Typologie dialectale : nouvelles perspectives

Des indices discriminants en vue d’une typologie

Les études dialectologiques dites ‘de terrain’ ont soulevé le problème de la variabilité inter-dialectale, néanmoins il n'existe à notre connaissance qu’un nombre relativement réduit d'études consacrées à la comparaison inter-dialectale. Cela est dû vraisemblablement à l'absence d'une tradition en dialectologie comparative. Dans un bilan établi sur la base des différentes études dialectologiques, Barkat (2000), constate la carence des études interdialectales : «‘  un examen attentif des thèses et monographies réalisées en linguistique arabe permet de constater la prédominance des études portant sur un seul parler à la fois ’ ».

Excepté quelques rares travaux (Ghazali, 1979 ; Jomaa, 1994 ; Barkat, 2000), l’étude des systèmes vocaliques n’a jamais été abordée dans une perspective comparative. Les analyses des systèmes vocaliques réalisées par différents chercheurs partagent, souvent, le même objet d’étude (i.e. caractérisation de la durée des voyelles brèves vs. longues en arabe et/ou description des valeurs formantiques moyennes) mais divergent de manière considérable quant à la méthodologie utilisée (origine dialectale des sujets, corpus utilisés, choix de la (ou des) variable(s) dépendante(s)… etc.).

L'étude proposée par Ghazali (1979) constitue une des premières études empiriques trans-dialectales effectuée sur l'arabe dialectal et non l'arabe standard. Douze locuteurs de six dialectes arabes différents (i.e. algérien, tunisien, libyen, égyptien, jordanien et iraquien) ont participé à ce travail dont l’objectif est l'étude des variations de la durée vocalique et de ses effets sur les caractéristiques formantiques des voyelles. Ghazali avance l’idée selon laquelle le système vocalique de l'arabe n'est pas constitué de trois timbres vocaliques avec une opposition de durée comme le laisse entendre la dialectologie traditionnelle (Cantineau, 1960 ; Al-Ani, 1970), mais d'un système à trois voyelles longues et un autre à trois voyelles brèves, ces dernières se distinguant des longues du point de vue quantitatif et qualitatif. Les travaux de Barkat (2000) aboutissent à une conclusion similaire, à savoir que parmi les données segmentales, l’information vocalique possède un statut privilégié. Au cours d’une étude acoustique sur de la parole spontanée dans six dialectes arabes maghrébin et oriental, l’auteur a montré que la distribution des voyelles dans l’espace acoustique permet de distinguer entre parlers occidentaux privilégiant la génération de voyelles intérieures (i.e., centrales) résultant d’un processus de réduction vocalique et parlers orientaux préférant les positions périphériques tout en développant par ailleurs de nouvelles voyelles d’aperture moyenne de type [e] et [o]. Outre la caractérisation, sur le plan acoustique, de la distribution des segments vocalique en arabe maghrébin vs. oriental, l’auteur a également étudié la réalisation de l’opposition de durée vocalique dans différents parlers. L’auteur conclut que la distribution des voyelles dans l’espace acoustique ainsi que la réalisation de l’opposition de durée vocalique représentent des critères fiables de discrimination des parlers arabes par zones géographiques principales. Cette fiabilité se vérifie lorsque, modélisés dans un système d’identification automatique, ces critères s’avèrent particulièrement robustes.

L’étude de l’opposition entre voyelles brèves et voyelles longues a également été réalisée par Jomaa (1994) comme un indice typologique pertinent d’une part pour classer les différentes variétés d’arabes et d’autre part, pour classer les parlers arabes parmi les langues qui attestent l’opposition de durée vocalique. Les résultats montrent d’une part que les différents parlers manifestent une forte variabilité inter-dialectale, et d’autre part, que l’arabe standard – présentant un contraste fort entre voyelle brève et voyelle longue – apparaît dans le groupe de langues où l’opposition de quantité est la plus fortement marquée, les dialectes arabes se distribuant quant à eux dans différents groupes de langues représentant des degrés de contraste distincts.