Les études prosodiques

Les études citées dans les sections précédentes témoignent de la pertinence des éléments phonético-phonologiques pour la discrimination des parlers arabes. Toutefois, la littérature consacrée aux dialectes arabes laisse également entrevoir la pertinence des critères prosodiques pour l’élaboration d’une typologie dialectale de l’arabe. Certains aspects relatifs au domaine supra-segmental, comme l’accent et/ou la syllabe, ont été abordés dans un certain nombre de descriptions dialectologiques (Birkeland, 1954 ; Moscati, 1964 ; Blau, 1972). De même, bien que le rôle de la syllabe et de ses variantes structurelles à travers les différents parlers arabes soit pressenti comme pertinent depuis fort longtemps (Mitchell, 1960 ; W. Marçais, 1952), il existe très peu d’études inter-dialectes qui se soient penchées sur cette question.

Embarki (2007) justifie cette occultation ainsi : « ‘ la littérature consacrée aux dialectes arabes laisse apparaître une variabilité des structures syllabiques, cependant comme les données ne portent pas directement sur les différences sociologiques, les structures syllabiques ’ ‘ n’apparaissent pas comme un élément linguistique variant horizontalement, i.e. parlers bédouins nomades vs. parlers bédouins sédentaires vs. parlers citadins. ». ’L’auteur rappelle qu’‘  : « il est donc nécessaire pour la recherche dans le domaine de la typologie dialectale de s’appuyer non seulement sur les structures syllabiques privilégiées de chaque groupe dialectal, mais aussi sur un travail contrastif au plan sociologique. » ’(Embarki, 2007, à paraître)

Mahfoudhi (2004) a analysé la distribution des syllabes complexes CVCC, CVVC et CCVC dans trois dialectes arabes : le parler tunisien, le parler du Caire et le parler de la Mecque. Il conclut que le tunisien, contrairement aux deux autres parlers, favorise la séquence CCVC. En revanche, les deux autres structures (CVVC et CVCC) se distribuent différemment dans le mot : en position finale dans le parler du Caire et celui de la Mecque, et en position médiane et finale dans le parler tunisien.

Kiparsky (2003) 10 classe les différentes variétés dialectales arabes en trois groupes en fonction de leurs structures syllabiques : (1) des VC-dialects, (2) des C-dialects, et (3) des CV-dialects. Cette classification est élaborée à partir des différentes descriptions disponibles dans la littérature consacrée à chaque type de parler :

  1. Les VC-dialects : incluent les dialectes de Syrie, du Liban, de Palestine, d'Irak, et de Turquie (Behnstedt, 1994 ; Blanc, 1953 ; Cowell, 1964 ; Erwin, 1963 ; Grotzfeld, 1965 ; Jastrow, 1978 ; Palva, 1966). Ils incluent aussi les dialectes bédouins comme celui de Bani Hassan en Jordanie (Irshied et Kenstowicz, 1984), les dialectes Hijazi d'Arabie centrale (Jastrow, 1980a) et les dialectes de Libye orientale (Owens, 1984 ; Mitchell, 1993). En Égypte, deux ensembles de parlers peuvent aussi être considérés comme VC-dialects : il s’agit plus particulièrement des parlers de l’Est du Delta et de ceux de Haute-Égypte, dans la région d’Asyut (i.e. ville de Haute-Égypte, sur le Nil, située à mi-chemin entre Le Caire et Louxor) (Woidich, 1980, Behnstedt et Woidich, 1985).
  2. Les C-dialects sont parlés dans une large partie de l’Afrique du Nord incluant le Maroc (Harrell, 1962a, 1962b, 1965), la Tunisie (Marçais, 1977 ; Singer, 1980), et la Mauritanie (Cohen, 1963). Ces dialectes se caractérisent par de longues séquences consonantiques analysées en tant que ‘clusters’ complexes et des séquences syllabiques possédant parfois des noyaux consonantiques. Le maltais semble également être apparenté à ce groupe.
  3. Les CV-dialects constituent un troisième groupe. Il regroupe la majorité des dialectes égyptiens y compris celui du Caire, la majorité des parlers du Delta et ceux des oasis du désert libyen (Woidich, 1980 ; Behnstedt et Woidich, 1985). Cette catégorie correspond à celle décrite dans Broselow (1992) sous le terme d‘Onset dialect’.

Bien qu’il y ait en arabe un lien très fort entre structure syllabique et accentuation, il n’existe à notre connaissance aucune étude comparative qui se soit intéressée à la syllabe et à l’accent en tant que traits discriminants. Pourtant, certains linguistes comme Blau (1972), ont attiré l’attention sur la diversité des règles accentuelles entre les dialectes maghrébins et dialectes orientaux.

Notes
10.

L’étude de Kiparsky (2003) s’inscrit dans le cadre de la phonologie lexicale, nous ne discuterons pas le détail théorique de cette étude en nous intéressant uniquement à l’aspect typologique.