Introduction

Il nous paraît indispensable de commencer par définir l’objet de notre étude, à savoir le rythme. En effet, la présentation des différentes théories sur le rythme de la parole et des modèles proposés pour expliquer ce phénomène est nécessaire à la mise en place de notre problématique.

Dans la littérature linguistique, la notion est subtile et alimente jusqu’à nos jours de nombreux débats dans différents domaines. Même dans une perspective philosophique, on se pose toujours la question : l’impression de rythme est-elle une abstraction ou une réalité ? Sauvanet (2000) se demande dans une thèse de philosophie consacré à cet objet : ‘ « qu’y a-t-il au juste de commun entre les trois expressions suivantes : un rythme ternaire, un rythme cardiaque, un rythme syncopé ? ». Filons-nous une métaphore ? Mais laquelle, au juste ? N’avons-nous pas plutôt trois référents bien distincts, trois objets perceptibles par leurs qualités rythmiques, que nous assimilons à une superstructure cognitive qui serait ce rythme magique. » ’(p.147).

Historiquement, la définition du rythme en appelle toujours à la régularité qui se répète dans le temps. Cette notion remonte à l’époque où pour Platon : ‘ « cet ordre du mouvement a reçu le nom de rythme ’», et pour Héraclite : « ‘ le rythme consiste en l’organisation de tout ce qui est en mouvement, par rapport à l’organisation formelle des choses fixes  ’». Le rythme dans sa notion linguistique a attiré les réflexions des philosophes reprises par Diderot(Salon de 1767) 26  :

‘« Qu’est-ce donc que le rythme ? me demandez-vous. C’est un choix particulier d’expressions, c’est une certaine distribution de syllabes longues ou brèves, dures ou douces, sourdes ou aigres, légères ou pesantes, lentes ou rapides, plaintives ou gaies, ou un enchaînement de petites onomatopées analogues aux idées qu’on a et dont on est fortement occupé ».’

Dans le langage courant, le rythme dans sa notion générale est souvent employé pour décrire soit la vitesse à laquelle se déroule une action, soit la cadence des mouvements pour laquelle les notions de périodicité et de régularité sont primordiales. Mais la notion la plus répandue est celle qui s’inscrit principalement dans la pluralité esthétique : tous les arts sont liés au rythme : la musique, la poésie, certainement, mais aussi la peinture, la sculpture, l'architecture ou encore la danse. Et pourtant, chaque rythme est différent. Même en regroupant tous les arts et les sciences humaines et sociales, le constat est similaire : les rythmes biologiques, linguistiques, anthropologiques et psychiques ne sont pas identiques.

Ainsi, le rythme se trouve au carrefour de plusieurs disciplines mais quelle que soit la discipline, la notion de rythme combinant mouvement, périodicité et structure, répétition, mesure et variation, s’avère un phénomène complexe et dynamique. Mais au-delà de cette diversité, de l'esthétique aux sciences humaines et sociales, ces concepts du rythme permettent-ils de mieux comprendre le rythme de la parole et de saisir son sens ?

Linguistes et non-linguistes semblent partager l’intuition selon laquelle le langage est rythmé, et que les langues sont parlées avec différents types de rythme : l’anglais a un rythme plus ‘saccadé’ que le français ou l’italien dont le rythme est plus ‘fluide’ ; même les dialectes appartenant à une même langue, comme dans le cas de l’arabe peuvent donner l’impression d’avoir des rythmes différents.

C’était ainsi qu’un certain nombre de linguistes ont tenté de décrire le rythme. Ils se sont appuyés sur les impressions subjectives qu'ils avaient en écoutant des langues différentes, d’où la remarque de Lloyd James (1940), selon qui le rythme de l'anglais et le néerlandais ressemble à un message en Morse (Morse Code) et celui de l'espagnol et l’italien évoque plutôt une mitrailleuse (machine gun).

Mais quelles sont les bases de ces impressions ? Comment peut-on distinguer les propriétés rythmiques de l’anglais, du français, de l’arabe ou du japonais ? Existe-t-il des similarités rythmiques parmi les différentes langues ? Et par conséquent des groupes de langues aux rythmes comparables ?

Ces questions nous conduisent à poser les deux problématiques majeures que nous aborderons dans ce chapitre : celle du concept du rythme et de sa nature, et celle de la typologie rythmique. Dans les sections qui suivent, nous examinerons d’abord le rythme linguistique dans ses notions primaires et ses rapports avec les autres disciplines. Ensuite, nous présenterons les différentes approches linguistiques de l’étude du rythme et nous consacrerons finalement, une partie de cette revue à la typologie du rythme et à ses applications dans le domaine de la phonétique et de l’identification des langues.

Notes
26.

Cf. « 100 définitions du rythme » dans sa somme philosophique, P. Sauvanet (2000, t.1, pp. 230-245).