qeltu dialects’ sur la base de leur traitement de l’occlusive uvulaire sourde [q] ‘j'ai dit’. Ces parlers se sont développés au cours d’une première phase d'arabisation, antérieure à celle qui a mené à l'apparition des parlers musulmans : les ‘gilit dialects’ lesquels se distinguent par la réalisation sonore de l’ancienne uvulaire (i.e. [q] > [g]). Bien que la pertinence de ce critère soit à réévaluer aujourd’hui, la plupart des études dialectologiques touchant à cette zone continue de l’utiliser pour établir les regroupements linguistiques sur cette zone (Jastrow, 1990).
  3. les dialectes levantins ou syrio-libanais : l'arabisation de la zone syro-libanaise a eu lieu lors des premières invasions musulmanes (entre le 7e et le 8e siècle) et a sans doute été facilitée par la présence, dans le désert syrien, de tribus arabophones. Les parlers de cette zone, qui comprend l'ensemble des parlers de sédentaires de Syrie, du Liban, de Jordanie et de Palestine, sont relativement bien connus. Ils ont donné lieu à un grand nombre de descriptions dialectologiques (Feghali, 1928 ; Cantineau, 1936, 1937 et 1938 ; El-Hajje, 1954 ; Grottzfeld, 1967, 1978 et 1980 ; Fleish, 1962-1963-1964, 1974a, 1974b, 1974c ; Bettini, 1994 (sur les parlers de nomades) ; Lentin, 199, 1995 et 1996 (sur les parlers de sédentaires).
  4. Les dialectes égyptiens : l'arabisation de l'Égypte s'est également effectuée lors de la première vague des invasions musulmanes mais la situation linguistique a évolué plus lentement du fait d'un processus d'arabisation graduel s'étendant sur près de trois siècles et résultant essentiellement de l'installation, sur le territoire égyptien, de deux tribus de nomades venant d'Arabie. L'arabisation du Nord (i.e. Basse-Egypte) vers le Sud (i.e. Haute-Egypte) a suivi le cours du Nil et s'est développée, par ce biais, en pays Béja et Nubien où elle a lieu au 9esiècle (C. Miller, 1996) ainsi qu'au Soudan et au Tchad dont l'arabisation remonte au 14esiècle (A.S. Kaye, 1976). Ces incursions militaires etlinguistiques se sont propagées en terres africaines, via le Tchad et la République Centre Africaine, jusqu'au Nigéria conduisant ainsi à l'émergence d'un dialecte arabe nigérian de type bédouin, actuellement parlé, dans le Nord-Est du pays (A.S. Kaye, 1982 et 1986 ; Owens, 1985 et 1993 ; Roth, 1994).
  5. les dialectes maghrébins : La région occidentale du domaine arabophone constitue une zone linguistique complexe. Cette complexité est essentiellement due aux processus d'arabisation qui, dans toutes les régions du Maghreb, s'est déroulée en deux phases bien distinctes interrompues par une période de plusieurs siècles, et ayant conduit à l'appropriation de la langue arabe par des populations autochtones d'origine berbérophone. Lors des premières invasions de l'Afrique du Nord (i.e. seconde moitié du 7e siècle), les garnisons arabes se sont installées dans les centres urbains déjà existants. Cela a contribué au développement de formes vernaculaires de type 'sédentaire'. Au cours de cette première période, seules les zones urbaines furent arabisées, les zones rurales, à grande majorité berbérophone, ne l’étant qu'au cours de la seconde période d'invasions au 10eet 11esiècle de l’ère chrétienne. Lors de cette seconde phase d'arabisation, le domaine arabe s'étend sur une grande partie du territoire, et touche aussi bien les populations sédentaires rurales que les groupements humains nomades du désert. Les formes linguistiques alors développées sont de type 'nomades'. La littérature fait référence à ces deux périodes d'arabisation, ayant mené à l'émergence de deux types de parlers différents (i.e. parlers de sédentaires vs. parlers de bédouins), en désignant les parlers de la première période comme 'pré-hilaliens' et ceux de la seconde comme 'hilaliens'Du nom d'une des tribus nomades de la seconde période d'invasions musulmanes les Bani Hilal (Ibn Khaldoun (14e siècle).. La zone du Maghreb a fait l’objet d’un très grand nombre de descriptions (Cantineau, 1940 ; Cohen, 1970 ; Grand’Henry, 1972, 1979 ; Harris, 1942 ; Lechheb, 1986 ; Ph. Marçais, 1952; W. Marçais, 1902 ; Owens, 1980).

L’analyse du processus d’arabisation révèle que les facteurs historiques et sociologiques tels que la conquête islamique, les processus d’arabisation ainsi que la nature des populations impliquées dans ces divers processus constituent les facteurs importants de la variation dialectale sur une base sociolinguistique. Plusieurs linguistes proposent ainsi une classification sociolinguistique.