Classification sociolinguistique

En se basant sur des facteurs d’ordre historique, les dialectologues 8 ont proposé une classification basée sur des données sociolinguistiques : « La dualité sociologique du Monde Arabe a naturellement son reflet dans la langue : il y a des parlers de sédentaires et des parlers de nomades. Une des questions capitale qui se pose pour le dialectologue est d'établir une discrimination entre ces deux types de parlers et de définir les faits de phonétique, de morphologie, de syntaxe et de vocabulaire qui les opposent  ’» (Cantineau, 1938, p. 80). Au plan strictement phonologique, c’est l’analyse du traitement de l’occlusive uvulaire (i.e. sourde ou sonore) et des fricatives interdentales (i.e. maintien ou fusion avec les dentales ou fricatives alvéolaires) qui permet la distinction sociolinguistique entre parlers de bédouins vs. citadins.

D’après la littérature linguistique sur l’arabe, les aires dialectales ne sont pas définies avec certitude et dans la plupart des cas ce sont les frontières nationales qui servent d’écran aux réalités linguistiques (Taine-Cheikh, 1988). L’histoire des parlers, les enjeux politiques et les mouvements migratoires continus vers les grandes villes ne font que compliquer la tâche des linguistes qui tentent d’établir des classifications. Néanmoins, si nous tenons compte des réalisations linguistiques telles que la littérature spécialisée les décrits nous pouvons saisir quelques discriminants phonologiques. Embarki (2007) reprend les descriptions proposées dans les différentes sources bibliographiques, afin de repérer les unités phonologiques discriminantes ‘majeures’ pour les différents types de parlers. L’auteur croise pour cela les données concernant d’une part les cinq groupes régionaux décrits plus haut et les variétés sociologiques 9 ) :

Tableau 1. Réalisations de l’occlusive uvulaire /q/, des interdentales fricatives /θððˤ/ et organisation du système vocalique en fonction des divisions géo-sociologiques (Embarki, 2007, à paraître).
Tableau 1. Réalisations de l’occlusive uvulaire /q/, des interdentales fricatives /θððˤ/ et organisation du système vocalique en fonction des divisions géo-sociologiques (Embarki, 2007, à paraître).

Bien que les consonnes emblématiques de la classification dialectale arabe semblent pertinentes du seul point de vue historico-sociologique (Rjaibi-Sabhi, 1993 ; Taine-Cheikh 1983, 1998), l’observation des systèmes vocaliques semblent permettre une classification de type géographique plus stable.

Au niveau du timbre, le système parait plus enrichi de timbres intermédiaires en Orient, tandis qu’au Maghreb il n’est composé que des trois voyelles cardinales plus le schwa. Ainsi, une distinction émerge entre dialectes arabes orientaux vs. maghrébins (Barkat 2000). A l’exception des parlers appartenant au groupe maghrébin, les dialectes arabes ont développé des systèmes vocaliques à huit voyelles : cinq voyelles longues /iːuː eː oː aː/ et trois voyelles brèves /i u a/. L’existence de voyelles intermédiaires longues /eː oː/ correspondant à l’évolution des anciennes diphtongues /aj ; aw/.

Il est également possible d’observer que "le vocalisme bref se réduit de façon croissante d’Est en Ouest" (Ph. Marçais, 1977) jusqu’à devenir - dans certains parlers - de simples points vocaliques ultra-brefs (les parlers marocains, situés à l'extrême ouest du domaine présentant le plus fort degré de réduction vocalique (Benikrane, 1998). De ce fait la structure syllabique des parlers maghrébins a elle-même été modifiée, conférant au rythme des dialectes occidentaux des caractéristiques particulières (Angoujard, 1993 ; Benikrane, 1981 et 1998).

Notes
8.

Voir Colin, 1920 ; W. Marçais, 1930/31 ; Cantineau, 1938 ; D. Cohen, 1963, 1973 ; P. Marçais, 1975 ; Taine-Cheikh, 1991 ; Ingham, 1973 ; 1976, 1982 ; Rosenhouse, 1984 ; Cadora, 1992 ; Vanhove, 1995, 2002 ; Versteegh, 1997).

9.

Notons cependant que ces classifications (géographiques et/ou sociolinguistiques) demeurent approximatives. Il existe plusieurs exceptions à l’intérieur de chaque groupe ; c’est par exemple le cas pour l’ensemble des parlers de citadins de Tunisie qui attestent la conservation générale des fricatives interdentales, réalisation pourtant typique des parlers de bédouins.