La prosodie et l’évolution des approches théoriques

Du point de vue historique, on remarque que la prosodie a longtemps été négligée, mais qu’elle a pris une place plus importante au cours des vingt dernières années. L'étude des systèmes tonals dans les langues africaines surtout, mais aussi des langues asiatiques, a eu une influence considérable sur la théorie phonologique (Goldsmith, 1990 ; Kenstowicz, 1994) et a par conséquent facilité l’intégration de la prosodie dans les champs d’investigation de la phonologie contemporaine. Notons aussi, que beaucoup de ces investigations se sont développées et enrichies grâce aux études comparatives portant sur des langues présentant des caractéristiques prosodiques distinctes. L’arabe par exemple, a grandement contribué à cette réhabilitation en linguistique de deux objets prosodiques devenus aujourd’hui importants : à savoir la more et le pied. La première fut réintroduite dans le paradigme phonologique de la théorie métrique (McCarthy 1981, 1982, 1983, 1988).

La recherche phonologique sur la prosodie a conduit à reconsidérer profondément les aspects de la théorie phonologique elle-même. Ainsi, on note la manifestation de l’étude prosodique dans l’évolution théorique de la phonologie linéaire à la phonologie non linéaire. Il y a eu d’abord le modèle standard de la phonologie générative qualifié de linéaire. Ensuite, la conception standard à base de règles a été presque unanimement abandonnée au profit d'une conception privilégiant des principes universels et des paramètres spécifiques aux langues particulières : ‘ « the observed phonological phenomena result from a combination of the general principles governing phonological representations and structures and the parameter values in operation in the particular language » ’. (J. Kaye, Lowenstamm et Vergnaud, 1985, p.305).

L’étude prosodique a bénéficié de l’évolution de la théorie phonologique, notamment de la nouvelle architecture des représentations. Cet aspect s'exprime essentiellement par l'éclatement de la chaîne sonore en plusieurs niveaux de représentation reliés entre eux par des lignes d'association selon des conditions bien définies ou par l'introduction d'une hiérarchisation des unités de la chaîne sonore.

À partir de là, quatre modèles (ou sous-théories) ont été développés :

  • Phonologie autosegmentale (Goldsmith, 1976 ; Williams, 1976),
  • Phonologie squelettale (CV) (Kahn, 1976 ; Clements et Keyser, 1983)
  • Géométrie des traits (Clements, 1985).
  • Théorie de l’optimalité (Prince et Smolensky, 1993)

Les trois premiers modèles, qui utilisent tous des représentations plurilinéaires complexes et structurées, sont entre autres complémentaires de la phonologie métrique (Liebermann et Prince, 1977 ; Hayes, 1980) et de la phonologie de la syllabe (Kahn, 1976 ; Clements et Keyser, 1983 ; J. Kaye et Lowenstamm, 1984).

Notons également que la théorie de l’optimalité (OT) a suscité l’émergence de quelques modèles de description. Le ‘mapping’ syntaxe-phonologie dans ces modèles est modélisé sur la base d’un ensemble de contraintes universellesdont la hiérarchie peut différer d’une langue à l’autre. Plusieurs travaux se rattachent à ce nouveau paradigme (Selkirk, 1995 ; Trockenbrodt, 1995 ; Delais-Roussarie, 1995).

Quant aux détails de ces multiples théories et leurs impacts sur les études prosodiques, nous orientons le lecteur vers Hirst (1987), Goldsmith (1990), Hayes (1995), Rossi (1999, 2000), Di Cristo (2000, 2004), Vaissière (1999), Delais-Roussarie (2005), etc.