Hiérarchisation

Les nombreuses fonctions qu’assume la prosodie rendent difficile la mise en œuvre de certains principes de base pour la description et l’analyse de cette partie du langage. Cette difficulté se traduit surtout par l’absence d’un cadre théorique explicite ou/et de niveaux d’analyse conventionnels.

Cependant, dans la plupart des études théoriques et descriptives, les linguistes continuent à décomposer la prosodie de façon variable selon l’approche théorique dont ils se réclament et en fonction des objectifs qu’ils se donnent : description, traitement automatique, identification, reconnaissance. Néanmoins, la plupart des approches tournent autour de deux niveaux principaux : celui de l’accentuation, autrement dit de la structuration métrique et celui de l’intonation qui concerne l’étude des phénomènes mélodiques.

Pour mieux présenter ces différents niveaux, certains linguistes ont conçu des modèles dits de la constituance prosodique (Delais-Roussarie, 2000) dont l'objectif est de dénombrer les unités découpées par la prosodie dans le flux sonore de parole. Selon ces modèles, la représentation phonologique d’un énoncé consiste en une structure hiérarchisée de constituants (Selkirk, 1978, 1986 ; Nespor et Vogel, 1986). Les différents niveaux de structuration généralement proposés prennent la forme suivante (du rang le plus élevé au rang le plus bas) :

Figure 2. Hiérarchie prosodique selon Nespor et Vogel (1986)

Bien que ces constituants soient de nature hétérogène - certains (comme la more ou la syllabe) sont définis selon des critères phonologiques, tandis que d’autres sont dérivés à partir d’informations morphologiques, syntaxiques et sémantiques (comme le mot prosodique ou le groupe clitique) - , ils jouent un rôle fondamental dans les analyses phonologiques.

Cette hiérarchisation a été sujette à de nombreuses controverses dues à l’ambiguïté du statut des unités prosodiques et les confusions d’ordre terminologique, comme entre les termes ‘mot prosodique’, ‘syntagme accentuel’ et ‘groupe clitique’ et ‘accent’ et ‘proéminence’ 11 (Delais-Roussarie, 2000 ; Di Cristo, 2000, 2004). Par ailleurs, certains constituants peuvent être utiles dans l’analyse d’une langue et pas d’une autre, ce qui a incité la plupart des linguistes à ne pas avoir recours nécessairement à tous les niveaux. Delais-Roussarie et Fougeron (2004) expliquent cette situation par une confusion terminologique ‘ : « Il a souvent été reproché à la théorie prosodique une certaine circularité dans la définition de ces constituants et de ces domaines : un constituant étant défini comme le domaine d’application d’un phénomène particulier, et l’application de ce phénomène venant valider l’existence de ce constituant.» ’(p. 3).

Toujours d’après Roussarie et Fougeron (2004), la bonne formation de la hiérarchie prosodique reposerait sur deux principes fondamentaux :

  • l’étagement : aucun constituant Ci ne domine un constituant Cj,j>i ; par exemple : aucune syllabe ne peut dominer un pied ou aucun syntagme phonologique ne peut dominer un syntagme intonatif.
  • la dominance : tout constituant Ci doit dominer un constituant de niveau Ci-1, sauf si Ci est une syllabe, autrement dit, un mot prosodique doit dominer au moins un pied.

Nespor et Vogel (1986) ont eux aussi décrit un ensemble d'unités prosodiques soumises à une hiérarchie stricte (i.e. strict layer hypothesis). D’après eux, un constituant de niveau donné est composé de un ou plusieurs constituants de niveau immédiatement inférieur. Par exemple, un mot prosodique est composé de un ou plusieurs pieds, ce même constituant est entièrement contenu dans le constituant de niveau supérieur dont il fait partie.

Notes
11.

Le terme accent peut désigner une catégorie phonologique (comme l’accent lexical) ou une des catégories phonétiques sans précision : accent de hauteur, de durée, d’intensité, etc. En anglais les deux termes sont plus distincts puisque ‘stress’ désigne l’accent lexical ou sous-jacent et ‘accent’, renvoie à la réalisation d’une proéminence accentuelle, mais dans l’usage ‘accent’ fait surtout référence au ‘pitch accent’ (accent mélodique). (Di Cristo, 2004, d’après l’ouvrage de Beckman, 1986, « stress and non-stress accent »).